Togo Traditions: Zangbéto, gardien de la nuit, Kélégbéto gardien du jour, gardien des traditions

Le soir déclinait ce jeudi 6 janvier 2011 quand les hôtes tant attendus, étaient arrivés de Lomé à Hlandé Kpota, localité située dans le canton d’Aklakou, à environ 68 km au sud est de Lomé. L’ambiance sur la place publique où doit s’exhiber les kélégbéto était des plus surchauffées. © Togocultures

Zangbeto fe Hlandé près d'Aklakou au Togo Photo; Gaëtan Noussouglo
Zangbeto fe Hlandé près d’Aklakou au Togo Photo; Gaëtan Noussouglo

Le minibus à bord duquel se trouvait l’ensemble des hôtes s’immobilisa non loin de la place publique, happé par des mélopées enlevées et une mobilisation des grands jours. La foule était chauffée à incandescence, comme des adeptes de vaudou transfigurés par la transe. A notre arrivée, les rythmes redoublaient d’intensité, les chants montaient, les danseurs et danseuses y allaient de leurs rythmes personnalisés, spectaculaires ou synchronisés ; les tam-tams battaient de façon syncopée, enlevant aux batteurs leur dextérité et adresse mille et une fois démontrées ; et le chœur donnait de la voix, accompagné de tapes dans les mains. Toute une pratique éprouvée emballait la foule, comme un seul homme.

Le Gbéto, une tradition populaire vécue

Les hôtes avaient compris que des places réservées sous un apatam au-devant des anciens et des prêtres leur étaient destinées. Donc, plus de protocole particulier d’accueil à l’entrée du cercle de danse dans lequel virevoltaient déjà des kélégbéto. La variété des danses et l’individualité des expressions corporelles déroutaient et rendaient perplexe celui qui veut en donner une explication rationnelle. Les acteurs de cette tradition vivante ne pouvaient pas expliquer une telle multiplicité, une telle singularité des danses malgré l’accord des rythmes. Telle femme dansant uniquement sur un pied, l’une allongée devant elle indiquait-elle le dieu « Aguê » dont on dit qu’il est borgne et unijambiste ? Telle autre qui se trémoussait avec un corps parcouru de spasme indiquait-elle la transe sans la possession ? Telle autre aux cheveux ébouriffés fait-elle penser aux « allaga » et aux « vaudousis », adeptes ayant ou non rompus les secrets de couvents ? Toujours est-il que l’absence d’uniformisation dans les danses ajoutait à la spontanéité et au caractère véritable et authentique de cette tradition du gbéto dans sa dimension nocturne (zangbéto) ou son expression diurne (kélégbéto), livrée ce soir dans toute sa vitalité devant des yeux profanes.

Ce soir là, le « Gbéto » devrait être exhibé de jour à un groupe d’amoureux des arts africains, à de professionnels de la culture et à une équipe de journalistes de France 3 Alsace en tournée au Togo, sous la direction de Marc Arbogast. Leur présence a pour but de voir pour moissonner des images et comprendre le contexte d’objets collectés dans le cadre d’un musée du vaudou qu’en aficionado des traditions africaines, Marc Arbogast se propose de mettre en place à Strasbourg, capitale de l’Europe et carrefour des civilisations.

Le gbéto, un savoir-faire maîtrisé, trempé dans des croyances vaudous

Démonstation du Zangbéto à Hlandé Photo: Gaëtan Noussouglo
Démonstation du Zangbéto à Hlandé Photo: Gaëtan Noussouglo

Le groupe était attendu dans une atmosphère survoltée de tam-tams. Quelque temps après, les kélégbéto tourbillonnaient dans le cercle dessiné par les spectateurs et par une foule de danseurs, de musiciens et de badauds rejoints sur le tard par des écoliers sortis des cours, habitués au spectacle.

On montre aux spectateurs, comme dans un tour de prestidigitation, l’accoutrement ou l’habitacle du gbéto. Il est vide, aussi inhabité qu’une cage sans oiseau. Mais, aussitôt après, on voit cet habitacle se déplacer, danser, courir, virevolter dans un torrent de poussière, changer en plusieurs choses ou animaux comme mu par une force invisible.

Commence ce soir-là devant les yeux des hôtes et de l’assistance, la série des avatars : le gbéto assisté par un prêtre armé de chasse-mouches spécialement préparé et enduit de sang, de restes de sacrifices de volailles et de farine assaisonnée à l’huile de palme rouge et des adeptes, livre tour à tour ses secrets sous des paroles incantatoires : marionnettes animées, dansant, pilant ou mettant en garde contre les ennemis de la tradition, pourvoyeuses de forces (« atchè) ou faisant tel ou tel autre don, crocodile, poulet tué, déplumé, cuit et transformé en un rien de temps, tel dans un micro-onde moderne, en un plat fumant de « djenkoumé » (plat local, prisé dans les temples vaudou du Togo et du Bénin), et d’autres tours dont on ne découvrira pas le secret. Pour le spectateur quelconque, il s’agit de tours de magie. Mais pour qui sait voir, rien n’est simple ici. Il s’agit bel et bien d’une tradition immatérielle apprise, exercée, transmise, ayant ses règles et ses interdits.

Le gbéto, porte-parole des dieux

Les prestations avaient été assurées par 6 gbéto renvoyant chacun à une divinité particulière porteuse chacune d’un message tout aussi particulier :

  • « Agnino » ou « Sakpatè », divinité de la terre
  • « Hébiesso », dieu de la foudre ;
  • « Agbamilélé » : personne ne peut porter la terre ;
  • « Koliko » : les enfants raffolent de frites ; divinité de fertilité ;
  • « Tchébilé »  : la clé qui ouvre toute les portes ;
  • « Tokpakou » : quand on dit qu’il ne faut pas ouvrir cette porte, il ne faut surtout pas chercher à vouloir l’ouvrir ; autrement dit, la loi ou les interdits sont faits pour être respectés.
Zangbéto de Hlandé Photo; Gaëtan Noussouglo
Zangbéto de Hlandé Photo; Gaëtan Noussouglo

Dans la croyance, le gbéto, porte-parole des dieux, est une pratique mystique. L’habitacle tressé de raphia aux devants tapissés de signes de fa et surmonté des cornes d’animaux et d’autres signes , est censé être porté ou habité, le temps de la cérémonie, par un homme nu. Il faut en effet être nu là-dedans, dit-on, pour pouvoir disparaître à temps réel. Car, contrairement à ce que le rationnel peut croire, le gbéto ne serait pas tapissé d’un double fond dans lequel se cachent le porteur et les mystères qu’il va livrer. Disparaître est une pratique propre aux traditions et serait possible grâce à une connaissance particulière, le « zidobo », littéralement le pouvoir de la disparition instantanée dans l’espace.

Ce qui est sûr, le gbéto est un savoir-faire maîtrisé, trempé dans des croyances vaudous, savoir-faire dans lequel excellent ceux qui prennent le temps de l’apprendre suite à plusieurs années de transmission. Les pratiquants de Hlandé-Kpota l’ont appris de leurs pères qui l’avaient eux-mêmes appris de leurs pères. A leur tour, ils transmettent la tradition, à qui veulent apprendre. Ils ont des adeptes venant du Bénin ou de la région.

En tout cas, pour Marc Arbogast, les attentes sont comblées et le zangbéto, figurera en bonne place dans le futur musée.

Cyriaque Noussouglo © Togocultures

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