Du 24 juin au 15 juillet 2017 se tient à Kinshasa (République Démocratique du Congo) la deuxième édition du festival de performances KinAct. L’ensemble de la programmation du festival se déroule dans la rue à la rencontre des citadins a constaté l’envoyé spécial de Togocultures à Kinshasa. La programmation unique en son genre est conçue et animée par le collectif Eza Possibles sous la houlette d’Eddy Ekété. Sous cette bannière s’épanouit une communauté radicale d’artistes habitée par l’utopie partagée d’un monde vécu par et dans l’action artistique. Alors que la première édition s’intitulait « Oyo nini » (« qu’est-ce que c’est ? », en lingala) pour désigner la surprise suscitée par la nouveauté d’une telle démarche, celle de 2017 est placée sous le signe de l’interaction et le dialogue, « Biso na bino – Transformation » (« nous et vous », en lingala) marquant ainsi une inscription dans la durée par l’approfondissement des relations entre artistes et publics, l’un et l’autre étant invités à se confondre.
Dans un paysage urbain travaillé par une transformation si rapide qu’aucun architecte ne parvient à en saisir les dynamiques – car entre le moment où il s’assoie à son bureau et celui où il en ressort le monde qu’il venait de quitter n’est déjà plus le même, dans un univers tentaculaire et chaotique, étalée là dans l’enveloppe d’un méandre du fleuve Congo au milieu d’une amazonie, juste face à Brazzaville, capitale de l’autre Congo (l’ensemble des deux villes formant une conurbation de pas moins de 15 millions d’habitants), au coeur de ce que le capitalisme a de pire à offrir (les richesses minières du pays étant avidement exploitées à des fins de technologies de plus en plus hautes, à l’instar du Coltan qui nourrit nos téléphones portables), le collectif Eza Possibles rend littéralement possible une forme de vie épanouie, libre, provocatrice, stridente mais toujours maîtrisée, obsédée par l’intensité poétique du moment présent dont aucune miette doit se perdre.
Dans une alchimie l’action physique se transmute en mots dans la bouche du chaland
Le déroulement de chaque journée du festival est le suivant : dans chaque commune, les artistes de KinAct s’installent près d’une maison partenaire (centre culturel ou atelier d’artiste) située dans un quartier populaire et y développe une programmation variée au cours de la journée et de la soirée, l’ensemble étant gratuit. Le matin sont proposés aux enfants des ateliers d’art plastiques pédagogiques, alors que l’après-midi et le soir se déroulent des performances et spectacles. La journée se clôt avec la nuit tombée par la projection de films et vidéos d’artistes. Sans en épuiser le sens, chaque action aborde une question de société dont le public va tenter de décrypter le message. Autour des performeurs, des médiateurs sont là pour organiser les échanges avec le public. Si le public est improvisé, tel n’est pas le cas des performances qui font l’objet d’une fine préparation tout en laissant le jeu nécessaire à l’interaction et à l’imprévu. En effet, une résidence de préparation a été organisée en amont des rencontres afin de valoriser les travaux collectifs et de renforcer les travaux artistiques et les ateliers pédagogiques en fonction du thème annuel.
Le propos est puissant, en plein accord avec énergie déployée. Dans une alchimie dont personne ne prétend détenir le secret, l’action physique se transmute en mots dans la bouche du chaland. Le public n’est pourtant pas initié. Il n’aurait sans doute jamais pu imaginer à l’instant d’avant de croiser sur son chemin une telle proposition. La grande rue défoncée à Selembao, l’une des communes où s’est tenue une résidence du 3 au 8 juillet 2017, partiellement transformée en cloaque depuis les dernières pluies que le sol n’arrive plus à évacuer, la circulation des voitures, camions et motos prend soudainement un autre cours. L’apparition de personnages fantastiques composées par les artistes génèrent des situations imprévisibles et font surgir une beauté dont on comprend vite qu’elle n’est autre que la forme cristallisé, « diamantaire » faudrait-il plutôt dire dans le contexte minier congolais, du monde dans lequel elle surgit (voir sur le site www.kinact.org le programme détaillé et la présentation des artistes). Au milieu de ce désordre qui se rajoute au désordre, les activités se poursuivent mais sont comme détournées avec l’attention des personnes en présence, car il se passe quelque chose d’encore plus imprévu que l’imprévu qui est pourtant déjà de norme. Malgré le choc et l’absence totale de sensibilisation à ce genre de démarches, et de familiarité avec ce qui motive ceux qui la font, le public tente de comprendre ce qui se passe, et de mettre des mots sur le sens de l’action qui se déroule devant eux, et très vite AVEC eux. En vérité, la participation du public est non seulement sollicitée, mais elle coule étrangement de source, d’une source plus cristalline encore que la plus belle pierre de la mine du Katanga, à laquelle Eza Possible et toute l’équipe de KinAct font cette année encore un vigoureux pied-de-nez.
Rendez-vous en 2018 pour la prochaine édition.
Pour toute information consulter le site de Kinact
Bernard Müller, pour Togocultures, envoyé spécial à Kinshasa