Badja un footballeur se repose dans les arbres Photo: Gaëtan Noussouglo

La Nibetoghanie championne du monde : Une fiction footballistique

Le journaliste de la télévision sportive retient son souffle : « Müller passe à Müller, qui passe à Schmidt qui drible Watson et qui repasse à Schmidt, puis Müller frappe et c’est le goal de victoire…. », le gardien Nidzgorski n’y a vu que du feu… la Nibetoghanie devient champion du monde… et les supporters du stade de Kégué enflamment la pelouse de leur joie exubérante, sur des rythmes effrénés.

En cette année 2034, la Nibetoghanie* en finale pour la 3ième année consécutive remporte enfin le trophée, battant l’Afrique du sud à plates coutures. L’équipe est essentiellement composée de joueurs européens formés à l’ancienne école, recrutés encore enfants par des entraineurs avisés.

Il est vrai que depuis la Grande Crise, en Europe il n’y a plus rien à faire et il est facile d’enrôler des jeunes s’ennuyant à jouer au foot dans les fermes, entre les poules et les vaches. Au moins ça, ils savent le faire, et quand ils ont un ballon dans les pieds, on croirait que la gloire d’hier est de retour. Par contre, aucun Africain ne veut plus jouer dans les équipes du « nord » dont les conditions salariales sont rédhibitoires et où de surcroit circuleraient des maladies dont personnes n’a le remède, mais ce ne sont que des rumeurs. On raconte en effet qu’un ambassadeur de Nibetoghanie de passage à Paris y aurait succombé à la piqûre d’une mouche banale.

Comme il fallait s’y attendre, en ces années- là, la côte du golfe de Guinée est devenue la destination privilégiée de l’immigration européenne, le vieux continent étant devenu vraiment vieux, au point de se déliter et laisser filer les meilleurs d’entre eux, au foot comme ailleurs.

La découverte d’immenses gisements de pétroles au large des côtes a déclenché le développement d’une industrie mirobolante, assise sur une vision de l’homme progressiste, tordant le cou à l’individualisme moderne, en se nourrissant des principes traditionnels, inspirés d’une spiritualité vodou revisitée et adaptée aux attentes des pionniers de ce monde nouveau.

A la (sud) coréenne, la région est passée en 20 ans du sous-développement à la prospérité, rendant caduques les performances d’un Occident à la traine, décidément. En quelques années, les maux du continent se sont tus, grâce à une gouvernance éclairée.

Plus personnes ne veut plus acquérir les produits européens à la qualité depuis toujours souffreteuse, fut-il être payé pour le faire. La France s’est repliée sur une économie de subsistance basée sur les produits du terroir. C’est bien, mais le camembert – aussi bien fait soit-il – n’a jamais suffi à faire vivre une nation. Les Allemands peinent à développer le marché de la choucroute, délicieuse certes mais peu adaptée aux climats chauds. L’Italie a poursuivie avec un certain succès son aventure du spaghetti, notamment en Chine, rendant ainsi à César ce qui appartient à César, rappelant que les spaghetti ont été introduits en 1295 par Marco Polo à son retour de Chine. Les Britanniques ne s’en sortent pas si mal non plus grâce à leurs colonies américaines et australiennes où ils sont devenus les bonnes à tout faire des populations indiennes et aborigènes, notamment dans les maisons de retraite.

Loin de succès d’hier, l’Europe vivote, la tête juste au-dessus du seuil de pauvreté, se morfondant dans ces vieilles pierres.

Dans les capitales des métropoles d’hier, surgissent chaque matin de nouveaux prophètes annonçant le retour de la gloire d’hier, mais même le fascisme, cette idéologie dont l’Europe a pourtant le secret ne fait plus vraiment d’audience. Les annonciateurs de jours meilleurs font leur beurre sur les espoirs rances, jonglant avec la misère des pauvres qui ne savent plus à quel saint se vouer. Même au football, les joueurs ne peuvent s’empêcher de chercher la protection mystique, transformant les hymnes nationaux en cantiques chrétiens et plantant – dit-on- des crucifix à l’entrée de leurs buts, comme derniers remparts d’une misère culturelle compassée.

En Nibetoghanie, il n’y a pas d’errances mystiques. Et puis, chacun est maître de son destin, alors pas besoin de s’abandonner au premier charlatan venu. En Afrique, on sait où cela mène.

Pourtant, en Afrique aussi la polémique enfle : combien de temps les réserves de pétrole vont-elles tenir ? Combien de temps cet âge d’or va-t-il durer ?

A cela, le ministre du développement de la Nibetoghanie répond sans sourciller d’un grand sourire ensoleillé : « n’ayons aucune crainte, notre politique énergétique orientée sur l’énergie héliotropique prendra vite le relais, au nom du Grand Pharaon, de Râ et de ses ministres». Et de rajouter, au grand dam des nations d’Europe réunies : « Le football tombe en désuétude, il ne rassemble que quelques fanatiques d’un autre temps autour de valeurs douteuses. Ne faudrait-il pas investir l’argent qui y est placé dans le renforcement des énergies alternatives ? ».

Défrayant la chronique et enfonçant le clou, un autre responsable culturel, écrivain de grand talent, avance qu’il devient urgent d’éliminer des survivances, et de citer qu’il conviendrait de supprimer certaines pratiques primitives et de citer le football, précisément…. Non sans surenchérir : « franchement, l’idéologie du football a-t-elle encore sa place dans le monde que nous sommes en train de construire, la Nibetoghanie nouvelle ? ».

Bernard Müller © Togocultures

 * Nibetoghanie est la contraction du nom de quelques nations du golfe de Guinée. Leurs habitants se reconnaîtront.

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