Interview du rappeur Elom 20ce : Donner un produit de qualité aux mélomanes

Elom20ceLe verbe toujours haut et la tête pleine d’astuces, musicales ou non, pour valoriser authentiquement l’Afrique, Elom 20ce, jeune rappeur togolais, architecte de plusieurs concepts originaux dans l’univers du hip-hop du Togo, s’apprête à lancer son premier opus. « Analgézik ». En attendant, il livre à www.togocultures.com une photographie des nombreux pupitres sur lesquels il s’échauffe.

Togocultures: Qu’est-ce qui fonde votre engagement musical à travers le rap ?

As-tu l’impression que ce monde tourne rond ? Tout commence par des frustrations personnelles, qui, après réflexion, se révèlent être liées à des situations plus générales d’injustices orchestrées. Quand la rétine côtoie quotidiennement une indigence qui ne dit pas son nom d’un côté, et un luxe macabre de l’autre, tu te poses des questions. L’engagement naît de là. Quand le cerveau sature, tu l’apaises en saignant des pages vierges, tu écris. Ce texte dit sur une instrumentale donne le rap, musique qui, selon moi, permet de mieux vomir tout ce malaise.

Togocultures: L’Afrique revient très souvent dans vos textes ; pourquoi ce désir de vous engager pour la cause du continent noir ?

Parce que l’Afrique est un continent sous oppression depuis des siècles ! Les formes varient mais l’oppression, elle, demeure. L’Afrique se porte mal, les Africains souffrent trop. Nous souffrons trop. Ce qui n’est pas normal et logique. Nous avons tout pour être heureux, bien vivre. Mais regarde l’état de l’Afrique. Une jolie fille riche qui se prostitue pour que dalle. Une autre Afrique est possible, et ce n’est pas avec des larmes que nous allons la bâtir. L’oppression se nourrit du silence et de l’inaction. En tant qu’Africain, on a une partition à jouer pour créer un cadre de vie autre que celui dans lequel nous sommes actuellement.

Togocultures: Votre approche de la scène rapologique est multiple. Elle n’est pas fondée uniquement sur l’écriture et la mise en musique de textes de hip-hop. D’où vous vient cette posture dans l’univers du rap togolais ?

Je dirais plutôt que l’approche de l’engagement est multiple. La scène rapologique n’est qu’une des couleurs qui se dégage de ce prisme qu’est le militantisme. J’ai constaté que ce n’est pas tout le monde qui écoute le rap, et qu’il existe d’autres outils de communication, de dénonciation. D’où la création, au sein du label « Asrafo Records », des concepts tels que « Arctivism », «Cinéreflex » et « la Feuille et le papier ». Concepts qui sont dans la même ligne directrice que mon univers rapologique : susciter le débat et faire réfléchir les gens.

Togocultures: Pouvez-vous nous parler de ces concepts ?

« Arctivism », c’est un néologisme né de la contraction des mots « art et activisme ». Il désigne le militantisme sociopolitique porté par le biais de l’art. Ce concept a pour but principal de hâter l’avènement des « Etats-Unis d’Afrique » par la conscientisation des masses africaines sur le panafricanisme, à travers la culture et l’éducation. Comme moyens d’actions, il faut noter l’art oratoire, la peinture, la danse et surtout les films documentaires sur l’histoire du tiers-monde, en général, et des grandes figures du monde noir, en particulier. Accompagné des artistes de la place qui partagent la même vision, nous sillonnons depuis octobre 2009 les différents quartiers de Lomé, et des villes du Togo (nous étions en août à Kpalimé) à travers les Centres culturels partenaires, pour porter le message aux populations. « Cinéreflex » est la contraction des mots « Cinéma et Réflexion ». Oui, on aime les néologismes (sourire). Bon, j’essaye d’être sérieux… A la différence « d’Arctivism », on publie chaque mois un documentaire, non sur une personnalité qui a marqué l’histoire de l’Afrique, mais sur des situations, des faits historiques liés à l’Afrique comme la colonisation, l’esclavage, etc. Il est suivi de discussions et de débats très intéressants. Il a lieu tous les seconds dimanche du mois au Centre Culturel Denyigba. « La feuille et le papier » quant à lui, vise à découvrir les vertus des plantes et des livres qui selon nous méritent d’être lues. Pour la première édition, l’ouvrage « L’Afrique doit s’unir » de Kwame N’khumah ainsi que la plante médicinale et diététique le Morenga ont été présentés aux participants, lors du festival « Africa must unite » qui a eu lieu au Centre Mytro Nunya en août dernier.

Togocultures: Le choix et la formulation de votre nom d’artiste a forcément un lien étroit avec cet engagement…

Mon nom d’artiste, c’est mon faux pseudo (rires). Comme à l’armée, « Echo Lima Oscar Mike matricule 20 Charly Echo », ça donne Elom 20ce (lire Vince) aka Elom Kossi. L’engagement-là, rester soi, comme on est, rester vrai, ce n’est pas facile. Je me retrouve totalement dans Elom Kossi : un garçon né le jour du soleil aimé par Dieu. C’est mon identité. Si je garde Elom 20ce, c’est surtout pour assurer une continuité dans mes œuvres rapologiques. Sinon c’est Elom Kossi. Combien d’Européens prennent des noms Africains ? Retourner aux sources pour un déraciné, c’est aussi de l’engagement.

Togocultures:  Parmi les héros des combattants pour une Afrique réellement indépendante, lesquels vous ont le plus marqué et pourquoi ?

Bah, la liste est longue… (Soupirs). Je dirai Kwame N’krumah pour la vision, Thomas Sankara pour l’audace et Amilcar Cabral pour la stratégie.

Togocultures: L’artiste, quoiqu’il fasse est en situation, disait Sartre. Toutefois, comment expliquez-vous le mutisme troublant de la plupart des artistes musiciens du Togo sur les divers maux dont est victime leur pays depuis 1990 ?

Je pense que ces artistes pourront mieux répondre à cette question ! Mais quand je vois la marginalisation que subissent tous les artistes engagés de par le monde, et le souci de vivre de leur art, je crois que la réponse y est. Quand je pense à Franklin Bukaka et la manière dont il a été liquidé, le combat de Myriam Makéba, et autres, combien d’artistes aimeraient subir cela? Bref, il faut remplir le frigo et vivre confortablement. La musique engagée n’apporte pas facilement cela.

Togocultures: Depuis près de deux ans, vous résidez à Accra (au Ghana) pour des raisons professionnelles. Quels sont les principaux enseignements que le monde de la musique togolaise peut tirer de l’organisation de la sphère des artistes musiciens ghanéens ?

Sincèrement, je ne sais pas trop ; je ne suis pas bien placé pour répondre à cette question. J’ai juste constaté qu’à Accra, la qualité du son est nettement mieux et qu’il y a plus de cadres offerts aux artistes pour s’exprimer. J’en déduis que les ingénieurs sont mieux formés et équipés par exemple. Qu’il y a plus d’espaces culturels disponibles (en même temps, il est clair qu’en terme de superficie, Accra et Lomé, ce n’est pas la même chose). La musique locale est très appréciée et consommée au Ghana. Grosso modo, la musique à Accra semble être encadrée par des passionnés et des professionnels.

Togocultures:  Quelles sont les tendances musicales togolaises qui ont la cote au pays de Kwame N’krumah ? Cela se justifie-t-il d’une manière ou d’une autre ?

Franchement, je n’en connais pas. Après, j’avoue ne pas être télé et radio locales. Mais je pense que cela dénote du manque d’échanges entres peuples frères en Afrique. Les barrières linguistiques en termes de langue des ex-colons en sont peut-être pour quelque chose.

Togocultures: En dehors des raisons financières, pourquoi le premier album d’Elom20ce demeure une « Arlésienne » ?

La qualité… Donner un produit de qualité aux consommateurs. Rien de plus.

Togocultures:  Est-à-dire que votre premier opus ne devrait plus traîner ?

L’objectif est de le sortir avant la fin de l’année. Mais bon, on a récemment lancé le clip « Levons les voiles » tiré de la mixtape « Rock the Mic Vol.2 » qui a rassemblé des artistes de plusieurs pays qui croient en une Afrique Indépendante et Forte. Il est en téléchargement gratuit sur la toile ainsi que le maxi « Légitime défense ». Des apparitions à gauche et à droite comme sur le dernier album de Eric Mc ou sur l’album « Braquage à l’Africaine » de RAO Staff sorti en France en septembre dernier. Donc, de quoi faire supporter la patience, l’album « Analgézik » arrive bientôt. Il sera dans toutes les bonnes pharmacies (sourires).

  Interview réalisée par Edem Gadegbeku © Togocultures

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