Lire « Entre toi et moi » d’Alexandre Elom de Souza, c’est entrer dans une double dimension : celle du monde des vivants, fait de joies, de blessures, d’accidents de parcours ; et celle, invisible mais omniprésente, du royaume des morts, là où vient d’entrer sa mère, et qui reste, comme l’écrivait Victor Hugo, « le port commun des hommes » et des femmes. Que subsiste-t-il dans nos cœurs des pans de vie de nos disparus ? Quelle trace laissent-ils en nous ?
Dans un style sobre, sans effets ni emphases, l’auteur livre un texte profondément personnel sur la traversée terrestre de sa mère. Plus qu’un hommage, ce livre est un véritable essaim de souvenirs, écrit à la manière d’une autobiographie fragmentée, tissée de mémoire et d’émotion, où le lien filial devient fil narratif.
L’œuvre est construite en treize chapitres autonomes, chacun explorant une facette de la relation mère-fils : les sacrifices d’une veuve après la mort de son mari, les turbulences de l’enfance d’Alexandre, les silences protecteurs, les gestes d’amour silencieux, le deuil, les hommages rendus. On y retrouve l’éducation chrétienne catholique, les échos d’une fratrie unie, les absences paternelles compensées par la tendresse maternelle, les petites trahisons de l’enfance et les grandes fidélités de l’âge adulte.
Le père, disparu trop tôt dans un accident à 40 ans, laisse une empreinte vive dans les récits. La mère, quant à elle, devient presque mythique, dotée d’une intuition maternelle qui confine à la télépathie. Lors des souffrances de son fils, elle vient systématiquement à lui, sans en avoir été informée. Ce don silencieux, partagé par ses autres enfants, la fait passer pour une sainte… ou une « sorcière » bien-aimée.
Alexandre Elom de Souza évoque son parcours personnel : sa scolarité à Atakpamé, Sokodé, Lomé, Cotonou, Lyon ; son ancien désir de devenir prêtre ; sa sortie de l’état ecclésiastique qu’il n’explique qu’en creux ; ses échecs, ses apprentissages, ses fresques enfantines. Chaque souvenir dévoile une émotion, un lien, une faille, une lumière.
« Entre toi et moi » se lit comme un cahier intime ouvert trois mois après la disparition d’Esther de Souza, nom révélé seulement à la fin, et refermé presque un an après l’enterrement. C’est un livre-exutoire, un acte de mémoire, une offrande silencieuse à la figure maternelle. L’écriture est fluide, pudique, habitée.
Ce récit, bien que personnel, parlera à tous ceux qui ont perdu un être cher. À ceux pour qui le deuil est une énigme intime. À ceux qui cherchent encore les mots pour dire l’indicible. Un livre à lire, à méditer, à partager.
Alexandre de SOUZA, Entre toi et moi, Récit-Hommage, Editions Continents, Lomé, décembre 2024, 200 pages, Prix 7000FCFA.
Gaëtan Noussouglo
