John Aziamour :  » Sans politique culturelle ambitieuse, les efforts individuels sont vains »

John Aziamour (photo) réside en Allemagne où il a façonné les quatre albums qui garnissent sa discographie. Il n’a pas pour autant perdu son français. Adepte d’un travail artistique fouillé, rigoureux dans lequel il promeut les traditions de sa terre natale, il lancera incessamment sur le marché du disque togolais son cinquième opus. Rencontre avec un chanteur patriote et engagé.

 

Togocultures : Vous avez été nourri de reggae durant votre enfance mais vos disques promeuvent les rythmes traditionnels du Togo, pourquoi ?
John Aziamour : Tout est finalement, à un moment donné, une question de choix dans ses propres passions. Le reggae original reste toujours une des passions qui me vivifient. Les refrains des Bob Marley, Peter Tosh, U & I Roy etc. auxquels nous nous sommes nourris depuis notre adolescence jusqu’à la rencontre à l’âge adulte de ma dernière idole Lucky Dube -paix à son âme- nous ont forgé à aimer la justice sociale.
Reste maintenant à l’artiste de traduire cette quête de justice sociale dans des rythmes de son choix. Le mien est porté tout simplement sur les sonorités traditionnelles du Togo, avec la prédominance du « Gazo » du terroir qui demeure ma passion première.

Togocultures : Quels sont les types de rythmes traditionnels du Togo que vous avez choisis dans vos quatre albums ?
John Aziamour : Je dirai le « Gazo » et le « Attimehoun » ; deux rythmes traditionnels pourtant différents du point de vue du tempo. Alors que le premier se joue plus rapide que le second, les deux se caractérisent cependant par la forte capacité qu’ils ont à véhiculer des messages épiques, allégoriques et téméraires, souvent destinés à glorifier le bien ou à dénoncer voire défier le mal. Ce faisant, ils aident beaucoup à garder vive la Mémoire de la communauté de par leurs enseignements. Ce travail de pédagogie éducationnelle auquel invitent ces rythmes épouse parfaitement notre aspiration artistique qui se veut témoin de notre vécu d’aujourd’hui. Voilà en quelques mots le pourquoi de notre choix.

Togocultures : Les morceaux « Sékurizé et Togo mon beau pays » sont les plus connus dans votre répertoire. Dans quelles circonstances ces deux titres ont-ils vu le jour ?
John Aziamour : Chronologiquement « Togo, mon beau pays » est le premier à voir le jour. Je finissais son enregistrement en janvier 2005 pour en faire un single mais j’ai dû renoncer au projet, sur conseil de mon producteur qui voulait en faire au moins un Maxi-CD. Ce qui sera finalement fait en 2006. Cette année-là, la qualification historique du Togo pour le Mondial de football en Allemagne, mon pays d’accueil, m’a inspiré des titres à la gloire de nos Eperviers en particulier et du Togo en général. Et comme « Togo, mon beau pays » est de la même veine, l’Album éponyme a été donc réalisé en Maxi-CD de 4 Chansons. Ce morceau conçu en chant de marche patriotique sur fond de fanfare militaire a été pour beaucoup une première au Togo et reste très apprécié au sein de notre diaspora.
Quant à « Sékurizé » (remarquez l’orthographe), c’est un titre original qui ironise la défiguration du verbe français « sécuriser », dont une autorité militaire de la CEDEAO croit devoir s’en servir pour cautionner les enlèvements d’urnes électorales survenus lors de la présidentielle de 2005 (au Togo). Des images des éléments de forces de l’ordre qui détalaient avec des urnes coincées sous l’aisselle ont fait le tour des chaînes de télévisions du monde entier et ont fait mal à l’époque à tout Togolais honnête. J’ai choisi de dénoncer à travers l’humour cru les tenants et les aboutissants de cette malheureuse situation en m’appuyant cette fois-ci sur le gazo du pays Ouatchi. L’adage veut que les choses sérieuses se disent dans la langue maternelle, n’est-ce pas ? (Rires).

Togocultures : Qu’est-ce qui fera l’originalité dans votre 5e album ?
John Aziamour : Son originalité se trouve surtout dans l’exploration d’un autre rythme du terroir. Pour le petit secret, nous tairons le nom mais les connaisseurs s’en rendront vite compte par eux-mêmes, dès la sortie de l’opus…

Togocultures : Les multiples rythmes traditionnels au Togo demeurent encore peu explorés par les artistes, malgré les efforts des uns et des autres. Auriez-vous un mot à glisser à vos confrères, sur ce sujet ?
John Aziamour : Votre constat est vrai à plusieurs égards. Mais on peut aussi le nuancer en disant que c’est le manque d’une « Politique culturelle » d’envergure au plan national qui donne cette perception des efforts que fournissent les confrères pour sauver nos rythmes traditionnels de l’invasion agressive de ceux déjà établis ailleurs. Dans ce registre, qui peut dire que les aînés Dama Damahouzan, Mme Kpande (paix à son âme) par exemple et surtout, Bella Bellow (notre regrettée de toujours) n’ont pas fait leur part du boulot ? Il a dû manquer certainement l’accompagnement officiel qui devrait les consacrer et donner un début de visibilité au travail qui se fait depuis longtemps sur nos multiples rythmes traditionnels.
Si j’ai un mot à l’endroit des confrères, je leur dirai simplement de continuer d’aimer le travail qu’ils font et de garder à l’esprit que le chantier sur l’excellence dans les rythmes du Togo est bien ouvert. Il nous faudra encore retrousser les manches et convaincre le public de la richesse des plus anciens de ces rythmes.

Togocultures : Que connaît le public allemand de la musique togolaise ?
John Aziamour : La musique togolaise essaye tant bien que mal de faire son petit trou au sein du public allemand plutôt tourné vers la musique africaine tout court, avec ce que cela suppose d’exotique et de prévalence sénégalo-congolo-ivoirienne, etc… Ce sont les nombreux groupes culturels togolais qui retiennent le mieux l’attention ici et qui font parler des richesses folkloriques du terroir. Tout compte fait, il est encore difficile de parler en termes de musique togolaise en Allemagne ; malgré tout.

Togocultures : Quels types d’action faut-il mener pour davantage internationaliser la culture togolaise en Occident et tout singulièrement en Europe ?
John Aziamour : Nous revenons à l’équation du départ que devrait résoudre toute « Politique culturelle nationale » qui se veut ambitieuse ! Les efforts individuels isolés ne sauraient suffire à vendre notre Bien culturel à l’étranger ; il faudra pour ce faire un cadre bien élaboré -et non politisé- au niveau de nos ambassades par exemple.

Togocultures : La Côte d’Ivoire a eu son « coupé décalé » les deux Congo leur « makossa et ndombolo », etc. La jeunesse musicale togolaise est en train d’adopter le « cool catché ».
John Aziamour : C’est tant mieux si notre jeunesse trouve enfin quelque chose à se mettre sous la dent, musicalement parlant. Ce que je crains, c’est que le « cool catché » aura une vie éphémère tout comme son aîné ivoirien « coupé décalé » qui a pratiquement vécu. Les deux se donnent à fond dans le gestuel de leur danse, alors que la jeunesse qui les adopte grandi/grandira et ne pourra plus suivre le rythme. Cela a toujours été ainsi lorsque le spectacle de la danse prend le pas sur le mérite de la musique.
En revanche, il y a bien des créations qui restent intemporelles sur le continent ; le high-life ghanéen, la rumba congolaise, le makossa camerounais par exemple font partie de ce lot (impérissable). Ceci étant, il est souhaitable que la musique togolaise qui est réellement en mouvement trouve elle aussi rapidement sa marque à imprimer durablement sur le continent. Vous autres journalistes devant également nous y aider par la pertinence de vos remarques et critiques. Merci à togoculures.com.

Propos recueillis par Edem Gadegbeku ©togoculture

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