Roman : Note de lecture: Chroniques de la caserne

Gerry Taama est un lieutenant des forces armées togolaises qui a pris une mise en « non activité » pour se consacrer à d’autres passions. Une prouesse pour un militaire togolais! D’autant plus que dans l’imaginaire national, un militaire c’est avant tout un rustre, en tout cas un personnage bourru, peu éduqué, passablement poli ; un cancre désœuvré pour exécuter les sales besognes d’une certaine dictature. Ajouté à cela qu’il vient de créer une maison d’édition, c’est dire que Gerry Taama constitue curiosité nationale.

Et ce Nawdeba de Siou, préfecture de Doufelgou, n’a rien trouvé de mieux que consacrer une partie de son temps à la littérature. Ça n’a pas l’air de ressembler à un militaire. Il vient de faire paraître un second livre, un recueil de nouvelles titré Chroniques de la caserne (Editions Moffi, octobre 2010). Lequel second livre précède un premier roman, Parcours de combattants (Harmattan 2008, Moffi 2010, Prix Littéraire de la Saint-Cyrienne), c’est dire plus ou moins l’intense activité intellectuelle déployée par cet ex-militaire.

La fiction du lieutenant Taama est assourdissante de bruits de bottes, de véhicules militaires, de cliquètement d’armes, mais aussi de vocabulaires et d’idiomes militaires plus ou moins ennuyeux mis en note de bas de page; l’auteur y déroule un héros cornélien empreint d’empathie et de cynisme qui aime relever les défis et a un sens élevé du devoir. Presque vertueux. C’est le cas du héros de Parcours de combattants ; c’est également le cas du lieutenant Gray Tamera (anagramme de Gerry Taama), le cynique sympathique homme d’action de Chroniques de la caserne qui traverse les cinq nouvelles du recueil.

Gerry Taama dévoile ainsi le militaire tel qu’il le voit ou le pense, un homme d’honneur, un brave, ambition avouée ou inavouée, consciente ou inconsciente de rectifier les traits du militaire tel qu’ils se présentent dans l’imagerie nationale. Mais il nous est loisir de confondre facilement Gray Tamera au lieutenant Gerry Taama, auteur dont on peut dessiner facilement le portrait-robot.

A part la première histoire qui se déroule dans une région de France, les quatre autres se produisent en terre togolaise et Gerry Taama nous emmène explorer des territoires qui nous sont connus : fétiches, sexe et compagnie, élections sous haute tension, urnes sécurisées et transportées (et non volées !) par les militaires, cocktails Molotov et soulèvements populaires. Des histoires peut-être déjà connues mais que l’auteur réussit avec une prouesse étonnante à présenter sous un visage nouveau.

Les élections sont souvent source de soubresauts sociaux en Afrique, de renversements de régime et donc de soulèvements populaires. Dès qu’il y a une répression, on pointe directement et vite du doigt les militaires d’avoir eu la gâchette trop facile. Peut-être qu’on n’oublie trop souvent les conditions dans lesquelles ces jeunes sans formation assurent la sécurité des manifestations. On oublie trop souvent le déchaînement des foules, surtout les jeunes, aiguillonnés et instrumentalisés parfois par des politiques peu scrupuleux. Que fait un militaire armé devant un enfant qui lui jette un pavé dans la frimousse ? Que fait un militaire devant la douleur de son camarade dont l’œil est exorbité par une bille tirée à partir d’un lance-pierres ?

Quand il il action, l’adrénaline monte et bien entendu les passions et les actions se déchaînent. Mais ce n’est pas une raison pour massacrer les manifestants. Et Gerry Taama raconte ses drames dans une prose rapide, plaisante, sans fioritures.

La littérature n’existe vraiment que lorsqu’un écrivain est capable de dire son rapport au monde, de « manifester et d’imposer une vérité », ce que vit son monde, selon Simone de Beauvoir. Dans son premier roman, on peut faire le reproche à Gerry Taama de faire une littérature de bazar, pour touristes d’aéroport.

Dans le cas de Chroniques de la caserne, difficile de tenir encore ce discours. Il livre ici son rapport au monde, celui d’un militaire qui veut qu’on le voit comme un humain comme tout autre. Ses chroniques de la caserne donnent beaucoup de leçons aux hommes des casernes et aux civils. Avec Gerry Taama, on se rend compte vite aussi que la littérature c’est aussi raconter une très émouvante histoire et que l’évasion est au cœur de la dynamique de l’écriture.
Gerry Taama, Chroniques de la caserne, Editions Moffi,2010

Tony FEDA©Togocultures

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