EDEM KODJO : Le politique et le littéraire

 Personnage controversé ou incompris, figure intellectuelle majeure du landerneau politique national, Edem Kodjo suscite à la fois admiration et aversion. Mais il constitue peut-être un rare cas d’être à la fois un politique et un littéraire, dans un pays où, tradition oblige, l’oralité primant sur l’écriture, les politiciens n’ont pas l’habitude d’écrire, ne serait-ce que leur propre vision du Togo ou histoire personnelle.

Fulgurante carrière politique et professionnelle que celle de cet élégant énarque revenu au pays dans les périodes troubles post Olympio, cheville ouvrière du parti unique le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) en 1969. Rapidement, il occupa les postes de ministre de l’économie et des finances (1973-1976), puis des affaires étrangères (1976-1977) qu’il quitta pour le secrétariat général de l’OUA (1978-1983), où il prit la courageuse et polémique décision concernant la reconnaissance du Sahara occidental  par les Etats membres de l’institution panafricaine.
Désavoué par le général Eyadema et non reconduit, Edem Kodjo se fit connaître par un retentissant essai, …Et demain l’Afrique (Stock, Paris, 1985), à l’époque livre de chevet de nombreux intellectuels africains qui commencèrent à s’inquiéter du mal développement de l’Afrique. La camerounaise Axelle Kabou a notamment cité abondamment Edem Kodjo dans son  pessimiste essai Et si l’Afrique refusait le développement ? (Harmattan, Paris, 1991). L’ancien secrétaire général de l’OUA y dressait sans complaisance un bilan de près d’un quart de siècle d’indépendance. Pour lui, une nouvelle approche de l’unité africaine s’impose. Les Africains doivent voir dans la lutte pour l’unité le combat vital pour leur survie collective, pour leur grandeur future. A l’exemple des Etats Unis d’Amérique et de la Confédération canadienne on pourrait faire de l’O.U.A. une organisation de conception et de décision à l’échelle continentale en laissant, au plan local, l’initiative aux Etats tels qu’ils sont à l’heure actuelle. Un quart de siècle plus tard, ces idées sont toujours de mise, vue l’enlisement de l’actuelle Union Africaine. Mais plus encore que cela, c’est la réflexion iconoclaste sur le rapport des Africains à la modernité qui détonne dans les milieux intellectuels et montre le courage intellectuel d’Edem Kodjo :  « C’est parce que l’esprit africain est encore marqué par une vision du monde et une conception de l’existence toujours dominée par l’idée d’une puissance créatrice transcendantale immanente coexistentive à toute chose, à toute idée, à toute action, qu’il est demeuré hostile à tout processus de viol et de conquête brutale de la nature qu’exige ce qu’on appelle communément le développement. » (P 93) écrit-il. En résumé, tant qu’il n’y aura pas un processus d’occidentalisation de nos sociétés, l’abandon des carcans dans lesquels nous renferme la tradition, il n’y aura pas de développement.

Six ans plus tard, il publie le moins retentissant L’Occident du déclin au défi  (Ed. Stock, Paris 1988), avant de revenir au Togo à la faveur des soubresauts démocratiques. Retour difficile que le sien : malgré un background impressionnant et sa compétence internationalement reconnue, Edem Kodjo peine à gagner le cœur de ses concitoyens, qui ne comprennent pas ses choix stratégiques quant à la complexe et déroutante situation politique nationale.

Alors que l’ombre tutélaire du général Eyadéma planait encore sur le pays, Edem Kodjo publie en 2004, à plus de 60 ans, Au commencement était le glaive, un premier roman qui relate l’ébullition génocidaire et les massacres sans nom entre deux ethnies d’un pays imaginaire, les Hamouris et les Bamounas, que l’auteur situe dans la région des Grands Lacs.  Niant vouloir parler de son pays, le roman peut sembler prémonitoire, puisqu’un an plus tard, le Togo frôlait une guerre civile apocalyptique. S’il met en cause les systèmes politiques tribaux en présence sur le continent et leur direction des affaires, Au commencement était le glaive se veut aussi comme une composition littéraire d’une rare sensibilité où les expressions scatologiques d’une vulgarité étonnante voisinent avec une langue du registre soutenu le plus élevé.

Juin 2005, Edem Kodjo devient Premier ministre de Faure Gnassingbé, élu à la suite d’élections controversées et chaotiques. Choix controversé et incompris. Désavoué par la majorité de ses concitoyens, Edem Kodjo perdit les élections législatives et ne fut même pas élu dans son fief de l’Avé. Il est resté jusqu’en mai 2010 attaché à la présidence de la République, conseillant le jeune Président pour une transition politique des plus difficiles et complexes.

Excellent essayiste, il est difficile de juger au premier roman de l’avenir romanesque de Kodjo. En attendant qu’il publie ses mémoires sur son brillant parcours professionnel de l’ORTF à la Primature, en passant par le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, on gardera de lui moins ses prouesses littéraires que son itinéraire politique. Il est difficile de dissocier la vie littéraire de Edem Kodjo de sa riche carrière politique. Grosso modo, ce septuagénaire apparaît comme ce philosophe qui ayant trop longtemps côtoyé les sommets en était tellement ivre qu’il n’a jamais daigné se mettre au diapason des réalités de ceux qui vivent le mythe de la caverne.
Peut-être devrait-il en être ainsi, celui qui a le CV le plus riche de tout le personnel politique n’a nécessairement pas besoin de comprendre un peuple qui ne veut pas qu’on fasse son bonheur sans lui.

Tony Féda© Togocultures

Pour aller plus loin: Edem Kodjo: la disparition d’un panafricaniste

Bio Express

Edem Kodjo est né à Sokodé le 23 mai 1938. Il décède le 11 avril 2020 à Paris. Il obtient son baccalauréat au collège Saint-Joseph et poursuit ses études supérieures à la Faculté de droit et des sciences économiques de Rennes, puis entre à l’ENA de Paris, nanti d’une maîtrise.
Administrateur de l’ORTF en 1964, il rentre  au Togo en 1967 et assume les fonctions de secrétaire général du ministère de l’économie et des finances, secrétaire général du RPT, secrétaire général du Comité national  olympique, ministre de l’économie et des finances puis ministre des affaires étrangères et de la coopération. Il fut gouverneur de la BAD, de l’UMOA et du FMI, secrétaire général de l’OUA, professeur associé à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne.

Edem Kodjo occupa le poste de premier ministre du Togo de 1994 à 1996 puis de 2005 à 2006, de 2006 à 2010, minstre d’Etat à la Présidence de la République. Membre de plusieurs sociétés savantes, il rédigea de nombreuses études sur les relations internationales, l’économie et le développement.

Politicien, diplomate, homme de lettres, amateur de musique, praticien de sports, cet homme pétri de culture impressionne par la diversité des horizons qu’il scrute et son épaisseur romanesque.Il a publié en 2008 : Edem KODJO, Les Pères de l’Eglise. L’élaboration de la doctrine chrétienne, de la fin du Ier siècle au Vème siècle, Editions Saint-Augustin Afrique, Lomé, 2008. ISBN 978-2-84693-078-9

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Source: Acteurs du Livre au Togo, édition Graines de pensées, Lomé, 2008

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