Politique culturelle à rebours

Un enfant d'Agou photo: Gaëtan Noussouglo
Un enfant d’Agou photo: Gaëtan Noussouglo

Quelquefois, il faut se méfier des apparences. C’est évident, l’habit ne fait pas le moine. Ces temps-ci, le monde culturel au Togo est vite comme s’il roulait sur des roulettes. Mais la vitesse a ceci de propre : elle brûle les étapes, elle donne souvent le vertige. C’est un trompe-l’œil.

Le ministère de la culture vient d’organiser un séminaire au CRAC au cours duquel plusieurs sommités de la culture au Togo, au niveau national, ont adopté la politique culturelle du Togo. Peu avant cela, le ministre de la culture Oulegoh Keyewa, a passé au Conseil des ministres une communication portant « établissement d’un inventaire général du patrimoine culturel du Togo, en vue de sa connaissance, de sa protection et de sa valorisation. » Le patrimoine culturel a effectivement besoin d’être connu pour être protégé contre les pillages de toutes sortes. Coût de ce projet d’envergure nationale : 60 millions CFA dont 40 millions pris en charge par l’Etat, le reste sur financement de l’Unesco. Et c’est à cause de cette bagatelle de 40 millions que le ministre a passé sa communication emphatique au Conseil des ministres pour convaincre ses collègues et le Chef de l’Etat du bien fondé de son projet. Passons.

Le dernier projet majuscule du ministre Keyewa est la résurrection d’une très vieille idée, d’un monumental projet culturel qui consiste à la ré-création de la troupe nationale disparue depuis le début des années 1990. On se doute qu’un anachronisme de cet acabit ne serait même plus possible ni en Chine, ni à Cuba ni au Vietnam, derniers bastions du communisme, système politique qui croit faussement que les faits sociaux sont totaux et globaux. Dans tous les pays du monde, les troupes sont privées et même quand il s’agit d’un théâtre national, ce sont les privés qui s’en occupent.

Il s’agit d’un ensemble national constitué de trois unités : le théâtre (11 comédiens), le ballet national (20 danseurs) et le chœur national (30 choristes). Quoi de neuf dans cette troupe nationale ? Tout est neuf et biscornu : l’ancienne structure fonctionnait avec des comédiens qui étaient des agents de l’Etat et vivaient « paisiblement » sans souci de rentabilité. La nouvelle structure va fonctionner avec des comédiens qui ont été sélectionnés après un casting mais qui ne seront malheureusement pas salariés. Comment vont être rémunérés les artistes ? «La structure va fonctionner avec les moyens du bord», assure un proche du ministre de la culture, et les artistes vont travailler sur la base du « volontariat !»

 Les artistes togolais passent du statut de précarité à celui du volontariat

le Ministre Oulégoh Keyewa Photo: Gaëtan Noussouglo
le Ministre Oulégoh Keyewa Photo: Gaëtan Noussouglo

On n’a pas idée de ce qui arrive aux artistes togolais : ils sont devenus des travailleurs bénévoles après un casting des plus sélectifs ! Du jour au lendemain, ils sont passés du statut de précarité à celui de volontariat. L’enfer de la culture togolaise est évidemment pavé de bonnes intentions. Si le ministère de la culture a l’idée d’en montrer aux artistes l’absurdité de leur métier au point de leur enlever le goût d’y faire carrière, il ne saurait trouver une autre manière. C’est ce qu’on appelle une politique culturelle à rebours.

Contre toute attente, le ministre et ses conseillers trébuchent sur le premier projet important sur lequel ils sont attendus : une solution aux problèmes des artistes nationaux qui vivent dans une précarité sans nom. Ceux qui sont sensé portés la culture nationale n’en vivent pas, la culture au Togo ne crée pas d’emplois. A l’évidence, ce qu’il faudrait, n’est-ce pas peut-être un financement de la culture, qui passe bien entendu par la création d’un fonds culturel ? En cela, le Togo n’avait qu’à prendre exemple sur ses voisins du Bénin et du Ghana. Le Bénin dispose d’un fonds culturel de l’ordre du milliard Cfa, qui va en crescendo. Il y a cinq ou huit ans, ce fonds était de 150 millions Cfa seulement. Quant aux Ghanéens, inutile d’avancer ici des chiffres, on serait plutôt mieux inspirer de mettre le modèle efficacement à l’étude. En vérité, en voulant recycler un projet historique, le ministre Keyewa a tout simplement oublié que l’on ne repasse pas les plats du passé, surtout quand il s’agit d’un projet qui a montré ses limites dans le passé et a été l’un des éléments fossoyeurs de la culture togolaise.

Il y a eu manifestement un manque de discernement dans cette résurrection et les contours du projet de Troupe nationale montre qu’en réalité c’est plutôt le personnel du ministère, ces culturels déphasés, qui a besoin d’un peu de recyclage. La résurrection de la Troupe nationale ne tient pas compte du tout de l’évolution du paysage culturel depuis 1990, date de la mort de la troupe devenue caduque. Depuis 1990, sans l’Etat les privés ont relevé le niveau culturel du Togo à un stade jusqu’à présent inégalé dans l’histoire. Il appartient à l’Etat de soutenir ces efforts.

En filigrane, il semblerait que tout ce remue-ménage ne tient qu’à une seule idée : la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Togo. La Troupe nationale serait chargée d’exécuter certaines phases artistiques du jubilé de l’indépendance. Dans ce cas précis, a-t-on besoin d’exhiber nos déficits culturels et artistiques pour dire la preuve de notre faillite nationale pendant cinquante ans d’indépendance ? Et faut-il donc remettre la troupe nationale en scelle juste pour la fête de l’Indépendance ?

L’histoire au moins du gouvernement Edem Kodjo II nous instruit qu’il est préférable d’avoir recours à une troupe professionnelle privée et à un metteur en scène du même ordre. Certes, le conseiller chargé de la stratégie de Kodjo de l’époque, M Cornélius AÏDAM, avait eu recours à l’époque à un grand metteur en scène étranger, en total déphasage avec l’histoire togolaise, et qui aura produit un spectacle certes grandiose mais plus ou moins décalé de nos réalités. Ne pourrait-on pas corriger le tir de Monsieur Stratégie de Kodjo, en ayant recours aux metteurs en scène, comédiens, chorégraphes et choristes nationaux tout simplement ?

C’est devenu proverbial que Monsieur Keyewa, qui a en charge le trop vaste ministère de la Culture, la communication et la formation civique, semble un peu très préoccupé par la Communication à qui l’Etat vient d’allouer, il est vrai, l’importante aide de 350 millions CFA. Mais on dit aussi que cet enseignant de philosophie ne saurait être indifférent au sort de la culture. On aurait aimé tant dans ce cas que le déclic se produisît pour la culture.

La rédaction © Togocultures

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.