Jacques Do Kokou, photogaphe sur le chemin du Vodoun

Il est capable de passer des heures à guetter un déplacement de nuages afin d’avoir la lumière convenable sur l’objet de sa prise. Ainsi est Jacques Do Kokou, photographe patient mais toujours en mouvement. Dans le milieu, tous les jeunes photographes parlent de lui, de ses gestes techniques (couché dans l’herbe, changeant de position, se contorsionnant, juché sur un muret ou une échelle, etc), tous gestes et prise de risque qui ont une seule finalité: une photo jamais figée, empreinte de cette mobilité qui anime l’artiste lui-même. Le mouvement, donc, voilà la première chose qui caractérise l’homme et les photos qu’il exposera à Lomé, du 23 avril au 31 mai 2016 à l’hôtel Onomo.

Sur le chemin du Vodoun

J’ai eu la chance de visionner certaines des œuvres qui feront partie de l’exposition « Chemin du Vodoun ». Jacques do Kokou a choisi de suivre pendant plusieurs jours, à l’occasion de leur sortie annuelle, les prêtres et prêtresses « Mamissi », adeptes du dieu marin Mamiwata. Le long de la côte qui va d’Agbodrafo (Togo) à Ouidah au Bénin, il a suivi les hommes et femmes qui consacrent leur vie à vénérer et servir les dieux marins. Le résultat est un condensé de moments incroyables, qui font découvrir les sujets du photographe en pleine concentration rituelle ou en décontraction totale.

Jacques Do Kokou
Jacques Do Kokou

Mais techniquement, mon attention reste portée sur l’impression que la focale de Jacques do Kokou prolonge le mouvement des scènes, ouvrant la voie à une lecture, à une saisie, une interprétation humaine de ce qui se passait au moment où le photographe appuyait sur le déclencheur. J’ai passé des heures à lire et interpréter une photo montrant un homme en train de regarder une femme. Deux adeptes dont les regards sont dirigés dans deux directions différentes. La femme parle à une personne invisible en face d’elle, on le voit à ses mains dont les mouvements accentuent ce qu’elle dit: elle est heureuse apparemment, son sourire est lumineux, son corps dit la joie, la fierté du moment, et une liberté incroyable. Juste à côté d’elle, un homme la regarde, d’un regard dont l’interprétation est difficile à déterminer. D’ailleurs, on ne sait pas bien sur laquelle des femmes le regard de l’homme porte. Sur celle qui rit, ou l’autre, plus loin, pensive et belle, dont la main à la bouche en fait une vestale des temps modernes? Étonnement? Agacement? Désir refoulé? Elle est belle cette photo, elle est trouble, elle dit la simplicité (?) du cœur des hommes, loin des contraintes de l’adoration divine, elle dit ce qu’il y a de profond dans le regard humain: l’amour de soi, le désir de quelque chose que l’on veut, que l’on ne dit pas clairement, mais qu’un éclair dans les yeux peut trahir, l’instant d’une photo de Jacques do Kokou!

Techniquement toujours, il serait intéressant de savoir quel type d’appareil do Kokou a utilisé pour toutes ces prises: avec ou sans levier d’armement? Avec le levier, la vitesse de l’œil va de pair avec la vitesse à réarmer, un va-et-vient qui montre la rapidité du photographe à déchiffrer la réalité, voire à devancer les mouvements des sujets; sans levier, donc avec un appareil au réarmement automatique, on peut croire que la chose va de soi, mais non. J’ai vu Jacques en plein mitraillage bouger ses bagues de diaphragme et de profondeur de champ, je puis donc vous assurer que même avec l’appareil le plus automatisé, c’est lui qui est au commande du récit, c’est lui qui écrit le scénario, encore et toujours. Sacré Jacques! Bonne semaine à vous!

Kangni Alem

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