Arrêt sur image et Habbat Alep de Gustave Akakpo à l’Institut Français du Togo

L’Institut Français du Togo, IFT a eu l’honneur d’accueillir Gustave Akakpo, l’un des talentueux dramaturges togolais dans le cadre de sa tournée internationale qui l’amène au Sénégal et au Mali. Le nombreux public qui a fait le déplacement ce mardi 4 juillet 2017 a assisté au spectacle Arrêt sur image dans une mise en scène de Cédric Brossard grâce à un monologue de Kader Lassina Touré de la compagnie d’Acétés. Le mercredi 5 juillet 2017 a écouté une lecture électro du texte Habbat Alep à la la médiathèque de l’Institut Français du Togo.

Arrêt sur image, d’une durée de cinquante minutes, ce spectacle est un savant dosage de parole et de musique qui revisite les réalités de l’immigration clandestine à l’instar de la pièce de théâtre Atterrissage[1] de Kangni Alem. La mise en scène a choisi de poser le monologue du passeur sur une Bass Music issue des premiers Sound System jamaïcains assurée par Pierre-Jean Rigal. A travers cet accompagnement musical, il y a des transitions fluides et des lignes de basse puissantes qui figurent parmi les particularités de ces styles de musique urbaine. Une pièce de théâtre qui donne à écouter autant qu’à entendre. La musique ne s’arrête jamais, présente de bout en bout sans jamais être envahissante, tandis que le comédien navigue entre personnages, récits réels et paroles d’émigrés, au gré du propos et des situations pour nous livrer un résultat hybride à la frontière du concert slam électro et du monologue classique de théâtre.

Gustave Akakpo fait parler le portrait (arrêt sur image) d’un passeur faiseur de rêves. Pourtant son père le prédestinait pour le football, un métier patriotique, un passeur décisif. A défaut d’être un bon tireur, il est devenu un passeur d’êtres humains, de leurs rêves, de leurs espoirs. Celui qui reste à la frontière. Il y a des frontières que l’on peut franchir, d’autres que l’on ne franchit pas, dans un sens, pas dans l’autre… Il existe des gens qui font franchir ces frontières là : les passeurs ! Celui qu’on voit tour à tour comme un Robin des Bois des temps modernes ou un escroc vivant aux dépens des espoirs des indigents. Celui qui sert les intérêts des puissants ou celui qui permet la réalisation des rêves des plus démunis ? Quelles sont ses motivations ? Quelle est son histoire ? Il se vante de ses exploits, de l’argent qu’il gagne, de son pouvoir mais il sait aussi qu’il n’est qu’un des rouages d’une machine destructrice. Il en est un idéal… Alors il attend pour passer la frontière… En attendant, il converse avec son père, pour régler ce qui doit l’être avant le grand départ. La survie de la famille et des proches laissés et restés au pays est bien au cœur du projet comme nous le précise si bien Fatou Diome dans le Ventre de l’Atlantique : « Il me fallait réussir afin d’assumer la fonction assignée à tout enfant de chez nous : servir de sécurité sociale aux siens. Cette obligation d’assistance est le plus gros fardeau que trainent les émigrés. Mais, étant donné que notre plus grande quête demeure l’amour et la reconnaissance de ceux que nous avons quittés, le moindre de leurs caprices devient un ordre. »[2]

Habbat Alep

Le second spectacle raconte l’aventure d’un homme à la recherche de son identité et la protection de l’honneur familial.

Une vue du public à la médiathèque de l’IFT Photo: Adama Ayikoué

Parti à la quête de son identité, le neveu d’Abou se trouve être la solution cuite à point pour sauver l’honneur de la famille en épousant sa propre cousine suite à la grossesse que cette dernière s’est prise dans une société où cela n’est pas honorable pour une femme non mariée. Abou, le père, pour blanchir l’honneur de sa famille décide de marier sa fille à son jeune cousin. La fille, en fait une femme, presque la quarantaine, a encaissé sa vie de jeune femme au service d’un père et d’une mère malades. Elle a dû retrousser ses rêves pour aider sa sœur et son frère cadets à tracer leur vie hors du toit familial. Elle avait rêvé, elle-même, d’une vie de famille, mais les années ont couru et laissé leur haleine sur elle, et dans son pays les hommes préfèrent les filles qui ont encore leur jeunesse à croquer à bout de dents. Le jeune cousin, dont c’est la toute première venue au pays de son père, c’est le fils de l’absent. L’absent, c’est le frère d’Abou, le père. Ce frère qui a quitté famille et pays et qui a creusé des années de silence entre lui et les siens. En conditions normales de sa fierté et de sa quotidienne vie, Abou n’aurait pas accueilli son neveu, mais il n’a pas le choix.  Ce cousin est la solution rêvée, au grave péril qui met en jeu l’honneur de la famille : la fille, suite à une aventure crue de chair, sans lendemain, sans visage vers lequel pointer du doigt, s’est prise une grossesse dans une société où c’est un honteux esclandre qu’une femme non mariée prenne une semence d’homme dans le ventre. Le bouton d’Orient (Habbat Alep), c’est un des noms donnés à la leishmaniose cutanée. C’est cette chose encore en incubation mais qui risque bientôt d’exploser à la surface. Gustave Akakpo, l’un des dramaturges de renommée internationale a reçu grâce à ce texte Habbat Alep écrit durant une résidence d’écriture en Syrie (dans sa traduction allemande) le Prix du meilleur auteur 2008 du Festival Primeurs.

La lecture qui a une durée de soixante quinze (75) minutes est agrémentée par une musique électro qui plonge par moments le spectateur au cœur des situations. « Habbat Alep » est une lecture théâtralisée, mise en musique et construite telle une pièce radiophonique. L’auteur de la pièce interprète lui-même son texte. Le musicien accompagne cette lecture tantôt musicalement, tantôt grâce au sound design qui nous fait vivre en échos sonores des réalités… Il s’agit d’un voyage qui s’écoute, les yeux fermés si on le souhaite ! Prévue pour être représentée dans des bibliothèques, cette lecture-bruitage a besoin d’un endroit intimiste et la sérénité imposée par les rayonnages des livres de l’IFT reste idéal. L’auteur/comédien nous emporte au cœur d’Alep, en Syrie, rencontrer un homme à la quête de son identité : il va y rencontrer sa famille, et bien d’autres personnes…

Kossi Efoui ne dira pas autre chose que: « Quiconque ne pouvait chanter sa généalogie jusqu’à l’octave juste, jusqu’au Totem, était appelé l’Anomalie : quelqu’un dont l’apparence humaine allait compter pour contre-façon. »[3]

Gustave Akakpo et la Compagnie d’Acétés

Gustave Akakpo au cours de sa lecture à la médiathèque de l’IFT à Lomé Photo: Adama Ayikoué

Né en 1974 au Togo, Gustave Akakpo est auteur, illustrateur, comédien, conteur et animateur culturel ; il a été également président de l’association Escale d’Ecritures, créée à la suite des Chantiers d’écriture organisés au Togo en 2001 et 2002 par l’association Écritures Vagabondes. Il a fait plusieurs résidences d’écriture en France et à l’étranger. Il est l’auteur de livres pour enfants édités chez Grasset, l’Harmattan, Lansman… Ses pièces sont pour la plupart éditées et montées dans de nombreux théâtres et festivals. Gustave Akakpo a reçu divers prix et bourses.

La compagnie d’Acétés est une compagnie de théâtre professionnelle installée à Marminiac, dans le Lot en France, depuis 2007. Après avoir travaillé autour de la mythologie grecque, la compagnie s’est tournée vers les écritures contemporaines issues de la francophonie ayant un propos et un engagement forts, en lien particulier avec le continent africain. « Big Shoot » de Koffi Kwahulé a été la première création dans cette direction, alliant un auteur ivoirien, un comédien burkinabé et un autre français. En 2012, la compagnie créé « Trafiquée » de la canadienne Emma Haché en partenariat avec une compagnie camerounaise. Aujourd’hui, « Arrêt sur Image » de Gustave Akakpo, relie un auteur togolais, un comédien ivoirien, un musicien et un metteur en scène français. La compagnie d’Acétés tient à tout prix à cette diversité, car c’est dans la rencontre et l’échange, croit-elle, que les grandes œuvres naissent !

                                                                                           Adama AYIKOUE

[1] ALEM Kangni, Atterrissage, théâtre, Rééditions,  Graines de Pensées, Lomé, 63 p.

[2] DIOME Fatou, Le Ventre de l’Atlantique, roman, Editions Anne Carrière, Paris, 2003, pp 44-45.

[3] EFOUI Kossi, Solo d’un revenant, Editions du Seuil, Paris, Août 2008, p. 81.

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