Adambounou Dabla : La dernière peinture du vieux

Dabla : la peinture de père en fils, titrait Le Goethe Institut de Lomé pour l’exposition des œuvres du peintre Adambounou Dabla et fils. S’il ne s’était agi que de la seule expo des œuvres du vieux, on pourrait s’inspirer du cinéma : la dernière sortie du vieux.

Hémiplégique, affaibli jusqu’à l’usage de la parole, reclus sur un grabat dans une grande maison inachevée au mur lépreux du quartier populeux de Bè Ahadji-Kpota, le vieux Dabla tend la main à l’aveuglette au visiteur, s’excusant de ne pas pouvoir le voir. Seuls quelques tableaux mangés par la poussière sur les murs, témoignent encore du dynamisme artistique qui régnait dans cette maison. Lui-même surmontait son abattement physique expliquant avec force conviction, quoique avec une mémoire vacillante, les différents courants artistiques et les techniques utilisées.

Artisanat d’art, sérigraphie, design, peinture d’art, Emmanuel Adambounou Dabla aura fait les deux métiers à la fois, l’un lui servant de supporter le quotidien tandis que l’autre constituait un exutoire pour ses rêveries et folies. Né en 1934, dans la grande famille de Plakou Mlapa de Togoville, il ne fit pas de grandes études comme ses camarades de classe Gilchrist Olympio et Edouard Edem Kodjo. Mais il commença très tôt la peinture apprise sur le tas chez le peintre Jacob Ohin, son certificat d’études primaires en poche. Et à force de lire les bouquins d’arts plastiques, il s’initia « tout seul aux différentes techniques et mouvements artistiques dont le cubisme qu’il raffole ». Entame d’une longue carrière sanctionnée en 1960 par le premier prix de l’indépendance pour les arts plastiques, et peu après en 1961 par une médaille d’argent à la 10ème Exposition d’Art et technique de Paris, juste derrière un certain Paul Ahyi. C’était le temps de sa splendeur.

L’art Dabla est une construction plurielle de techniques artistiques, un patchwork de formes tendant à faire alliage de ses connaissances dans le domaine. Mosaïste à souhait, il multiplie les couleurs et les parallélismes pour exprimer un univers peuplé de femmes faisant des gestes simples de la vie quotidienne. Des tableaux qui expriment non seulement les corvées des femmes au quotidien mais également leur féminité, avec un accent particulier sur les parties du corps, notamment les seins peints plus gros et arrondis. Les tableaux dégagent tous un fort penchant pour le cubisme. Ce qui se ressort des deux Jarre de corvée en diverses positions,  le vieux à la pipe, le Dernier coup d’œil, les coiffures et tresses contemporaines

Artiste maudit le vieux Dabla qui n’a jamais su profiter de son art malgré son immense talent ? On serait tenté de le dire mais on reste un tantinet triste au regard du travail de formation abattu par cet artiste au grand cœur, animé d’une générosité sans faille pour le genre humain. Il « s’était échiné à transmettre son savoir et son savoir-faire à plus de 200 artistes et artisans togolais qu’il nourrissait et logeait chez lui« , dit de lui Angelo Sanougah, son ancien élève, aujourd’hui artiste-designer reconnu de la place.

Au crépuscule de sa vie, alors qu’handicapé physique, il ne peut plus donner un coup de pinceau, et comme pour accompagner ses fils fortement influencés par son art, notamment l’aîné Ayaovi Sessofia, il a exposé avec eux du 4 au 21 février 2008. Histoire de permettre au public de jeter un coup d’œil sur ses derniers coups de pinceaux. Et bravache, il peut alors dire « je n’ai pas eu la célébrité de mes contemporains, mais j’aurai tracé la voie de mes successeurs et ai rempli de mon mieux ma putain de vie avant de tirer ma révérence. »
Reste quand même une question qui turlupine le visiteur au sortir de chez le vieux Dabla : pourquoi les artistes togolais si riches en talents n’arrivent pas vivre jusqu’au bout de leur art ? Comment faire pour qu’au soir de leur vie, ces hommes d’esprit puissent vivre dignement ? Plaise le ciel qu’un vrai ministère de la culture se construise dans le ciel de nos aïeux pour accompagner valablement les artistes dans leur démarche.

Article Tony Féda et reportage photo Gaëtan Noussouglo© Togoculture

En photo : Adambounou Dabla et ses oeuvres. Première publication le 3 avril 2008

Publié le 10 novembre 2009

 

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