Une soirée de dédicace inhabituelle

Une œuvre romanesque peut-il être lue pour ce qu’elle est, indépendamment de la personnalité ou de la fonction de l’auteur ? Normalement la question ne se pose pas, on lit des romans sans savoir souvent aucune information sur les auteurs. Mais il peut arriver que le contexte ou la personnalité de l’auteur peut influer beaucoup l’œuvre et le regard que le public lui porte. Gerry Taama, officier de l’armée togolaise en mise en non-activité, récemment entrée dans le cercle très fermé des littérateurs togolais l’a expérimenté, peut-être à ses dépens lors de la dédicace de son roman Parcours de combattants (Editions Harmattan, 2009), mardi dernier au Centre culturel de Lomé.

Malgré une animation et une modération de qualité assurée par l’écrivain Kangni Alem, lequel Alem a rendu extrêmement intéressant la lecture de ce roman qui laisse quelque peu le lecteur sur sa fin, la plupart des questions qui ont fusé à la fin de la présentation concernent la personnalité et le métier de l’auteur. Comment un militaire peut-il s’intéresser à l’écriture au point d’écrire un roman ? A la limite Gerry Taama se présentait comme un extra-terrestre dans un milieu dont se méfient la plupart de ses concitoyens. Il y a même un auditeur qui est allé jusqu’à demander qu’on aille organise des séances de lecture dans les casernes ! Visiblement gêné aux entournures, Gerry Taama subit à ses dépens son audace de rejoindre la communauté des écrivains togolais, un landerneau où les critiques et les coups bas ne manquent pas. Il devra s’y habituer. D’ailleurs le public était là nombreux rien que pour le voir …comme s’il est un phénomène de foire.

Pourtant, il y a beaucoup de choses à dire sur ce roman. Il s’agit en fait d’un polar écrit dans une langue vite et vive dans laquelle l’auteur croque la société africaine d’aujourd’hui à travers le milieu interlope des détenteurs du pouvoir, de l’armée et des services de renseignements, le tout cousu sur fond d’une folle histoire d’amour entre un casque bleu français Jérome de Bercenay, un blanc-bec, et l’Africaine Aurore Bitimiku, une nymphe à l’intelligence vive et la haine tenace, le tout sur fond de bruits de bottes dans un pays en proie à la guerre civile. Une histoire à l’eau de rose qui a donné prétexte à l’auteur pour exposer des incongruités de nos sociétés. Entre les deux amoureux, s’insère le héros de cette malaventure, Ba-Yoko, un saint-cyrien qui rassemble à la fois les caractères d’un Robin des bois, l’efficacité d’un Rambo et les méchancetés d’un barbouze. Un géant au grand-cœur, un brave efficace et cynique, avec un esprit très retors, qui laisse au lecteur le sentiment que c’est l’auteur qui se déteint sur son personnage. Jérôme aime Bercenay, celui-ci est très ami à Ba-Yoko, mais ce dernier tue froidement en mission, dans des circonstances obscures, le père d’Aurore, le Professeur Bitimiku. Aurore va alors chercher à se venger.

Quoi de plus banale et normale que cette vendetta digne d’un Harlequin. Quand une histoire d’amour commence comme cela, on sait comment ça va finir. Mais le lecteur est gagné par la surprise, emballé très vite dans cette relation tripartite, un faux ménage à trois, prétexte pour l’auteur pour mener le lecteur dans des péripéties incroyables faites de rebondissements, de prises d’otages à travers tous les théâtres de guerres civiles d’Afrique, dans un pays imaginaire aux frontières indéfinies mais qui peut bien être le Congo-Kinshasa, la Côte d’Ivoire, le Togo (le pays n’a pas beaucoup de routes et guère de rocades, ces transversales qui manquent à Lomé) , ou tout autre pays malade d’Afrique. On se croirait au cinéma !

Quoi de plus normal pour parler d’une société anomique que de l’observer pendant une période de guerre, moment fort où très souvent toutes les normes sociales se désagrègent rapidement, les âmes bien nées font des diableries, les hommes s’avilissant jusqu’à leurs bas instincts. Dans ce chaos général, les hommes ne savent plus généralement ce qui est bien et ce qui est mal, tordent le coup à la morale et croient que la fin justifie les moyens. Il y a ce Président pittoresque (est-il un voleur d’élections ?), des gardiens de prison violeurs de prisonnières et massacreurs de prisonniers, un député-directeur de prison pédophile (quelle République ?!), un barbouze qui a le sens de l’Etat et qui signe des alliances diaboliques avec des rebelles massacreurs de leurs peuples ; et des hommes politiques qui font les choses comme il faut «seulement quand il s’agit de brader nos ressources minières et agricoles au rabais ». Adorable, non ?

C’est également pendant les temps de guerre ou de crise que les relations sentimentales deviennent plus fortes, comme si les êtres humains naturellement si lâches dans leurs sentiments en temps de paix, deviennent soudain conscients de leur fragilité et se mettent à s’aimer par instinct de survie.

Le narrateur navigue dans cette espèce de flou moral, pour interroger la conscience des hommes.

Reste quand même des passages qui laissent quelque peu dans la perplexité et interrogent sur la personnalité du narrateur. On voit notamment des colonels qui condamnent dans le secret le système politique mais sont des putschistes velléitaires, incapables de prendre le pouvoir même quand il est par terre. Ressemblent-ils à des militaires d’un pays ? Ou comme ce passage assez ambigu sur les droits humains, où le lieutenant Ba-Yoko justifie certaines bavures militaires pour éviter un plus grand massacre au nom de la sacro-sainte protection des droits de l’homme. Le narrateur louvoie au risque de conduire le lecteur vers une philosophie du nihilisme. Est-ce de la provoc ?

C’est en somme un assez présentable polar d’action, un vrai roman de guerre, plein d’actions et de vivacité, d’intrigues de pouvoir, le suspense garanti jusqu’au bout. Le seul regret est que l’auteur ait manqué de s’attarder sur l’analyse psychologique des personnages, ce qui donne l’impression d’un roman inabouti. Un roman qui vient de la part d’un auteur féru d’informatique, d’électronique et de NTIC, nourri de romans policiers et de films de guerre américains.

Tout le mérite est pour ce jeune officier qui vient de démontrer qu’il n’est pas n’importe quel militaire des FAT. Certes Gerry a son univers propre, mais son style vif, tranchant et rapide mis à part, on pourrait risquer de le rapprocher de l’écrivain Théo Ananissoh qui a plutôt une langue assez douce. Mais les deux sont en train de baliser le chemin pour un genre romanesque, le polar togolais, adorable et abordable pour les lecteurs. Car après tout, n’est-ce pas l’ambition de l’écrivain que d’être compris de son lecteur ?

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