Le Koutammakou (Région de la Kara, Préfecture de la Kéran, Cantons de Nadoba, Warengo, Koutougou et Agbontè) est un vaste territoire de 500 km2 inscrit sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2004. Il demeure un creuset et mieux un macrocosme complexe et fort significatif à multiples facettes où le mobilier, l’immobilier, le tangible et l’intangible se côtoient, s’imbriquent et se complètent dans un environnement vivant et harmonieux dont l’acteur est l’Otammari. C’est de ce magnifique décor que ressort Kanti, la Flûte (Tatammayota) du Koutammakou.
L’artiste de la chanson Félicité Kouagou et son album « Dinaba »
Kantiyanta Ntoumon (cinquième fille de la famille Kouagou) de son nom à l’état civil, Félicité Kouagou, qui a pour nom d’artiste « Kanti » a commencé la musique très tôt en famille entre frères et sœurs jusqu’à la création du groupe musical « Les Etoiles de demain » ensemble avec le musicien conteur Eustache Kamuna. Ce groupe a eu à faire le bonheur des mélomanes des deux côtés de la frontière que ce se soit à Nadoba ou à Boukoumbé. De concours de découvertes en festivals comme le Festival des arts et culture tammari (FACTAM) côté Bénin et le Festival des arts et de la culture tamberma (FESTAMBER) au Togo, la chanteuse otammari trace sa voie musicale un peu pour donner raison à l’écrivain togolais Kangni ALEM qui a reconnu « Nos frontières sont nées à Berlin et Berlin n’a plus de frontières. »[1]
Kanti, la Flûte (Tatammayota) du Koutammakou sort son album « Dinaba » en 2011. Le substantif Dinaba veut dire en ditammari les origines, les racines, l’essence de l’Otammari, son authenticité, son originalité et sa particularité. Ce terme traduit toute la charge culturelle, historique et traditionnelle de ses chansons. L’album est composé de huit titres : « Kubayoku »; « Apartheid » ; « Hommage » ; « Sida » ; « Aurore » ; « Exode rural » ; « Dévaluation » ; « l’Homme ».
L’artiste avec la qualité et les dimensions à la fois exceptionnelles et protéiformes de sa voix exploite à volonté les rythmes otammari issus des cérémonies suivantes :
Le Dikuntri ou Likuntri qui est l’initiation des jeunes filles de seize à dix-neuf ans qui dure dix jours. Elle a lieu dans le sanctuaire de Fakuntifa (divinité) de la fécondité et de la fidélité, cycle de quatre ans. La signification culturelle, l’utilité sociale et les fonctions originelles et actuelles sont la formation sociale, le passage de classe d’âge, la réception des dons spirituels et la magie du verbe. Les éléments matériels ou immatériels associés à ce rythme sont le baudrier, la jupe de cauris, la clochette en cuivre, la grande queue de cheval, le chapeau en herbe surmonté de cornes de gazelle ou d’antilope, la lance, les chants rituels. Le langage est basé sur la langue usuelle avec le jargon lié au Dikuntri.
Le Fabenfe est un rythme qui a pour domaine de manifestation des funérailles d’un Okooti homme, rites d’initiation et de réjouissances. Il s’agit d’une danse au son des tambours exécutés par les femmes, hommes et jeunes au cours d’évènement. Sa signification culturelle, l’utilité sociale et les fonctions originelles et actuelles sont la communication avec l’environnement rituel, l’exercice corporel et spirituel. Ses éléments matériels ou immatériels associés sont les chants, les danses, Ibie (tambours), le feu et la langue, le registre et niveau de langue reste la langue locale et usuelle.
Le Titchapéti est un véritable cri de ralliement pour célébrer la culture tamberma à l’instar du premier titre de l’album qui prône le rassemblement de tous les peuples otammari au-delà des frontières artificielles.
Le Ikwa est un rythme lié aux cérémonies funèbres et aux initiations.
La talentueuse voix de Kanti a véritablement du charme. Albert CAMUS disait à ce propos : « Vous savez ce qu’est le charme : une manière de s’entendre répondre oui sans avoir posé aucune question claire »[2]
Les thèmes abordés sont entre autres la vie et ses évènements heureux et malheureux. Dans un spectacle inédit « Parole et voix de Koutammakou » en décembre 2016 dernier à l’espace FILBLEU-AREMA, l’artiste de la chanson Kanti a accompagné sa sœur, la conteuse Fati Fousséni dans une célébration de la culture tamberma.
Les richesses patrimoniales du Koutammakou du Togo
Ce riche territoire, vaste et parsemé de composantes patrimoniales diversifiées qui rendent compte de l’originalité de l’univers des Batammariba rassemble les maisons-blocs éparses, les zones agricoles, les collines aménagées en terrasses, les bosquets et les montagnes, les lieux sacrés, les cheminements rituels, les zones vierges, les initiations, les arbres, les autels et le génie créateur de la communauté.
C’est justement ces valeurs, culturelles, écologiques, sociales, esthétiques, historiques, religieuses, touristiques et techniques qui ont présidé à son inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco.
Depuis cette nomination, les objectifs définis par le document d’orientation notamment et notablement le Plan de conservation et de gestion sont entre autres « Valoriser la culture tammari et promouvoir un tourisme respectueux des valeurs intrinsèques du site ».
Comme dans tout paysage culturel caractérisé par son étendue et la diversité de ses composantes physiques et immatérielles, la nécessité pour la conservation, la protection et la mise en valeur est une priorité. Sur le plan national certaines activités doivent être menées dans le but de positionner le Koutammakou comme un produit à vanter et à vendre. Ainsi parmi ces actions figure en bonne place la sauvegarde et la promotion du patrimoine immatériel à travers la musique traditionnelle otammari.
Conclusion
En 2004, le Togo a réussi à inscrire le Koutammakou sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO avec toutes ses composantes intangibles : les contes, les proverbes, les chants, les légendes et mythes, les rites, les cultes, les fêtes, les funérailles, les mariages … Aujourd’hui, Félicité Kouagou, la Flûte de ce paysage culturel dynamique revisite ce riche patrimoine immatériel en mettant au goût du jour les rythmes du terroir otammari dans ses chansons. Albert CAMUS nous avertit : « La première chose à apprendre pour un artiste c’est l’art de transposer ce qu’il sent dans ce qu’il veut faire sentir »[3]. Kanti a réussi ce pari avec art à travers « Dinaba », son tout premier album.
Par Théophile Adama AYIKOUE
Gestionnaire de Patrimoine culturel
Commission nationale de la Francophonie du Togo
[1] Kangni ALEM, La gazelle s’agenouille pour pleurer, nouvelles, Editions Acoria, Paris, 2000, P. 165.
[2] Albert CAMUS, Albert CAMUS, une vie, Olivier TODD, biographie, Editions Gallimard, Paris, 1996, p. 641.
[3] Albert CAMUS, Op. cit., p. 313.