Togo traditions: Les Guins de Glidji ont-ils désacralisé leurs couvents et la pierre sacrée

Epe Ekpé est la fête historique des peuples Guins depuis leur exode du Ghana jusqu’à leur ancrage sur le nouveau territoire en septembre 1662. Depuis cette année, Epé Ekpé devient une série de rites traditionnels et ancestraux qui marquent l’identité collective et consolident l’unité des peuples Guins ou Gês. Durant ces rites, la couleur de l’année nouvelle est donnée par la prise de la pierre sacrée (Ekposso) à Gbatomé à Glidji –Kpodji dans les Lacs.

Depuis un certain des querelles divisent Epé Ekpé. Durant la prise de la pierre sacrée deux clans s’affrontent et cette année, les divisions ont contraint préfet des Lacs et gouvernement à envoyer sur place des agents de sécurité pour assurer la sécurité des lieux saints et des personnes.

Cela n’a pas empêché la 353e prise de la pierre sacrée d’être en proie aux remous. Sa couleur bleue, d’après plusieurs sources, serait téléguidée par le parti au pouvoir. Pour la première fois, on a vu des adeptes vodous en bleu. Or, les couleurs du vodou n’ont jamais changé : blanc, rouge et noir. Et les vodoussis sont très souvent en blanc. Des « Hellu », « Malheur » ont été criés partout. Sur la toile, facebook surtout, les internautes ironisent sur cette couleur « indigeste » et « immangeable ». Certains vont jusqu’à qualifier le bleu de « bluetooth », les Guins de « génération wifi », et les protecteurs de la tradition de prêtres qui ont vendu leur culte ancestral. Pour d’autres les gardiens du temple sont déconnectés de leurs ancêtres après avoir permis aux soldats d’investir le couvent qu’aucune chaussure ne doit fouler.

L’écrivain Hillah Ayi dans un brûlot titré «  A vendre : Tradition en pays Guin » teinté de nostalgie pourfende ces prêtres.

« À vendre : Tradition en pays Guin

Septembre me voyait rentrer au bercail pour communier avec mon peuple et célébrer le nouvel an en pays Mina ; ce rite multi centenaire qui cimente nos communautés et réaffirme nos valeurs communes. Lors, je chantais, gamin satisfait, les joies que l’on ressent quand l’on est chez soi. Et cette fierté qu’enfants, nos parents nous psalmodiaient quand ils proclamaient d’un ton solennel que le pays Guin est une citadelle pourvue d’un portail gonflait mes poumons d’une joie immense jamais ressentie ailleurs.

Qu’il semble déjà loin, ce temps, jadis festif, où l’on jubilait de maison en maison, de ruelle en ruelle et de quartier en quartier, scandant des vœux pour la nouvelle année. Qu’il semble révolu, ce temps où la pierre sacrée n’était laquée que par Mère Nature. Ô, qu’il est loin, ce temps où, allant dans nos couvents, l’on se sentait en sécurité ! Et dire qu’aujourd’hui, la maréchaussée ; celle-là qu’on voyait qu’en période de troubles à l’ordre public, investit nos lieux saints, armée jusqu’aux dents… Excusez, je vous prie, ma naïveté enfantine, mais je crains que tôt ou tard, ces rites qui étaient nôtres, ne soient confisqués et vendus aux Chinois ou à Bolloré. L’avenir nous le dira…

Et je réfléchis, plongé dans un extrême embarras, la fierté au talon, le cœur au ralenti : que nous arrive-t-il ? Sommes-nous en train de brader la seule richesse qui nous reste après avoir perdu nos pâtures dans une lutte sans merci contre l’océan qui nous talonne, faisant d’Apounoukpa une portion de terre au destin incertain ? À qui dire ma peine ?

Faut-il écrire aux quelques prêtres qui ont bradé notre tradition contre quelques liards hideux ou écrire aux dieux ; témoins impuissants d’un commerce honteux qui nous cloue le bec, à nous fils des Lacs ? Le bon sens me recommande de m’adresser directement aux dieux. Cela m’évitera de m’habiller en bleu turquoise pour demander une audience au seuil d’un couvent souillé par les hommes en treillis afin de discuter avec un quelconque ventrocrate.

À vous donc, dieux bradés par des prêtres corrompus, souffrez que je vous dise ce que j’ai sur le cœur, et, si par un emportement propre aux humains, je commets à votre égard quelques infamies, je vous prie de ne point m’en tenir rigueur. Je sais déjà qu’en l’état où vous êtes, s’il faut punir un offenseur, vous n’aurez d’autres choix que de châtier ceux qui ont, pour une raison obscure, troqué la percale blanche en un hypothétique tissu bleu, histoire, dit-on, de plaire à un ordre iniquement établi. Je sais aussi, et j’en suis presque certain, que, s’il m’arrive de m’approcher de vos couvents que l’on croyait sacrés le torse vêtu, les chaussures au pied et, comble de l’ironie, un képi à la tête, une main gantée, un fusil à l’épaule, je sais, disais-je, que vous me le pardonnerez.

Que dire de la pierre si, par complaisance et par souci d’harmonie, je la colore, afin de la rendre conforme aux tuniques céruléennes identiques au ciel d’azur ? Je rappelle qu’en l’apportant à la tribune, entre mes mains colorées par la peinture qui déteint, j’annoncerai, proclamant la fin de vie chère, que les mânes de nos ancêtres prédisent l’abondance des pluies et donc des récoltes. M’en voudrez-vous, dieux muets des bordures de mer ?

Trêve de divagation ! Voici donc ma question : « Fétiches des saints couvents, que pensez-vous de la pierre que j’ose qualifier d’impure » ? Quant aux prêtres commerçants, je laisse entre vos mains leurs sorts incertains. J’ignore qui d’Obierika, d’Ekeke et d’Ogbuefi Ezeudu avertissait Okonkwo du danger que l’on court en s’immisçant entre un dieu et son offenseur. L’on risque, disait l’averti, de recevoir les coups destinés au profanateur. J’avoue mon adhésion au conseil du sage Achebe.

Bab El Oued le 12 septembre 2015 Ayi HILLAH – Quand certains prêtres Guin bradent leur tradition. »

Les hommes passeront et la culture est la seule chose qu’on laissera aux générations futures.

Gaëtan Noussouglo@Togocultures

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