Sabine Medo : L’art depuis toute petite

Son expo du Goethe Institut intitulée « Univers de femme » qu’elle a partagé avec sa consœur Ameyovi Homawoo, a montré tout le talent et la dimension humaine de Sabine Medo. Imprégné de religiosité et de morale, son univers artistique cherche à ressortir le meilleur de la femme et de l’enfant. Pour Mlle Medo, êtres fragiles, la femme et l’enfant disposent de dons destinés à être réveillés, entretenus, pour leur plein épanouissement. A l’opposé de l’expo de sa consœur Homawoo dont l’univers est peuplé de femmes en détresse, martyrisées, épuisées par une maternité nombreuse, l’Univers de Sabine fourmille de femmes douées, intelligentes, belles, travailleuses, au sourire radieux, adorant la vie, donnant l’amour et la vie. C’est la femme dans sa conception à la fois traditionnelle et moderne : amour, foyer et protection. La femme refuge de l’homme et matrice de l’humanité.

Un art assez naïf, influencé par le protestantisme, qui trace quelque peu le cheminement de cette artiste autodidacte parvenue au sommet d’un art par son seul talent et ses propres efforts. Durant sa jeunesse, elle a dû batailler très fort contre l’incompréhension de son père et le dédain du petit monde artistique un peu macho qui ne voulait d’une artiste considérée comme prétentieuse parce que non sortie d’aucune école et n’ayant pas atteint un niveau d’études supérieures. Quand elle a voulu apprendre, elle n’a rencontré qu’harcèlements sexuels et dédains. « De grands artistes de la place aujourd’hui célèbres, exigeaient de moi pour ma formation, de les payer en nature », dit-elle avec un regard amusé. Une situation qui est vraisemblablement due à son origine modeste, son père cuisinier ne pouvant lui offrir des études dans un conservatoire d’arts, mais surtout à l’absence de structures adéquates au Togo et de conseillers d’orientation dans le système scolaire national.

Car, s’il est des gens qui exercent un métier par défaut, faute de mieux, ayant échoué à réaliser leur rêve, peut-être à cause de contingences qui sont partie intégrante de la vie, Sabine Medo, elle, n’est pas venue par imposture. Elle est « tombée dans l’art » toute petite quand déjà en cours primaire elle dessinait des pots de fleur et croquait ses camarades de classe sur des feuilles de dessin, lesquels camarades en retour la gratifiaient de 25 Cfa ou 100 Cfa pour la féliciter.« Enfant, j’étais impressionnée par les dessins sur les panneaux publicitaires. Je me rappelle qu’au cours d’une visite au Ghana, je m’étais agenouillée devant un de ces tableaux, pleurant et implorant le Ciel de me donner aussi l’intelligence pour réaliser de si belles choses », confie-t-elle, le sourire aguichant où se plie la peau des joues.

Au collège, elle continua une scolarité sans problème jusqu’en classe de quatrième. Elle rencontra l’Histoire en 1992 quand le Togo tout entier était plongé dans une grève générale illimitée. Tout le pays a cessé soudain de travailler à cause des soubresauts démocratiques. L’adolescente de 15 ans dissipait ses ennuis dans le dessin jusqu’à y prendre trop de goûts. Quand la grève cessa, elle refusa de reprendre la route de l’école.

A nous deux la vie maintenant !
« Je veux devenir peintre », dit-elle quand le père inquiet l’interrogea. Vinrent les représailles paternelles. « Tu n’auras plus un sou de moi », menaça le père. L’adolescente s’entêta et décida à 16 ans d’affronter toute seule la vie : atelier de sérigraphie, confection de banderoles et de panneaux publicitaires. « Puisque je n’avais plus rien de mon père, je me souviens que souvent je mangeais les mangues vertes à midi pour calmer ma faim », avoue-t-elle. Mais je vivais également de mes dessins en faisant des portraits. « C’est un Libanais qui m’a mis la puce à l’oreille en me donnant 5 mille francs contre un portrait. Ce fut mon premier salaire ! » 
A force d’opiniâtreté le cours de la vie changea. Elle gagne des marchés dans les communautés française et européenne en faisant des fresques murales sur les restaus et les bars, jusqu’au jour où on lui conseilla de faire une vraie œuvre d’art, de vrais tableaux sur des toiles à la peinture à l’huile. Après atelier sur atelier, elle commença sa première expo « Formes et couleurs » en 2002 au CCF, puis une seconde « Agoo » en 2003, puis une troisième au Festival du théâtre de la Fraternité (Festhef). A Assahoun, elle rencontra le dramaturge Camille Amouro de la Médiathèque de la Diaspora de Cotonou qui l’invita à venir faire une exposition. EN 2004, elle fit également une expo à L’Ecole des Beaux Arts de Cocody à l’invitation du professeur Ignace Mensah et y suivit une formation sur les matières.

Sa technique basée sur l’utilisation des matières dont le phosphate impressionne. Secret qu’elle garde jalousement et que lui envient les mêmes qui lui vouaient mépris par le passé. Aujourd’hui dans son atelier sis dans le quartier populeux de Kodjoviakopé où elle vit dans la verdure d’une maison calme, au milieu de ses dizaines des tableaux sur les femmes, la paix, l’amour, le mal, le péché, Sabine Medo entrevoit la vie en projets. Son plus grand projet qu’elle chérit c’est d’amener l’art en milieu populaire, chez les plus pauvres. « Trop de gens ne comprennent rien à l’art, et pensent qu’un passe-temps de vaurien, il faut arriver à le leur expliquer, et ça on ne peut le faire qu’en allant vers eux, au marché, au stade, et ailleurs », dit-elle. Mais Sabine ne s’arrête pas là. Amatrice de jazz, de soul et de rhythm’n’blues, et adoratrice d’Aretha Franklin, Ella Fitzgerald, Koko Taylor, de Ray Charles et de Marvin Gay, Sabine Medo est également chanteuse de cabaret, animant des soirées dans les grands hôtels de la place, avec le groupe Dallas du Club 54. Cette joueuse de piano à la voix charmeuse prépare la sortie d’un premier album. De son vrai nom Medowokpo, cette Ewé-Anlo a remporté les défis de son enfance, respect du landerneau artistique et surtout celui de son père, émerveillé aujourd’hui devant les prouesses de sa fille.

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