Roman: Dans les méninges de Lawson-Body

Daniel Lawson-BodyA peine paru, le premier roman de Daniel Lawson-Body, La Déméninge, aux éditions Graines de Pensées à Lomé, a subi l’assaut de la critique journalistique. Signe que la littérature togolaise est en bonne santé, et que sa réception ne laisse pas tout le monde indifférent. On peut résumer l’histoire des relations entre le tout nouvel écrivain et la presse comme celle de l’arroseur arrosé. Universitaire, Daniel Lawson-Body était considéré comme un critique féroce avant que l’envie ne le prenne de passer du côté de la création. Normal, en somme, que la critique s’accapare de son travail et le juge, sans état d’âme. Mais l’universitaire ne l’entend pas de cette oreille. Sur ce premier roman, et sur les critiques formulées à son encontre, le romancier nous propose son éclairage, pour prolonger le débat.

Togocultures.com : Daniel Lawson-Body, dans le milieu littéraire, vous êtes surtout connu comme un critique redouté : qu’est-ce qui constitue l’essentiel de la critique que vous faites aux œuvres qui vous tombent sous la main ?

Daniel Lawson-Body : Critique redouté, ce n’est surtout pas un qualificatif dont on saurait tirer un brin de gloriole ou un motif de satisfaction. Disons que je suis sans complaisance quand il m’arrive de porter une attention particulière à une œuvre  non dans le souci de la détruire ou de la minorer, encore moins de me farcir son auteur, ce qui n’a pas grand intérêt, et vous comprendrez pourquoi plus tard, mais avec plutôt l’intention d’apporter à celui-ci, des outils et des perspectives nouveaux pour lui permettre de se bonifier dans son domaine.

Alors pour ce qui constitue l’essentiel de la critique que je fais sur les œuvres qui me tombent sous la main, je voudrais dire que c’est à travers la méthode que je décide ou choisis d’appliquer à une œuvre que je tente , par une lecture de dévoilement, de me faire plaisir ou de construire un texte second car, faut-il le rappeler, la critique, c’est toujours du texte sur un premier texte qui lui préexiste. Cette méthode n’est qu’une parmi plusieurs car aucune d’entre elles ne saurait épuiser l’œuvre ou lui trouver un sens canonique. Et toutes se valent. Vous comprenez que, fort de cette vérité, un critique se doit impérativement d’être humble nécessairement, mais sans complaisance. Et dés lors qu’il a annoncé l’approche critique qu’il décide d’appliquer à l’œuvre, c’est dans la rigueur de celle-ci qu’il l’éclaire désormais d’un jour nouveau.

Togocultures.com : Vous connaissez, pour ainsi dire, parfaitement le milieu littéraire togolais : quelle présentation en faites-vous ? Quel ingrédient ou quel grain de sel manque surtout à la littérature togolaise pour lui donner une carte de visite respectable ?

La DéméningeDaniel Lawson-Body : Le milieu littéraire togolais ? Je préfère parler du champ littéraire togolais, pour dire que sur ce que j’en sais et observe, c’est un microcosme qui est en pleine évolution et qui connaît des hauts et des bas, mais beaucoup plus de hauts aujourd’hui que de bas. Cela est dû justement au travail combiné des critiques universitaires et des écrivains eux-mêmes, depuis des décennies pour sortir notre littérature d’une léthargie anesthésiante qui l’a menacée dangereusement dans les années quatre-vingts. Aujourd’hui, il y a tout lieu de penser qu’elle est en train de s’affirmer au regard de la qualité des œuvres produites, car il y a eu du travail de fait au plan de la narration, de la créativité et de l’inventivité, avec à la clé une meilleure compréhension de ce qu’est un roman, de la conception romanesque, du récit, de la structuration du texte, en prenant en considération le travail qui est fait au niveau des personnages, de l’espace, du temps, de l’écriture, du récit, de l’esthétique, de la vision du monde, de l’idéologie, etc. Ce sont là les ingrédients qui avaient manqué ou n’avaient pas été suffisamment étudiés et exploités me semble-t-il, dans la production romanesque au Togo par le passé. Et à ce propos, permettez que je lève une équivoque dangereuse, voire pernicieuse. Quand on parle de renouvellement d’une écriture, ce n’est surtout pas comme semblent le défendre certains néophytes de la chose littéraire, un renouvellement du style fait désormais de saupoudrage du texte avec des barbarismes, des anglicismes, des néologismes, des mots-valises etc.… comme j’ai eu à le lire quelque part. C’est plutôt tout ce dont je viens de parler qui entre en considération. S’agissant des autres genres, j’observe qu’ils se développent bien et donc participent à leur niveau aussi à cette vitalité de la littérature togolaise que nous notons aujourd’hui. Je pense tout spécialement au théâtre. Il est à déplorer cependant que dans ce processus, les femmes restent encore à la périphérie et c’est bien quelque chose dont je me désole profondément, parce qu’elles doivent saisir de mon point de vue, l’opportunité historique qui s’offre à nous tous aujourd’hui dans la conquête des espaces de liberté, pour faire connaître la parole de la femme, qu’elle soit togolaise, africaine ou femme tout simplement.

Togocultures.com : Votre roman s’intitule La déméninge, une sorte de mot-valise, composé de « déménager » et de « méninge » : avez-vous pensé que le titre pourrait éventuellement décourager tout de suite le lecteur ? Que signifie en définitive « déméninge » ?

Daniel Lawson-Body : ’’La Déméninge’’ est un néologisme formé à partir du préfixe dé, préfixe ablatif qui veut dire « sortir de quelque chose », « extraire de », et de méninge qui renvoie au cerveau. Ce titre fait référence à un déménagement cérébral. Non, en créant ce mot, je pensais plutôt aiguiser, chatouiller la curiosité des lecteurs potentiels au lieu que de les effaroucher. Je pense de ce point de vue, avoir atteint mon objectif si j’en juge par la déclinaison que connaît ce mot aujourd’hui. Que de fois n’ai-je pas entendu des gens de tout acabit aller sur la forme verbale’’ déméninger’’ qu’on peut tirer tout légitimement de ce premier mot ? C’est dire si le terme est promis quelque part à un certain avenir, ou à un avenir certain.

Togocultures.com : Parlez-nous de ce roman, de sa genèse et de sa composition : gésine difficile ou facile pour le professeur et critique que vous êtes ?

Daniel Lawson-Body : Parler de ce roman, de sa genèse, c’est parler de mon projet, des conditions qui ont participé à son accouchement, de ce qui le différencie par rapport à d’autres œuvres qui lui ont pré-existé, de ce qu’il leur doit dans la logique de ce que, dans notre jargon, nous appelons l’intertextualité etc. Sur le projet, disons que l’objectif a été double : décliner des ambitions, cajoler le passé. ‘’La Déméninge’’ est un condensé des thèses et des crédos littéraires qui sont miens en tant qu’enseignant de littérature. C’est donc la mise en musique de ces croyances, de ces convictions qui constituent la substantifique moelle de cette œuvre. Elle n’est pas comme les autres, ce qui est une Lapalisse. C’est un peu comme une démonstration par la preuve. L’ambition, c’est de montrer que dans un roman, ce qui arrive, c’est plus l’aventure d’une écriture que l’écriture d’une aventure, la formule est de Jean Ricardou, en enseignant finalement que c’est bien l’écriture, le récit et non le contenu qui fondent un roman. C’est de la célébration de l’épiphanie, du récit dont il est question dans ce roman, et donc, mutatis mutandis, de l’aggiornamento de l’écriture et de l’écriture seule à qui il a fallu payer tribut. Conséquences : dans ‘’La Déméninge’’, l’essentiel se donne à lire dans la construction, dans le montage et les techniques du roman. Pas de combat au sens classique du mot, pas de vision du monde à enseigner, pas d’engagement au sens traditionnel du mot, pas d’idéal à proposer, mais la revendication de la puissance de la création avec le pouvoir donné à l’imagination, à la subjectivité, à l’inventivité, au fantasme, nonobstant des éléments réels qui parcourent le texte, le renoncement à l’identification, l’intérêt porté sur les structures.

Au premier double jeu fait chorus un autre, qui a été une préoccupation à la genèse de ce roman. Il s’est agi pour moi de prendre appui sur la critique universitaire savante, en même temps que la recherche du contact avec le lecteur ordinaire, en lui apportant ce que l’écriture et la lecture des romans a nécessité depuis ces dernières décennies, les différentes mutations du genre, en veillant surtout à ne pas l’effaroucher. Enfin, il a été question pour moi de faire descendre des frontispices du savoir et de l’enseignement théorique littéraire de nos amphis, le mot roman et tout ce que cela recouvre, pour donner plus de crédibilité à nos propres critiques des œuvres d’autrui. Alors, je suis descendu dans l’arène et cela a déméningé en donnant à nos méthodes critiques, l’antidote nécessaire à leur caractère incantatoire. C’est ce que tentent de poser comme problème, le prologue et l’épilogue. De ce point de vue, ‘’La Déméninge’’ a vocation à agir comme un élixir de jouvence.

L’histoire dans ‘’La Déméninge’’ reste pour moi le moyen le plus pratique, le plus commode pour garder le contact avec les lecteurs ordinaires. Ils ont leurs habitudes de lecture solidement établies. Ils ont leur moule. Il n’était surtout pas question de les bousculer sous prétexte de leur donner de nouvelles pratiques, au risque de les priver de leur plaisir et des prismes à partir desquels ils l’atteignent. Toute nouveauté dans ce domaine est frappée de suspicion. Il en est de même dans celui de la sexualité. Finalement ce roman est une rhapsodie attachante de faits réels et imaginés.

Togocultures.com : Le critique ne s’est-il pas préoccupé d’éviter les carences et les écueils relevés dans les autres œuvres, plutôt que de se laisser aller au plaisir de la narration ?

Daniel Lawson-Body : De toute évidence oui. Je ne pouvais pas me lancer dans l’écriture de ce roman en faisant barre sur tout ce que j’ai eu à combattre ou à reprocher à mes devanciers. Ceci dit, permettez que je clarifie ici aussi, la notion de l’écrivain qui se laisse aller au plaisir de la narration comme vous dites. C’est bien volontiers et délibérément que j’ai donné une retraite anticipée à tout plaisir de la narration comme vous me le suggérez, pour aller sur la jouissance de la narration à travers une structuration particulière du texte de ‘’La Déméninge’’, ce qui a participé quelque part d’un déménagement évident. N’oubliez pas que je tiens du nouveau roman français, et que par rapport à ce courant de pensées, la narration classique qui semble aller de soi n’a pas place dans la conception et l’écriture d’un roman.

Togocultures.com : Après le premier café-littéraire le jeudi 23 avril 2009 à Lomé, deux réactions ont été publiées sur www.togocultures.com et sur le blog de Tony Féda. La critique des deux réactions a surtout porté sur la pureté de la langue française que vous défendez alors que vous-mêmes mêlez plusieurs registres de langue. Elles ont aussi souligné la « paillardise », les « ribauderies » dans le texte : les avez-vous lues, ces réactions ?

Daniel Lawson-Body : Des deux réactions dont vous parlez, je n’ai lu que celle de Tony Féda. Globalement, il faut malheureusement déplorer que l’auteur de cet article ait lourdement perdu de vue la définition élémentaire de ce que c’est qu’une critique et plus spécifiquement une critique littéraire, au point d’en arriver, avec une légèreté déconcertante, à manquer de discernement et d’humilité, deux impératifs qui font de tout chercheur, un homme de science et de référence. Sur la substance et l’essentiel de la critique qui m’a été faite, surtout celle relative à la pureté de la langue française que je défendrais, je tiens à dire ceci : je ne défends rien, j’aime et enseigne une langue et à chaque fois que des entorses lui sont faites par ignorance, je me dois, comme tout autre enseignant de cette langue, de tirer la sonnette d’alarme. Du reste, c’est bien pour cela que je touche un salaire tous les mois et ceci depuis des décennies. Quand j’ai entre mes mains des copies d’étudiants qui aspirent à être des spécialistes de la langue, qui postulent à en être des orfèvres et des ciseleurs et que je note dans ces copies des fautes grossières qui conduisent à un schisme consommé avec cette langue-là, oui je ne peux que sanctionner pour enseigner la norme. A présent, parlons de la grosse hypocrisie qui consiste à condamner la paillardise et les ribauderies dans ‘’La Déméninge’’. A ce propos, allons sur mes réactions suite à ces critiques. Globalement, j’estime que le compte rendu de lecture de Tony Féda, n’est pas et ne saurait constituer pour moi une critique.

Togocultures.com : Le « TVA : trou vachement agrandi », c’est quand même salace : avez-vous pensé pendant l’écriture que le « TVA » allait susciter l’indignation plutôt que l’amusement ou le rire ?

Daniel Lawson-Body : Oui c’est franchement salace cette histoire du ‘’TVA’’ ; mais ceci accordé, je ne partage pas du tout l’affirmation qui insinuerait qu’elle a déclenché au plan de l’esthétique de la réception, plus d’indignation que de rire ou d’amusement, car de mon point de vue, c’est plus d’hilarité dont il faut parler. Dans tous les milieux où j’ai eu à la raconter, c’est ce que j’ai constaté ‘’de visu’’. Gardons-nous des affirmations gratuites, tant que nous n’avons pas tenu des statistiques qui fondent ce que nous affirmons. A présent, parlons quand même un peu de ce qui a semblé susciter l’indignation chez certains lecteurs. J’observe qu’il y a ici aussi beaucoup d’hypocrisie, et la volonté de célébrer au 21e siècle, un puritanisme ranci et désuet dans un monde où de plus en plus, la sexualité est enseignée dans nos écoles, et où le sexe est une réalité quotidienne sur les petits écrans de nos postes téléviseurs et dans les chansons que fredonnent nos enfants, car quel mal, quel scandale y a-t-il à dire qu’un sexe féminin est vachement agrandi alors que c’est bien à cela qu’il est promis tout naturellement. Autrement, comment la femme ferait-elle pour enfanter ? De cette réalité, n’avons-nous pas l’expérience ? Lorsque Pierre Péret chante ‘’le zizi’’, qu’il dit qu’il y en a des laids, des beaux, des courts, des longs, des gros, des petits etc.… et que ce morceau passe à la radio, cassez-vous votre poste ou êtes-vous amusés ? Il en va du zizi comme du sexe de la femme. Que se passe-t-il sexuellement le jour où la jeune fille fait sa première expérience sexuelle au niveau de son organe génital ? Quand ça se passe dix fois, vingt, trente, cinquante ou cent fois, quel constat fait-on sur cette question de l’agrandissement ? Non, je crois qu’il faut faire le deuil à cette attitude des vierges effarouchées qui, à la vue d’un sexe masculin, se prennent le visage entre leurs deux mains tout en ayant soin de laisser une bonne fenêtre entre les doigts afin de mieux se délecter du spectacle. Un sexe, qu’il soit masculin ou féminin doit normalement croître exactement comme tous les autres membres du corps. Autrement, il souffre d’une atrophie et nécessite des soins appropriés.

Togocultures.com : Quels sont vos projets immédiats : roman ? Pièce de théâtre ? Recueil de poésies ? Essai ? Quelle va être la prochaine œuvre de Daniel Lawson-Body ?

Daniel Lawson-Body : La prochaine œuvre de Daniel Lawson-Body, c’est le travail sur le tome 2 de ‘’La Déméninge.’’

Propos recueillis par Mawo Tingayama©Togocultures

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