Masque Guelede du Bénin lors du Festival des Divinités Noires au Togo Photo: Gaëtan Noussouglo

Conférence publique : Identité et diversité culturelle par Cyriaque Noussouglo

Avec la notion de diversité culturelle dont l’importance s’est révélée et imposée ces dernières années, le « paradoxe des identités » trouve à se positiver, et l’interculturalité intègre une dimension de partage et de dialogue avec les autres. En se refusant à considérer les identités comme « meurtrières », la diversité culturelle prend alors un sens d’humanisme et de tolérance. Elle est la reconnaissance de l’égal accès de toutes les cultures à la diffusion de l’identité collective faite de toutes les spécificités culturelles.

 

Masque Guelede du Bénin lors du Festival des Divinités Noires au Togo Photo: Gaëtan Noussouglo
Masque Guelede du Bénin lors du Festival des Divinités Noires au Togo Photo: Gaëtan Noussouglo

Telle est la quintessence de la conférence publique que Kodjo Cyriaque Noussouglo, expert de la diversité culturelle et Président de la Coalition Togolaise pour la Diversité Culturelle (CTDC) a animé le mercredi 21 novembre 2012 à l’Institut Goethe devant un nombreux public. Jean Marédja Kantchébé, professeur de philosophie, dramaturge et secrétaire général de la CTDC en a assuré la modération.

 MONDIALISATION ET HÉGÉMONIE

L’orateur est parti de la perception de la mondialisation qui se présente comme une vision hégémonique qui installe à l’échelle du monde un modèle uniformisant, une « hyperculture globalisante portée par les médias, et dont l’influence se fait sentir sur toutes les cultures » (JeanTardif). En tant que visée hégémonique, la mondialisation se manifeste comme une lutte entre maîtres et esclaves de fait, entre possesseurs et dépossédés à la hégélienne dans un environnement international néo-libéral de soumission des sociétés à l’économie et la transformation de la planète tout entière en marché unique.

Cyriaque Kodjo Noussouglo, directeur du Centre de Lecture et d'Animation Culturelle
Cyriaque Kodjo Noussouglo, directeur du Centre de Lecture et d’Animation Culturelle

Dans cette lutte, comment repositionner « l’homme en quête de soi, de sa reconnaissance comme être humain », comme altérité fondamentale douée de spécificités dans un contexte de nécessaire apport de tous à la culture de l’universel chère à Senghor ? Se pose le problème de la reconnaissance de soi, de l’ouverture à l’autre et des cultures «  minoritaires » dans un contexte de nécessaire apport de tous à la culture de l’universel chère à Senghor.

Si la diversité culturelle est la reconnaissance de l’égal accès de toutes les cultures à la diffusion de l’identité collective faite de toutes les spécificités culturelles, elle présuppose la mise en œuvre des mécanismes aux fins d’harmonie nécessaire de toutes les composantes culturelles des sociétés et des peuples. Aux minorités culturelles et aux « petites » identités de profiter  des mécanismes d’accès au marché international des biens et services culturels. Ce qui est loin d’être une mince affaire. Que faire pour contrer cette suprématie, cette nouvelle forme de manipulation des symboles et positionner chaque culture sur l’arène du monde ? Y a-t-il des mesures qui ont été prises ? Quelles sont-elles ? Peut-on espérer qu’elles soient opérantes ? Comment ?

 LA PROBLÉMATIQUE DES IDENTITÉS

L’identité se définit comme l’ensemble des valeurs ou tout ce qui fait qu’un individu est lui-même et non quelqu’un d’autre. Pour Warnier, elle est « l’ensemble des répertoires d’action, de langue et de culture qui permettent à une personne de reconnaître son appartenance à un groupe social et de s’identifier à lui ». Comme le souligne l’UNESCO dans son Rapport mondial 2010 intitulé : Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, le monde contemporain se caractérise par la multiplicité des identités et par un « fort attachement à des identités nationales, religieuses, ethniques, linguistiques, sociales ou culturelles, voire à des identités façonnées par les grandes marques ou les modes de consommation. »

Bien qu’elle soit souvent réduite à une possession ou à un héritage, l’identité se révèle mouvante, fluide, perméable et évolutive. Elle est par essence une expérience en train de se faire. Les identités individuelles et collectives, si elles procèdent du passé, sont dans une certaine mesure la création du temps et du lieu, qui se développe à partir d’une articulation complexe de déterminants sociaux et d’une action individuelle (Giddens, 1984; Long et Long, 1992). De la sorte, le fait que les frontières s’estompent et que l’individu se dégage partiellement de ses liens dans le contexte de la mondialisation a favorisé l’émergence d’un esprit nomade que certains considèrent comme le nouvel horizon de l’expérimentation culturelle contemporaine (Clifford, 1997).

Le constat cependant, c’est que les identités sont devenues un refuge pour de nombreux individus et de nombreux groupes, qui voient dans la mondialisation et dans les changements culturels une menace pour leur mode de vie et leur niveau de vie. On assiste alors à une culturalisation des revendications politiques qui va au rebours de la nature, par essence dynamique et multiple, des identités (UNESCO, 2010). Cela se manifeste par la montée du terrorisme, des réclamations identitaires, surtout celles sous-tendues par des raisons religieuses, économiques et politiques. Notre monde semble ainsi renouer avec la barbarie, l’intolérance et la violence aveugle.

Dans le même temps, on assiste également à des revendications de liberté de plus en plus exacerbées par la crise économique internationale. En témoigne le tsunami sociopolitique que révèle le « printemps arabe ».Ces demandes des peuples à accéder à plus de liberté ainsi que les luttes engagées ici et là contre l’arbitraire politique et économique, remettent en première ligne le problème de l’étouffement des identités, que ce soit par des systèmes politiques, économiques ou religieux. On assiste  aujourd’hui à des « troubles dans l’identité » (Renaut, 2009)  et au réveil d’un monstre polycéphale, de la « bête identitaire » (Amin Maalouf, 1992).

La reconnaissance identitaire considérée comme une idéologie de notre époque, est au cœur de l’évolution du monde actuel. Ainsi pour Renaut, cette reconnaissance ou cette idéologie de la diversité consacre la « repentance de la conscience moderne » dont la finalité est de gommer les différences pour tenir compte uniquement de « toute la variété des profils humains, individuels ou collectifs ». Ainsi, la promotion de la diversité participe d’une « décolonisation des identités » dont les ramifications, extrêmement complexes, sont dans les sociétés européennes et africaines postcoloniales. Son but est également d’éviter la radicalisation dans laquelle les identités individuelles se retrouvent lorsqu’on les oblige à renoncer à leurs propres valeurs pour se tourner vers des valeurs culturelles extérieures imposées.

 LA DIVERSITÉ CULTURELLE, UNE CHANCE POUR LA PROMOTION DES IDENTITÉS

Reconnaitre la diversité culturelle, c’est reconnaître  que tous les êtres humains, où qu’ils se trouvent, ont les mêmes droits et qu’ils méritent qu’on leur accorde la même dignité. C’est donc simplement de l’humanisme. Pour l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), dans toute la mesure où « les biens et services culturels, parce qu’ils sont porteurs de l’identité  des peuples et qu’ils concourent à l’épanouissement des personnes », ils « doivent faire l’objet d’un traitement spécifique. » D’où le combat pour la défense de la diversité culturelle. L’OIF estime également que la diversité culturelle en prenant en compte le pluralisme des cultures et des langues est au soubassement de la paix et du développement. La communauté internationale va reconnaître cette réalité en adoptant en novembre 2001 la Déclaration Universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Celle-ci proclame entre autres que la diversité culturelle est « source d’échanges, d’innovation et de créativité » et qu’elle est « pour le genre humain aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant ». En ce sens la diversité culturelle constitue le patrimoine commun de l’humanité. Et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée à l’UNESCO à Paris le 20 octobre 2005 à la majorité de 148 pays pour, 2 contre et une abstention, va consacrer les mesures à prendre pour le respect et la valorisation de la diversité culturelle.

Reconnaître la diversité culturelle, c’est d’abord admettre que les cultures sont plurielles et non uniques ou homogènes. Ensuite, c’est faire l’effort d’entrer dans des cultures différentes sans préjugé et non vouloir ramener les autres à sa culture propre. L’incompréhension suscite l’annexion. Elle est une violence. Enfin, c’est mettre en place des politiques de développement, de promotion de la diversité culturelle, car, une culture – valeur identificatrice d’un groupe – engendre la culture lorsqu’elle produit des œuvres orales ou écrites susceptibles d’éveiller l’intérêt, d’émouvoir ou de séduire, voire d’instruire et dans lesquelles se retrouvent des traits esthétiques et éthiques, des valeurs universelles. La culture est alors une production ou un ensemble de productions de portée artistique, littéraire ou scientifique. Le respect de la diversité culturelle se traduit par l’encouragement à la production quel qu’en soit le point de départ ainsi que le proclame la Convention de 2005.

 CONSTATS ET PROBLEME

Le problème c’est que la mondialisation s’exprime dans le commerce international en bouleversant l’échange international des biens et services culturels. Celui-ci est caractérisé par une évolution de type oligopolistique avec un nombre limité de conglomérats de tailles mondiales qui contrôlent la distribution des produits culturels. Par conséquent, la richesse et la croissance potentielle ne profitent d’abord qu’au groupe ou pays qui ont déjà des positions dominantes sur ce marché international des biens et services culturels. C’est pourquoi, la Convention de 2005 encourage les pays, surtout ceux en voie de développement, à prendre toutes les mesures pour développer leurs cultures, notamment au travers des industries culturelles. Cependant, on a l’impression que ce message n’est pas entendu, vu le peu d’effort qui est fait dans la promotion de ces secteurs importants dans l’économie des pays et dans la reconquête identitaire et culturelle. Aujourd’hui, sous prétexte de manquer de moyens financiers, la plupart des États africains passent à côté de cette immense possibilité économique qu’offre le développement des industries culturelles. Des difficultés se posent à tous les secteurs des industries culturelles, en particulier celles des pays en développement. Pourtant, il existe un fort potentiel de créativité au Sud par rapport à tous les secteurs des industries culturelles notamment dans le domaine de la musique, de l’artisanat, et du design. Ce potentiel mérite d’être valorisé et développé. Le problème principal est que, sans cadre règlementaire, sans accompagnement stratégique, ce potentiel risque fort d’être pillé. La convention de 2005 permet des politiques de soutien, de coopération et d’échanges Nord-sud en faveur du développement des industries culturelles. C’est une chance à saisir.

LES CONDITIONS DU DÉVELOPPEMENT CULTUREL EN AFRIQUE

Pour nous donc, les conditions de développement des industries culturelles en Afrique sont entre autres une volonté politique clairement affirmée des Etats et gouvernements africains ; l’affirmation et la reconnaissance des liens évidents entre culture et économie, et donc culture et développement ; la mise en place de politiques culturelles bien élaborées et qui créent les conditions de développement des différents secteurs de la culture au lieu du pilotage à vue auquel on assiste actuellement dans la plupart des pays ; la création des structures et des conditions effectives pour le développement culturel ; la mise à disposition des créateurs et des secteurs de la culture de moyens financiers et humains ainsi que des infrastructures ; des réformes administratives et fiscales et des mesures d’encouragement des entreprises et des privés à investir dans la culture ; la sensibilisation des populations à participer aux efforts de développement culturel grâce à des conditions d’incitation à la consommation culturelle et la lutte contre le piratage et le trafic illicite des biens culturels.

Au total, reconnaître et défendre la diversité culturelle dans le contexte de la mondialisation, c’est avant tout affirmer le droit à la différence et mettre en place dans les pays surtout en développement, des moyens de sa réalisation effective. Autant, il faut la liberté pleine et entière pour le déploiement de soi et de sa créativité, autant il faut un environnement sécurisé pour l’expression de cette créativité. Si les cultures ne sont pas égales face aux processus de mondialisation, aucun effort ne doit être épargné pour sauvegarder les expressions culturelles qui luttent pour leur survie.

De fait, la reconnaissance – voire l’affirmation – d’identités multiples est un trait caractéristique de notre époque. Les identités, sources de richesses peuvent également être des dangers pour la stabilité des Etats si on n’en prend pas acte dans des actions de gouvernance. Défendre la diversité culturelle, c’est à la fois vouloir préserver à l’échelle planétaire les identités multiples des peuples, mais, c’est aussi considérer que les activités culturelles sont une véritable source de croissance économique et créer des conditions à l’expression et au développement de la créativité au travers des industries culturelles pour éviter la pauvreté et l’exclusion sociale et identitaire.

Cyriaque Noussouglo

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