Basile Adewusi: La musique togolaise a bel et bien son identité

Basile Abiadé Adewusi  Photo: Gaëtan Noussouglo
Basile Abiadé Adewusi Photo: Gaëtan Noussouglo

Basile Abiadé Adewusi est expert, consultant en Musiqueet musiciens. Il a fait paraître le 10 septembre 2010 un ouvrage immense . 387 pages sur lesquelles il conduit le lecteur à saisir le réel sens de « La Chanson Togolaise ». Dans une interview accordée à Togocultures Basile Adewusi démontre l’existence de la musique togolaise, il exhorte l’Etat et les médias togolais à prioriser les arts et la culture togolais.

 Togocultures : Pour vous qui êtes expert consultant en musique, qu’est-ce qui retarde la naissance d’une identité musicale au Togo comme le « high life » au Ghana, en dépit des succès individuels récoltés ici et là par des artistes togolais à l’étranger ? 

Basile Abiadé Adewusi : Comme si c’est la musique d’identité qui fait la bonne santé de la musique dans un pays ! Je crois qu’il faut cesser de s’accrocher à cette phobie de soi disant absence de musique identitaire au Togo. Les Togolais, comme M. Jourdain de Molière, font la prose chaque jour sans le savoir et même curieusement des vers, objets de leur obsession sans non plus le savoir. C’est tellement amusant ! Allons étape par étape. Allez réécouter la chanson de King Mensah nommée « Anti Yélé » et dites-moi sa nationalité. Réécoutez la chanson « Agbana » de Peter Solo et dites de quelle identité elle est. Réécoutez les chansons des moins connus, Maurice Yamani et Edith Fever et dites-moi si ce ne sont pas du « bobobo » du Kloto et non de Grand Bassam chez Meiway. Jouez la chanson de Joe Coo sur le journalisme, observez votre pas de danse ; ce n’est sûrement pas du mbalax du Sénégal, mais sans aucun doute du gazo des Watchi de la préfecture de Vo. Vous parlez d’identité musicale togolaise, eh bien, nos artistes en produisent tous les jours et vous refusez délibérément d’y croire ! Vous croyez encore au « high life » en voie de disparition et cela ne préoccupe guère les Ghanéens qui n’ont jamais fait du « high life » une fin musicale en soi. Pour les Ghanéens, aujourd’hui, c’est le « burger life » ou le « hip life ». Vous lorgnez vers le « coupé décalé » des Ivoiriens comme pays ayant trouvé la voie musicale. Ceci n’est pas une musique identitaire mais tout simplement une musique urbaine d’ambiance souvent éphémère. Cette musique-là, le Togo en a aussi (« ogbragada ») et personne ne veut y croire… Aucun journaliste n’en parle à haute voix qu’enfin le Togo vient d’avoir sa musique comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Congo !!! Les « Toofan » sont en train d’imposer notre musique nommée « ogbragada » au monde entier, au même titre que le « coupé décalé » qu’il vient de tuer sur le plan international. L’ « ogbragada » qui se danse maintenant dans toutes les boîtes de nuit à Paris, en Afrique, au Japon est parfaitement originale et spécifique ; et ça vient du Togo et c’est créé par des artistes togolais : « Les Flash » et « Les Toofan ».

Sachez que dans le contexte des musiques modernes identifiant un pays, il y a ce qu’on appelle d’une part : la musique Moderne d’Identité Nationale comme le « zoblazo », le « tchink system », le « mbalax », le « bobobo », le « mutchuatsi », le « juju », le « ziglibiti » etc. D’autre part, on a la musique d’Ambiance Urbaine, à savoir : le « ndombolo », le « makossa », le « high life », l’ « ogbragada », le « nyama nyama », le « burger life », le « mbaqanga », le « coupé décalé », le « disco » etc.

Togocultures : En dépit du “faible” soutien étatique dont il bénéficie, le monde musical togolais a connu des mutations au cours des deux dernières décennies. Quels bons enseignements peut-on tirer de ces avancées et quels sont les facteurs qui les ont surtout favorisées ?

Basile Abiadé Adewusi : La musique est un métier ; il faut l’apprendre d’abord avant de l’exercer. L’Etat a plusieurs métiers à promouvoir ; il y a ceux qui lui semblent prioritaires – médecine, administration, enseignement… – , ceux qui lui semblent vitaux pour la nation – armée, police, douanes…- ; et ceux qui lui semblent non urgents : arts et spectacles. D’où le faible soutien étatique. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’il n’y ait plus de Bella Bellow. Nous n’avons, en tout cas, pas cessé d’encourager nos amis artistes par des conseils structurants, par des critiques sur les médias, par la création de studio d’enregistrement comme le studio « Colibri », par l’envoi d’anciens artistes en formation d’ingénieur de son, par la mise en place d’organisations professionnelles comme l’association des musiciens, UNAM et le syndicat des musiciens du Togo, SARIAC.

  Togocultures : Dans le même sens, en tant qu’expert consultant en Musique, quelles appréciations faîtes-vous des changements intervenus dans l’environnement des musiciens et artistes togolais (multiplication de studios, de “mécènes”, de réalisateurs de clips, etc.) ?

Basile Abiadé Adewusi : Les studios se sont multipliés de façon anarchique et à double tranchant : certains ont permis le changement sonore positif de la chanson togolaise et d’autres continuent de donner des sons médiocres. Sous d’autres cieux, la bonne politique serait de subventionner ces studios et offrir à leur preneur de son des stages de recyclage comme je l’avais fait dans les années 1994 à Venance Agbayissah et à Dama Damawuzan. La bonne politique culturelle serait aussi d’exonérer de taxes certains appareils de studio pour un certain nombre d’années, afin d’encourager la production phonographique. Il est heureux de constater que les clips vidéo togolais sont de bonne facture ; en tout cas, des efforts sont faits en ce sens par les jeunes réalisateurs qui vont jusqu’à toucher au cinéma et gagner des prix au Fespaco. Seulement, certains clips sont trompeurs car la plupart n’ont pas de phonogramme audio sur le marché ; ce sont juste des clips réalisés pour une satisfaction télévisuelle personnelle. Leur coût de plus en plus élevé, entre 50.000 f et 150.000 fcfa fait que les jeunes ont du mal à réaliser d’autres clips ou à faire un album audio complet. L’absence de mécènes fait que plusieurs parmi eux disparaissent avec leur talent. C’est inquiétant pour la musique togolaise. Ils sont nombreux à être appelés mais peu seront sûrement élus.

 Togocultures : Un constat s’impose en dépit de toutes ces avancées : les productions des artistes togolais ne sont pas souvent bien connues à l’étranger, comme par exemple les œuvres de leurs confrères ivoiriens. Comment panser une fois pour toutes cette plaie ?

Basile Abiadé Adewusi: La question est de savoir comment les œuvres de nos confrères ivoiriens s’imposent-elles dans nos contrées ? Nous avons le bon son avec des studios performants comme « Colibri production », « Rover productio», « All that production» etc.; les noms d’artistes sont là pour en témoigner, ainsi que de bons clips vidéo. Une musique ne rayonne pas automatiquement hors de ses frontières si elle ne jouit pas d’une appréciation admirable chez elle. Est-ce que nos musiques sont comme, il y a quelques années, toujours bien appréciées ? Je crois que non ! En plus, elles n’étaient pas très fournies du point de vue production et paraissaient plutôt chères sur le marché. Confrontées à l’envahissement des musiques étrangères d’ambiance plutôt plébiscitées par les mélomanes togolais, elles n’avaient aucune chance d’émerger et de s’imposer. Tout est question de promotion ! La musique ivoirienne ne s’impose pas à nous toute seule ou par sa performance ; elle domine la nôtre par le phénomène de la piraterie qui l’apporte ici en grande quantité et très accessible à toutes les bourses. Conséquence, sur toutes les radios, on n’écoute que la musique ivoirienne, qui par là, grâce à nos médias, se fait déjà connaître. Les disques togolais ne sontpas joués au Ghana ni au Bénin, ni en Côte d’Ivoire ; ni nulle part ailleurs. Il faut que nos médias jouent davantage nos musiques suivant un quota de 55% ; aujourd’hui, nous avons les œuvres en nombre suffisant pour supporter sans ennuyer,l’écoute ! Il faut éradiquer la piraterie pour encourager les producteurs étrangers à travailler avec nos artistes et favoriser l’octroi de visas hors Afrique de l’Ouest.

  Togocultures : Que peut-on souhaiter pour le monde musical togolais en 2011 ?

 Basile Abiadé Adewusi : La musique togolaise existe bel et bien ; elle évolue très bien en plus !Dommage pour certains Togolais qui ne considèrent en cela que le côté médiocre qui d’ailleurs existe dans tous les pays du monde ; même aux Usa, on a des chanteurs et musiciens médiocres. Mais, faut-il juger l’ensemble de la catégorie par cette tranche en devenir dite « médiocre » ? Aucune inquiétude sur la musique togolaise ; elle fera partie des meilleures en Afrique sous peu. C’est vrai que notre pays vit dans une crise économique et cela joue sur les promoteurs internationaux, sur les spectacles et sur les invitations qu’on donne à tour de bras aux artistes ivoiriens parce que tout le monde veut investir dans ce pays. Au-delà de tout ceci, notre préoccupation de tous les jours en tant que Sariac dont je suis le Président, c’est de voir la condition de vie et de travail des artistes togolais s’améliorer ; qu’ils mangent bien à leur faim, qu’ils aient des contrats réguliers et qu’ils soient bien payés, afin qu’ils puissent assurer leurs vieux jours comme tout travailleur togolais.

 Propos recueillis par Edem Gadegbeku ©Togocultures

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