Cérémonies funéraires au Togo, Une histoire de tradition et de modernité !

Veillées funéraires  à Lomé Photos: Gaëtan Noussouglo
Cérémonies funéraires à Lomé Photos: Gaëtan Noussouglo

FRUIT de la colonisation, l’occidentalisation massive des cérémonies traditionnelles africaines n’épargne pas les rites funéraires. Il est quasiment impossible de dissocier de nos jours les cérémonies funéraires traditionnelles et modernes dans les différentes agglomérations togolaises, quelle que soit l’ethnie frappée par la mort. Même dans les hameaux reculés, le modernisme s’y invite. Autrement dit, l’opposition nette entre tradition et modernité dans le « processus d’inhumation » d’un parent ne conserve dorénavant son application stricte que dans des ethnies tenaces à la « chose traditionnelle ».

Dans la plupart des familles togolaises vivant en milieu urbain, être endeuillé équivaut de nos jours à débourser d’importantes sommes ( entre 400 000 FCFA et 2 000 0000 FCFA) pour enterrer dignement son proche parent. Révolue l’époque où pressés par la décomposition du cadavre, les uns et les autres s’empressaient d’inhumer leur proche décédé. Avec l’apparition de la morgue, la fixation d’un calendrier funéraire met du temps à prendre forme, ce, au gré de la convocation et de la réunion délicate des membres des familles parentes et alliées du défunt, surtout quand certains parents sont à l’étranger.

Les rites funéraires chez les Adja-Ewé, cas des Awlã

Au Togo, les Adja-Ewé constituent l’ethnie majoritaire. L’exemple d’un de ses nombreux démembrements que constituent les Awlã est assez parlant.

Cérémonies funéraires à Lomé Photo: Gaëtan Noussouglo
Cérémonies funéraires à Lomé Photo: Gaëtan Noussouglo

Le schéma classique des rites d’enterrement dans cette ethnie est le suivant : veillée- enterrement en plus ou non de la sortie de deuil. Avant de prendre les allures de la modernité, l’observation de la dernière partie de ce rite qu’est la sortie de deuil était obligatoire. La cherté du coût de la vie, fruit du marasme économique que connaît le Togo, a suffi à ranger cette prescription traditionnelle dans le registre du « facultatif ». Beaucoup lui imputent l’alourdissement des charges funéraires. Ainsi, dorénavant chez les Awlã, les funérailles « tradi-modernes » sont celles qui recueillent l’assentiment de beaucoup de personnes !!

Les veillées de chants et de prières qui dénotent la chrétienté des obsèques dans ce regroupement ethnique sont entrecoupées ou marquées ou voient leur éclat rehaussé par des chants et danses traditionnels comme l’Agbadja, l’Akpéssè. De même, l’«  Atopani » (tam-tam parlant) sort de son mutisme pendant de pareilles occasions lorsque des personnalités de marque décèdent. L’effectivité de l’application d’un certain nombre de normes sanitaires dans les diverses morgues locales n’empêche pas les Awlã de ne pas délaisser certaines pratiques (traditionnelles à souhait) dans le cadre de l’embaumement de leur proche. De ce fait, pour le dernier bain du cadavre, c’est un membre de sa famille qui doit forcément asperger son corps d’eau avant que la personne préposée à cette tâche ne prenne la relève pour le bain intégral. Les paumes des mains de même que les plantes des pieds de la personne décédée sont embaumées avec du calcaire. Une herbe baptisée « Akpafia » est introduite dans le cercueil du défunt en souvenir d’un combat immémorial mené par un de ses aïeux et pour marquer le « sceau Awlã » sur le mort. La mort est conçue ici et plus généralement sur le continent noir comme un voyage, un long trajet vers un autre monde ! Très souvent, c’est dans la ferveur des chants traditionnels que le cortège du cadavre gagne le lieu de la veillée.

Cinq (05) jours après l’enterrement, on procède à la cérémonie de libation dans l’optique d’être en communication avec les mannes des ancêtres et de baliser la voie d’une éventuelle vengeance au défunt (s’il s’avère toutefois vrai qu’il n’est pas décédé de sa « propre mort » ). La cérémonie de sortie de deuil, autrefois reportée à plusieurs mois après l’enterrement, est désormais exécutée deux (02) à trois (03) jours seulement après la mise en terre du cadavre. Au lendemain de ce marathon funéraire, toute la famille éplorée se retrouve pour faire les comptes financiers. Il n’est pas rare d’assister de nos jours à des scènes humoristiques dans le déroulement de ces cérémonies. Elles sont naturellement une émanation de la modernité et contribuent un tant soit peu à repousser la détresse due au deuil. De pareilles scènes sont dans leur majeure partie animées par des comédiens professionnels ou amateurs. Cet exemple awla décrit dans les lignes qui précèdent est une photographie de la cohabitation des cérémonies funéraires traditionnelles et modernes dans la société togolaise en général, l’ethnie Adja-Ewé en particulier.

Cérémonies funéraires en Pays Kabyè

Cérémonies funéraires au Togo Photo: Gaëtan Noussouglo
Cérémonies funéraires au Togo Photo: Gaëtan Noussouglo

Chez les Kabyè, une composante de l’ethnie Kabyè-Tem, les mois de février et de mars sont ceux qui sont consacrés aux funérailles. En réalité, dans ce milieu, le délai de l’accomplissement des funérailles – qui ne se font qu’une seule fois – court une année après l’enterrement. Le respect des rites funéraires est péremptoire en pays kabyè après le décès des personnes âgées (personnes ayant approximativement 70 ans ou plus), alors qu’il n’est pas de mise pour les jeunes défunts. Toutefois, tout comme chez les Awla, les coutumes funéraires, dans ce groupe social, héritées de plusieurs générations précédentes sont progressivement gagnées par la modernité
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Par exemple, autrefois dans le canton de Yadè, l’utilisation du cercueil n’était pas de rigueur. On enveloppait le cadavre des personnes âgées avec un “linge” caractéristique appelé « bsabao », alors que celui des enfants et des jeunes l’était dans un linge blanc. Les funérailles proprement dites avaient lieu douze (12) mois après l’enterrement du mort dans une ambiance de danse traditionnelle nommée « So ». Cette ambiance était entretenue par les membres des familles parentes et alliées du défunt et débutait loin de l’habitation éplorée. Le lendemain du « So » , les beaux-fils ou les belles-filles du ou de la décédé(e) préparent, toujours dans la maison endeuillée, de la pâte de mil accompagnée d’une sauce cuisinée essentiellement avec de l’huile rouge et un poulet non dépecé. Le tout prend l’appellation de « Cudum ».

De nos jours, morgue et bière ont fait leur intrusion dans ces habitudes funéraires, quand bien même certaines familles restent fidèles à l’enterrement dans les tombes traditionnelles (qui n’admettent pas les cercueils) et qui rappellent beaucoup les pyramides égyptiennes de par leur architecture. « Cudum » et « So » résistent aussi à l’ère de la modernité même si les ingrédients du « Cudum » sont sujets à des variations comme le maïs à la place du mil. Autre stigmate de la modernité, au lieu de la préparation des mets rentrant dans la composition du « Cudum » , on honore de plus en plus ce rituel avec tout simplement la présentation de ces ingrédients aux familles. La raison est toute simple : beaucoup conçoivent de plus en plus ces cérémonies comme du gaspillage financier, tant les plats préparés pour respecter le cérémonial du « Cudum » sont difficilement consommés. Le recours aux services d’un charlatan pour éclairer la lanterne des uns et des autres sur les causes de la mort du proche parent est également de plus en plus délaissé, surtout par les proches du regretté qui sont chrétiens. Par ailleurs, d’aucuns prolongent ces cérémonies en organisant des fêtes sous le label de la modernité à côté du « Cudum », fêtes qui sont contraires normalement à l’esprit des funérailles en pays kabyè. La viande du bœuf y est abondamment servie. Dans tous les cas, les funérailles s’accomplissent chez les Kabyè selon les dernières volontés de la personne décédée, et sont amputées du « Cudum » et du « So » lorsqu’elles sont faites par les Kabyè musulmans.

La tombe de Tavio Amorin à Lomé Photo: Gaëtan Noussouglo
La tombe de Tavio Amorin à Lomé Photo: Gaëtan Noussouglo

Que ce soit au nord comme au sud Togo, des divergences profondes opposent de nos jours citadins et villageois le plus clair du temps quand il s’agit de combiner tradition et modernité. Eau bénite, encens s’opposent aux volailles à sacrifier et cauris d’un côté. De l’autre, « sodabi » ou « tchouk  » (alcools locaux), pâtes traditionnelles (« akume » au sud, « moto », dans la préfecture de Tchaoudjo etc.) contrastent avec liqueurs, riz occidentaux ou importés et repas de services traiteurs. Cependant, les rites funéraires empruntent plus majoritairement au Togo, actuellement, les traits de la modernité que ceux de la tradition. Eperonnés par le temps, les contraintes budgétaires, celles des religions dites « occidentales », et renforcés dans leur nouvelle mode funéraire par la perte sensible des valeurs culturelles africaines, beaucoup de Togolais citadins optent de plus en plus pour la simplification des funérailles de leurs proches voire leur occidentalisation très poussée. Du coup, les frais supplémentaires auxquels ils tentent d’échapper en reléguant au second plan la tradition réapparaissent dans ceux qu’occasionnent les rites funéraires modernes, onéreux dans leur grande partie, quoi que l’on fasse.

Mais la forme des funérailles est sujette à de multiples variations d’une ethnie à une autre, d’un grand ensemble ethnique à un autre, avec par endroits une préséance du traditionnel sur le moderne, surtout au moment de « la mise en bière ».

Edem Gadegbeku
© Togocultures

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