Togo: Rencontre avec Azé Kokovivina un personnage remarquable

Parmi les nombreuses rencontres qui ont émaillées le premier voyage exploratoire de l’équipe artistique et scientifique du projet « Zomayi » sur les côtés du golfe du Bénin, celle d’ Aze Kokovivina fut sans doute l’une des plus précieuses.

A la recherche de matériaux pour un spectacle déambulatoire inspiré du périple des « brésiliens », partis d’Afrique comme esclaves et revenus libres sur la terre de leurs ancêtres, comme cela est raconté avec brio dans le dernier roman « Esclaves » de l’écrivain togolais Kangni Alem (Lattès, 2009), la rencontre avec cet artiste complet grand prêtre du fou-rire a eu l’avantage de nous connecter – d’emblée – à la bonne veine.

Ainsi, grâce au spectacle de Concert-Party[1] programmé dès le deuxième jour à l’Espace FilBleu sur la route d’Adidogomé l’équipée bigarrée de cette expédition « initiatique », menée par les chefs de projets que sont Gaëtan Noussouglo (acteur, metteur en scène et animateur culturel, Lomé & Montbéliard), Cesar Huapaya (Metteur en scène, Vitoria, ES, Brésil) et Bernard Müller (chercheur et dramaturge, IRIS/Curio, Paris, France)[2] purent d’emblée se plonger dans la culture populaire, rappelant que la simplicité et l’exigence de ce genre devaient précisément nous servir de garde-fou et de maître-mot.

Mawuélonmi Adankanou alias Azé Kokovivina Photo: Gaëtan Noussouglo
Mawuélonmi Adankanou alias Azé Kokovivina Photo: Gaëtan Noussouglo

Aze Kokovivina est une pépite. Éternellement jeune, il semble avoir trouvé une solution à la fois artistique et existentielle pour faire cohabiter tous les possibles sur sa scène, intérieure et extérieure. Son œuvre est pourtant celle d’une synthèse. Une construction patiente qui s’inscrit dans la biographie de ce personnage remarquable qui a visité toutes les arcanes mystiques avant de revenir au culte de ses vodou, la tête froide, sans jamais perdre le cap du « Concert », dont il n’a jamais interrompu les représentations depuis le tout début des années 1980.

Sans nous révéler ses recettes, Azé Kokovivina nous a parlé du monde dans lequel il vit et puise sa force – et sa bonne humeur. Azé Kokovivina est d’une insoutenable fraîcheur. Et s’il est convaincant comme homme, c’est que jamais il ne nous oblige. Tel est aussi le mot d’ordre de son humour : sans jamais insister il nous invite à rire, parfois en se moquant, de temps à autre méchamment, mais toujours avec délicatesse. Dans la grande tradition de la commedia dell’arte, il tend un miroir à la société, soulignant les paradoxes du pouvoir et les hiérarchies chimériques, en mettant en lumière les rouages invisibles, en soulignant par la caricature ce que tout le monde sait, sans vouloir se rendre à l’évidence. Aze Kokovivina est un révélateur, il le sait, il s’en moque, car il est un artiste.

Aze Kokovivina donne le ton. Cet homme est exceptionnellement intelligent ; il se situe à un carrefour merveilleux, à ce point de rencontre de tant de mondes, il jongle avec brio. Voilà pourquoi – finalement – il ne nous donne pas d’autre choix que de rire, rire de nous aussi, en nous faisant réfléchir au miroir aux alouettes dans lequel nous nous complaisons à ne pas voir les autres espèces d’oiseaux. Il nous faut rire pour survivre, à gorge déployée ou en grinçant des dents, à chaudes larmes ou à se pisser dessus…

Sur ce noble chemin de la dérision, nous souhaitons aussi engager le parti-pris de notre projet artistique. Et l’on imagine sans peine, Aze Kokovivina sur scène avec nous, embarqués dans cette triangulaire artistique, revenant sur une chapitre cruel de l’humanité – la traite négrière – nous insufflant avec toutes ses forces son humour, et la distanciation qui devient ainsi possible.

Aze Kokovivina est convaincant, et il faudrait être fou pour ne pas le suivre.

à suivre.

Bernard Müller© Togocultures

muller.bern@wanadoo.fr

www.zomayi.info

[1] Le théâtre populaire, le concert-party, vit toujours au Togo avec la Compagnie Azé Kokovivina concert band. C’est un théâtre à base d’improvisation qui se déroule dans les bars et les domiciles. Il se construit autour d’un canevas. Ici, le spectacle « Lolonye Ku de Azé Kokovivina Concert Band, voir : http://togocultures.com/theatre-aze-kokovina-ou-le-retour-du-concert-party/

[2] Les autres membres sont : de Paolo Abreu Sodre (directeur musical, Vitoria, ES, Brésil), d’Amelia Barretto (chanteuse, Vitoria, ES, Brésil), de Jean-Gabriel Farris (plasticien) et d’Aurélien Fernandes (acteur) eurent la chance de relier à la tradition.

 

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