Ecrivains togolais de la diaspora: étiquette équivoque

Sami Tchak à la Librairie Star à Lomé
Sami Tchak à la Librairie Star à Lomé

Dans le cadre de Lire en fête 2007, nous avons eu l’honneur, Théo, Edem, Julien et moi-même, d’être invités dans notre pays en tant qu’écrivains togolais de la diaspora. Cette étiquette si neuve m’avait semblé d’emblée équivoque, mais ce que notre tournée nous révèlera par la suite lui donnera toute sa signification. En quatorze rencontres (trois au CCF, deux à l’université de Lomé, une à l’université de Kara, une aux affaires sociales de Kara, une à Sokodé, une à Atakpamé, trois rencontres dans des établissements scolaires de Lomé, une à la bibliothèque de Bè et enfin une dernière à la bibliothèque de Baguida) nous avions compris ce que cela pourrait en réalité signifier Écrivains togolais de la diaspora : nous serions pour beaucoup de personnes qui avaient bien voulu nous écouter ou étaient obligées de le faire (les élèves par exemple) comme des OVNI. Certains déclaraient n’avoir jamais vu nos livres, même lorsque nous étions dans une bibliothèque où nos titres étaient exposés (Atakpamé), d’autres ne nous avaient pas encore lus (c’est leur droit, on n’est pas obligé de lire tout, ni même de lire, on peut se passer de lire, les livres, quelle que soit leur qualité, ce n’est pas de l’eau, ce n’est pas indispensable).

Sami Tchak à la Librairie Star à Lomé
Sami Tchak à la Librairie Star à Lomé

Ce que nous avions compris, c’est qu’en réalité, personne, dans aucun des établissements scolaires, dans aucune des bibliothèques, n’avait préparé la « rencontre ». Nos habitudes nous avaient fait croire que nous aurions droit à des échanges à partir des lectures qui auraient été faites de nos livres, d’au moins un titre de chacun de nous. Hélas, la véritable signification de notre tournée nous aura été donnée d’emblée dès la cérémonie d’ouverture, par la conférence inaugurale au CCF, de Martin, chef du département des lettres de l’université de Lomé. Par sa lecture bien originale de la chose littéraire où il avait été question d’une classification en littérature du riche et de littérature du pauvre, nous avions compris qu’il serait inutile pour nous de nous attendre à ce qu’on appelle une lecture d’un texte ou d’une œuvre en construction, c’est-à-dire par l’analyse d’une démarche strictement individuelle dont on peut montrer les perspectives, les faiblesses, etc. lecture globalisante faite par Martin ne laissait même pas un espace de soupir à chacun de nous pris en tant qu’écrivain dont les univers et les démarches ne recoupaient pas forcément ceux des autres assis à côté de lui. Nous aspirions à une existence individuelle, nous découvrions que nous n’étions qu’un collectif. Et à partir du moment où on nous réduisait à un collectif, la chose était simple : il fallait nous trouver des faiblesses communes. Les titres, les contenus, les histoires, l’écriture elle-même, tout ne serait plus proche des préoccupations du lectorat togolais (comme si on écrivait pour répondre à la demande de ce lectorat, comme si tout écrivain ne rêvait pas de faire découvrir, de surprendre!)  Par rapport aux démarches des universitaires comme Vincent Simedoh, Selom Gbanou et Sénamin Ozouf Amédégnato (Togolais au Canada) ou d’une jeune chercheuse française d’origine togolaise, Ayelevi Novivor, ce que la conférence du chef du département des lettres de l’université de Lomé nous avait permis de comprendre, c’était surtout le décalage énorme entre les possibilités d’analyses qu’offre toute œuvre, même la plus médiocre, et les lectures nationalistes d’un texte, quelles que soient ses qualités. A partir du moment où le public togolais et le Togo deviennent les références obligées pour lire les écrivains togolais, de la diaspora ou du dedans, le débat se situe ailleurs, il est d’emblée extra-littéraire. Il faut le comprendre une bonne fois pour toutes. Nous étions donc préparés, du moins avions-nous compris que ce n’était pas dans les bibliothèques ni dans les collèges ou lycées que nous aurions des échanges véritablement littéraires.

L'écrivain Edem à la Librairie Star à Lomé
L’écrivain Edem à la Librairie Star à Lomé

Cependant, bien que nous ayons tôt eu l’idée de ce que seraient nos rencontres, il nous était arrivé plusieurs fois de mal maîtriser nos nerfs devant l’avalanche de questions banales, surtout lorsqu’elles venaient de la part d’étudiants en lettres, dont certains préparaient leur maîtrise, donc affichaient une capacité théorique de lire un texte (lire au sens propre du terme, c’est-à-dire d’en décortiquer les différents éléments, d’en analyser l’univers, etc.) Il n’avait échappé à personne que nous étions déçus. Mais si notre droit d’être déçus ne peut être contesté, celui des autres à nous décevoir ne peut l’être non plus. Le problème : nos attentes avaient divergé. Cependant, et cela mérite d’être souligné, avant que le journaliste Ayi Mamavi et sa collaboratrice Yasmin ne nous offrent une matinée proprement littérature à la librairie Star dans le cadre de l’enregistrement d’une émission télévisée (au moins nos derniers livres avaient été lus et le débat avait porté sur eux : c’était notre dernier jour à Lomé, c’était un joli cadeau d’au revoir), je disais qu’avant  qu’Ayi et Yasmin ne vous offrent une matinée proprement littéraire, celui avec qui l’échange avait porté sur nos textes et nos pratiques littéraires, ce fut l’ex- PM Edem Kodjo. Il m’avait d’abord invité dans son bureau le mercredi 28 novembre. Mis au courant par Cornelius Aïdam (devenu après notre tournée togolaise le tout nouveau ministre de la culture) des échanges vifs que nous avions eu au CCF avec Martin (le directeur du département, je l’appelle Martin, parce que nous sommes suffisamment familiers maintenant pour que je puisse me le permettre, notre séjour à Kara nous ayant offert l’occasion de mieux nous connaître), Edem Kodjo récuse la critique selon laquelle nos livres ne parleraient pas des problèmes du Togo.

Il me dit ainsi que les problèmes que je décris dans Le paradis des chiots, bien que je situe mes actions en Amérique latine, se retrouvent au Togo, on constatait des situations similaires au Togo, qu’on pouvait donc lire le roman autrement. Il en était de même du roman de son homonyme Edem, Port Melo, qui, de toute évidence, se passe au Togo. Mais, poursuivit-il lors de nos échanges dans son bureau, mais il redit la même chose le vendredi 30 novembre chez lui où il nous avait invités, Julien, Théo, Edem et moi, ce qu’il déplorait en gros dans nos textes, c’est la tendance au misérabilisme. S’il reconnaissait que les difficultés des populations étaient réelles, il ne lui semblait pas que tout fût aussi sombre. Lors de ce dîner où nous avions discuté librement aussi bien avec l’homme politique qu’avec l’écrivain, il ajouta qu’en réalité, le problème avec nos textes ne se situait pas au niveau de leurs contenus, mais de leurs structures. Les constructions (structures brisées : qu’on retrouve dans presque tous mes romans par exemple) obligent le lecteur à un effort dont le non habitué n’est pas forcément capable. Le fait de recoller soi-même les morceaux avant de comprendre le tout rend la lecture difficile pour les non habitués, pas pour lui un grand lecteur. Et de nous poser la question : pourquoi pas la construction linéaire ? Pourquoi ne pas raconter l’histoire de façon linéaire pour qu’on la suive du début jusqu’à la fin, qu’on en comprenne les rebondissements ?

L’homme politique se révéla alors le meilleur analyste de nos textes et nous comprîmes que depuis quelques années, il nous suivait avec un réel intérêt. Et ça, ce fut pour nous un joli cadeau, ces échanges littéraires auxquels nous ne nous attendions pas. Mea Culpa : je mentirais si je ne signalais pas qu’au lycée de Tokoin, le vendredi 30 novembre, un professeur m’avait posé des questions sur mes pratiques littéraires de Femme infidèle à Le paradis des chiots. Il avait tout lu et avait recherché la signification même de mes structures brisées, une façon de rendre compte d’une identité brisée, qui cherche aussi à se recoller. Il m’a fallu un effort pour contenir mon émotion, comme il en avait fallu à Théo et à Edem pour contenir la leur dans ce même lycée où les membres d’un club de lecteurs, des lycéens, avaient lu des passages de leur roman. Tout ceci pour conclure par une note positive que je ne force pas : au cœur d’une déception globale, le bonheur de rencontres littéraires rares, mais réelles. Ce qui me fait dire que le Togo, notre pays, reste pour nous à « conquérir ». Ce ne serait pas facile, mais qui a dit que la facilité devrait se nicher au cœur d’un projet littéraire ?

Sami Tchak ©Togocultures

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