La littérature togolaise existe—t-elle

Un élève Photo: Gaëtan Noussouglo
Un élève Photo: Gaëtan Noussouglo

L’écrivain togolais Kossi Efoui avait déclenché la polémique en 2003 à Bamako lors du Festival Etonnants Voyageurs en affirmant que la littérature africaine n’existe pas. On serait tenté de se poser question après une autre controverse qui eut lieu à l’auditorium du CCF le 22 novembre 2007 à l’ouverture de Lire en Fête. Etaient présents à l’ouverture, quatre écrivains de la Diaspora : Sami Tchak, Théo Ananissoh, Edem Awumey, tous trois édités par Gallimard, et Julien Guénou, l’invité de dernière minute, résidant au Canada. C’était l’occasion offerte au public togolais de découvrir ses écrivains inconnus de leur pays natal.

Cette fois-ci, « le scandale » arriva par l’entremise de Docteur Martin Gbenouga, enseignant, chef du département des lettres modernes de l’Université de Lomé, qui voulait établir une comparaison entre les auteurs togolais de la diaspora et ceux de l’intérieur. Ce chef de département fut un ancien journaliste, rédacteur en chef de la tonitruante défunte Tribune Africaine, hebdomadaire proche de l’Opposition-. Ancien élève du philosophe Huénumadji Afan, il a appris à parler et à revendiquer le droit de parler, même s’il va dire une bêtise.

C’est pour cela qu’il s’arrogea la parole pendant quarante minutes pour développer sa thèse sur « la mondialitude des auteurs togolais de la diaspora » , alors qu’on s’entendait à ce qu’il jouât plutôt un rôle de modérateur. Il distingua une littérature du pauvre, celle de l’intérieur, et une littérature du riche, celle des écrivains de la diaspora. La distinction alla même jusqu’à la titrologie : les titres des romans de la diaspora seraient un peu fantaisistes (commerciaux ?) et ne refléteraient pas les histoires racontées. Exemples : La Polka de Kossi Efoui (on y danserait pas cette danse germano-polonaise ?), Place des fêtes (il n’y a pas eu de fêtes ?) de Sami Tchak, Cola cola jazz de Kangni Alem (ici, il y a eu quand même du jazz non ?) ou Un Reptile par habitant de Théo Ananissoh. Ces auteurs n’écriraient pas comme des Togolais ou des Africains, et, si cela se trouve, « je ne me reconnais pas dans vos livres, vous n’écrivez pas pour les Africains, vous écrivez pour les Blancs« , accuse un auditeur.

Pour comprendre, ce qui se passe, il faut savoir que les auteurs mis à l’index font partie de cette génération d’écrivains qui ont donné une aura internationale à la littérature togolaise. Avant eux, un auteur togolais ne dépassait même pas les limites de notre petit rectangle. Si ceux-la n’existaient, la littérature nationale n’existerait tout simplement pas. Il fallait l’inventer !

Arrivé la veille à Lomé, en provenance de Paris, Sami Tchak, interloqué, n’entravait que couic à la scène qui se produisait, au point de montrer son étonnement mâtiné de courroux au Docteur Gbenouga : « venant de la part d’un universitaire, ce que vous dites est grave ; je crois que c’est une lecture superficielle de nos œuvres « , rétorque-t-il. Je comprends que les universitaires et la critique littéraire doivent faire leur travail, mais je ne comprends pas pourquoi on peut vouloir classer un roman à partir de son titre, dit-il, avant de donner des exemples d’œuvre d’auteur où les titres sont assez évidents pour le lecteur. Il donna ensuite l’exemple du Béninois Florent Couao-Zotti, écrivain résident au Bénin et édité par Gallimard, un auteur mondialement connu, pour réfuter la thèse de la distinction entre littérature de la diaspora et littérature produite sur le continent.

 Afrique tu me fais honte

Edem Awumey alla dans le même sens que lui. Mais Théo Ananissoh se mit dans une position encore plus grave qui dérouta encore plus les auditeurs :  » tout ce qui se produit au Togo est littérature togolaise, ce qui se fait en France est français », renchérit-il. Traduire : Lui Théo Ananissoh, Edem Awumey, Sami Tchak, Kangni Alem et Kossi Efoui sont des auteurs français. Théo aborde les difficultés de l’édition en Afrique et la posture de l’écrivain africain d’écrire pour plaire aux lecteurs occidentaux, puisqu’il faut après tout que Gallimard vende et que l’écrivain vive. Cela explique que l’on a des œuvres qui mettent jettent carrément l’anathème sur l’Afrique. Je suis noir et je ne mange pas le manioc de Gaston Kelman, Contours du jour qui vient de Leonora Miano, Place des fêtes de Sami Tchak, et tant d’autres livres. Mais le débat est-il là-bas ? Mettre le doigt sur les maux de l’Afrique ne constitue pas une nouveauté dans la littérature africaine. Déjà avec les Soleils des indépendances, Kourouma avait changé la donne. Déjà les essais de Et si l’Afrique refusait le développement d’Axelle Kabou, et Demain l’Afrique de Edem Kodjo avait sonné l’hallali d’une situation catastrophique du continent noir.

 Lecture superficielle

En réalité, il ne devrait pas y avoir de débats. Et ceux qui accusent doivent plutôt s’interroger sur leurs façons d’aborder la littérature, les littératures. Quand et comment est-on arrivé à classer une œuvre selon le lieu de résidence de l’auteur ou à partir de son titre, on ne le sait pas. Jusqu’à présent, la critériologie qui définit la qualité d’une œuvre est basée sur l’émotion qu’elle suscite auprès du lecteur, l’intérêt de l’histoire et la façon dont elle est racontée, le style et l’esthétique. C’est pour cela que l’on s’émeut en lisant Guerre et Paix du Russe Léon Tolstoï, Les Misérables du Français Victor Hugo ou La Montagne magique de l’Allemand Thomas Mann.

Quand et comment est-on arrivé à mettre dans la même catégorie des écrivains aussi disparates et différents comme Kossi Efoui, Kangni Alem, Sami Tchak et Théo Ananissoh, on ne le sait pas. Car, tout Togolais qu’ils sont, ils n’écrivent pas de la même manière. L’imaginaire du Cotocoli Sami Tchak est bien différent de celui de l’Ewé Edem Awumey ou du Guin Théo Ananissoh. Le lecteur africain est surpris de constater que Sami Tchak est togolais, car l’action de ses romans se situe en Amérique latine, et son imaginaire farci de philosophie de boudoir est loin de constituer celui de Théo Ananissoh, adepte du faux polar, dont l’action des romans se situent en Afrique et l’imaginaire hanté par la difficulté de vivre ensemble des Africains, l’absence de démocratie, la trahison et la misère. A la limite, pourrait-on dire que Sami Tchak et Théo Ananissoh écrivent le français français, encore que chez le dernier l’écriture soft et belle est d’une lenteur classique, loin de l’érudition que l’on peut trouver dans l’Hermina de Sami Tchak. Et Kangni Alem, auteur du « polar gombo » n’est pas du tout comparable à son ami Kossi Efoui, disciple de Lacan, auteur hermétique à souhait. D’un côté, un adepte d’un genre romanesque qui navigue entre le roman populaire et la littérature d’élite, de l’autre, un auteur qui produit du roman philosophique. La seule comparaison possible se situerait entre Kossi Efoui et son disciple Edem Awumey, auteur de Port-Mélo.

En réalité, ce qu’on reproche aux nouveaux auteurs, c’est d’être allé puiser à d’autres sources qu’africaines, et d’avoir préférer écrire autrement que ce qui s’est fait jusqu’à présent sur le continent et de vouloir toucher à l’universel. L’objectif d’un littérateur, c’est une lubie désintéressée de se donner plaisir et de divertir l’autre, tout en éveillant chez lui une certaine émotion. La difficulté c’est comment atteindre cet objectif et c’est là que se trouve le but de toute écriture. Un livre qui ne touche pas le lecteur, est un échec, et cela n’a rien à voir avec le titre. Ce n’est pas la faute à Kangni Alem si son prochain roman n’est pas titré Akakpovi reviendra mais Le Temps des Caravelles !

L’obstination de vouloir coller l’Afrique constitue un harcèlement et une façon de les catégoriser, de les enfermer dans un moule carcéral que constitue ce continent duquel les gens voudraient avant tout s’échapper.

En définitive, c’est Kossi Efoui qui a raison. Il faut foutre la paix aux Africains avec l’Afrique !

Tony Féda ©Togocultures

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