Le week end dernier s’est tenu à Utrecht aux Pays-Bas la première édition du festival Voodoo To go, jeu de mots faisant jongler le nom du pays (Togo) avec l’idée d’un plat ou d’une boisson à emporter, comme dans « café to go » ou « pizza to go »… dans l’idée que chacun remportera chez lui un morceau de cette culture…
Corps en rythme
Résolument placé sous une note musicale, le public a pu y découvrir un ensemble de groupes majeurs qui puisent dans la tradition vodou et l’assument, un courant qui semblent prendre de l’ampleur et qui à n’en pas douter à rencontrer son public, aux Pays-Bas en tous cas.
Les groupes venaient non seulement d’Afrique mais aussi des Caraïbes rappelant d’emblée la nature globale et diasporique de cette manière d’être dans le monde : Vodou Game (Togo), Djogbé (Bénin), Jungle By Nigh-DJ set (NL), Erol Josué (Haïti), Omar Sosa (Cuba) FraFraSound et DraySton (Surinam) ou encore SofritoDjHugoMendez
Cela se passe au RASA, une salle de spectacle en plein centre d’Utrecht, à l’ombre du clocher de la cathédrale de cette ville des plus catholiques.
Une exposition de photographies d’Armatoe reçoit le public et couvre les murs des lieux ; tandis que la programmation grand-public propose des ateliers pour enfants, la projection du sublime film Divine Horsemen: The Living Gods of Haiti “ filmé entre 1947 et 1954 en Haïti par la cinéaste Maya Deren.
Un art de vivre ?
Il s’agit par cet événement de porter un éclairage nouveau sur les expressions de la culture vodou du Togo et au Bénin, manière d’être dans le monde mal connue, et trop souvent prise pour ce qu’elle n’est pas, confondue avec son fantasme, contre lequel les organisateurs du festival, sous la houlette du Togolais Leopold Ekué Messan.
On comprend alors au fur et à mesure des journées que, s’il comporte bien évidemment une dimension religieuse, en lien avec une forme spécifique de culte des ancêtres et de dialogue avec les forces de la nature, le vodou peut aussi être envisagé comme un art de vivre, une manière de s’inscrire dans le monde et d’y appréhender les dynamiques de vie : bien que mystique, le vodou parle d’abord de l’Homme, en interrogeant sans cesse la nature de son être, taclant les limites de sa personnes, révélant la part divine des hommes mais aussi, et cela est frappant, le caractère si humain de ses divinités.
Ceux qui voient dans cette spiritualité une pratique primitive, ceux-là mêmes qui qualifient aussi de « primitif » ou de « premier » leur art cultuel, ignorent qu’elle est née probablement au cours du 18ième siècle, et qu’elle est faite d’influences diverses qu’il s’agisse d’apports européens, hindous ou arabes. Le vodou n’est pas une expression culturelle pure transportée intacte jusqu’à nous depuis la nuit des temps… Les adeptes du vodou, autant que leurs sympathisants, vivent bien dans l’histoire, comme toute l’Afrique… qu’on se le dise.
Par delà le discours, la musique semble la plus à même à transmettre la spécificité de cette manière d’être dans le monde qui s’entend comme un rythme, une manière d’habiter son corps le temps d’une danse.
Dans cette perspective, et c’est un succès du festival, le vodou apparaît comme étonnamment moderne, voire post-moderne : son raisonnement en rhizome, son caractère performatif (les vodous meurent quand on ne les appelle pas) son opacité, sa vertu socialisatrice semblent en effet particulièrement adaptés aux modes de vivre-ensemble émergents, contre toute attente.
Table-ronde tout en longueur
Le deuxième jour, samedi, une table-ronde réunissait un groupe de spécialistes et d’amateurs éclairés, à la fois chercheurs ou passionnés du vodou, dans une salle bondée.
La discussion animée par un modérateur « Legba », votre serviteur, permis avec bonheur d’aller au-delà des clichés hollywoodiens, rappelant la complexité historique, philosophique et mystique du vodou aujourd’hui. Dans ce soucis, Marnel Breure auteure du récit autobiographique „Het land van Legba“ (Editeur : Augustus, 2006, traduction : „le pays de Legba“) fait part de son expérience poétique du vodou au Togo, et rappelle aussi la nécessité de mettre en place des contrôles déontologiques du vodou, afin de barrer la route aux entrepreneurs mystiques qui sont prêts à tout pour abuser du malheur des autres. En effet, le vodou connaissant aujourd’hui un certain regain, passant parfois de l’oralité à l’écrit, notamment par le grand livre de l’internet (les sites, réseaux sociaux et plateformes collaboratives, dédiés au vodou se multiplient), alors que d’autres auraient parié sur sa disparition dans les poubelles de l’histoire, doit se donner les moyens de sa „modernisation“, afin de rester crédible.
L’Américaine Dana Rush, anthropologue et auteure de l’excellent ouvrage „Vodun in Coastal Benin – Unfinished, open-ended, global“ (vanderbildt University Press, Nasville, tenesse, 2013, traduction : „Le vodou sur la côte du Bénin – non fini, ouvert, global“) rappelle que les pratiques liées au vodou, à la différence des religions révélées, place la pratique avant la théorie, dans une approche souple, interactive et non dogmatique : son objet, c’est la relation entre les hommes, médiée par des forces éminemment anthropomorphes… et son projet est de parvenir à trouver un équilibre, entre nous et ce qui ne l’est pas tout à fait.
Henning Christoph, initiateur du „Museum Soul of Africa“ à Essen en Allemagne présente au travers de ses superbes films (il est photographe et journaliste) sa passion d’un demi-siècle pour les cultures du Togo et du Bénin. Nous apprenons que son musée-appartement est appelé déménager vers un lieu plus vaste, qui permettra une découverte plus ample du vodou (http://www.soul-of-africa.com), un événement attendu.
Alors que les rythmes saccadés du haïtien Erol Josué déchiraient la rumeur des curieux et amateurs, Birgit Meyer, professeur en études religieuses à l’université d’Utrecht, conclu brillamment la discussion par une question essentielle, une question à emporter chez soi, comme autre bout du „vodou festival to go“ : „comment se fait-il que le vodou connait aujourd’hui un regain d’intérêt auprès du public européen et notamment auprès des hollandais, à l’instar de ceux qui sont aujourd’hui réunis dans cette salle?“.
Le lendemain, dimanche, la fête se termina en beauté sur le trio Omar Sosa arrivant de Cuba pour laisser la place au pape François, alors qu’Erol Josué a peine revenu des funérailles de Max Beauvoir avait la veille rendu un hommage poignant au grand Hougan, grand maître du vodou haïtien, humaniste devant l’éternel, décédé tout récemment.
Pendant ce temps, l’extraordinaire jeunesse burkinabé, faisait preuve d’une étonnante maturité, s’opposait à un putsch „vintage“ dont plusieurs participants ne perdaient pas une miette en déroulant avec un pouce inquiet les pages FaceBook d’amis restés sur place et engagés dans la tourmente; en montrant au monde l’exemple du prix de la liberté, fermement.
Décidément, l’actualité de coin de l’Afrique est chargée ces jours-ci !
Bernard Müller ©Togocultures