Poésie : Gnoussira Analla : Le poète discret au verbe râleur

Le poète Gnoussira Analla
Le poète Gnoussira Analla

On est souvent frappé par la sobriété avec laquelle Gnoussira Analla se présente lui-même : date de naissance : 1954, fonction : enseignant ; loisir : poésie. Et pourtant, Analla est sans conteste un grand poète, l’un des meilleurs que compte le pays. Sa plume ne manque pas de retenir l’attention tant elle est alerte, incisive mais toujours tournée vers une archéologie du for intérieur de l’être humain et se jouant aussi bien de la langue de bois que de la grammaire-pénitence.

En 1980, alors qu’il était encore un jeune étudiant au Département d’anglais de l’Université du Bénin, il se signala par une remarquable plaquette Morte saison aux Nouvelles Éditions Africaines. Pour un coup d’étudiant, ce fut un coup de maître. L’écriture y est originale, la démarche prometteuse, le ton séduisant, les images captivantes, le langage merveilleux. L’indéniable qualité de l’écriture fit mettre au programme des classes de baccalauréat le recueil qui connut, en 1992, une édition revue et augmentée avec de nouveaux textes qui permettent d’évaluer le travail auquel s’est soumis le poète. Depuis, il ne cesse d’approfondir son écriture et son approche du genre poétique, jouant avec les mots :

« On me préfère les huîtres

On m’huître les préfères » (Morte Saison, 37),

jouxtant pessimisme et optimisme dans une verve cocasse qui entend faire tiquer le statu quo devant tant de « vies de boy », de « sondages odieux », de « ménages de cortège », « de consciences émasculées », etc.

Professeur d’anglais dans différents lycées, il sera proviseur, fonctionnaire à la direction de l’enseignement du troisième degré avant de partir en Angleterre pour des stages de formation en inspectorat de l’enseignement. En 1997, il sera tour à tour chargé de missions au Ministère des affaires étrangères puis directeur général de l’enseignement du second degré. Actuellement en poste à la SALT (Société Aéroportuaire de Lomé Togo), Analla, outre une carrière professionnelle riche, est aussi critique qui a activement participé à la revue Propos Scientifiques initiée par les professeurs Afan Huenumadji et Ayayi Togoata Apédo-Amah de 1985 à 1991 et qui fut le ferment de cette nouvelle littérature togolaise dont il reste une figure incontournable.

Lecteur insatiable,il partage ses heures libres entre Jacques Prévert, Jean Metellus, Brodsky, Sony Labou Tansi, Naipaul, Tchekhov, etc. avec lesquels il entretient un dialogue intertextuel extrêmement fécond et qui orne son écriture poétique de perles d’émeraude.

Bien discret, à la limite effacé, Gnoussira Analla est une âme solitaire, un poète au sein plein du terme. Son écriture ne travaille pas à une disponibilité de sens, mais constitue un jeu de réécriture du même dans lequel l’inspiration soumise à une épreuve de fatigue, déploie tous ses possibles comme dans une quête de l’achèvement de la pensée. Ce procédé de reconfiguration de l’inspiration brute, d’ébauche permanente de la pensée, le poète l’appelle « traduction », un art d’autoplagiat borgésien qui donne à ses créations l’allure de ces fameuses poupées russes, les babouchkas : la différence dans le même, le multiple dans l’unique.

« La poésie d’Analla est une dramaturgie des mots et d’images »

Ses textes de maturité dont certains sont publiés en 1982 dans le collectif Croissance I sous le titre de « Viols dans les tripes du Sahel » témoignent de la puissance d’une écriture qui, tout en engageant son propre procès, engage le procès de l’humanité dans ses infirmités et ses excès de robotisation, de macdonaldisation avec des « réponses IBM » pour les urgences sociopolitiques.

La poésie d’Analla est une dramaturgie de mots et d’images ; elle recherche l’hymne d’un nouvel-être-au-monde comme unique souffle qui rallie l’être à lui-même, l’unique chemin qui conduise dans les dédales de l’inconnu, de l’inconnaissable, de l’insaisissable et de l’ignorance. Ses nombreux recueils encore inédits : A Tue-tête, Transhumance, Abracadabra, etc. autorisent l’appréhension du projet d’une poésie qui laisse tout se dissiper dans le souffle même du poème pour donner libre cours à une exaltation symbolique du langage.

Et le poète se réjouit de les avoir qui coulent dans sa bile, « les bijou-joujou-pou » de « leur grammaire pénitence » pour dire les sentiers marqués de potence et de sentences odieuses d’un monde en crise d’humain.

Son écriture est crépitement de mots, de métaphores inattendues dans un rythme d’essoufflement où se lit le vertige d’un monde engagé dans une course effrénée contre la montre, pris dans l’ivresse de l’insatisfaction et la rigidité des sens uniques et des lois. Et si le poète, malgré sa prolixité, ne recherche pas avec acharnement les chemins du grand public, c’est qu’il écrit d’abord pour protéger ses silences et formuler l’impuissance de ses mots dans une société qui n’a d’oreilles que pour les belles  parures et d’yeux que pour se contempler dans les miroirs des gratte-ciel et des vitres teintées d’hypocrisie des limousines…

 Sélom Gbanou

University of Calgary

© Togocultures

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