Feuilletons ou écrits inédits: « La confusion des sentiments » de Kangni Alem

« Feuilletons ou écrits inédits » met le focus chaque mois sur un écrivain togolais ou du continent africain. Il est initié par Marthe Fare, étudiante en Master de journalisme En ce mois de février découvrons «  »La confusion des sentiments » » de l’écrivain Kangni Alem, Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire. Le libertinage est contraire aux désirs du coeur. Ce récit décrit un couple de libertins pris à son propre piège.

Djanglamey au Bénin Photo: Gaëtan Noussouglo
Djanglamey au Bénin Photo: Gaëtan Noussouglo

Je n’avais pas imaginé que tu perdrais la tête si aisément, mon cœur. Je t’avais juste dit : « il me plaît ». Tu me connais, mon rapport à la réalité des choses est aussi volatil que l’essence de mes résolutions même. J’ai du temps devant moi, j’ai l’âge de tous les dangers, de toutes les audaces, et tu es celui qui m’a le plus mené loin dans la conquête du plaisir.

Le libertinage est un don, étonnant c’est vrai, mais grâce tout de même, une force de caractère, m’as-tu toujours répété. J’ai toujours cru que tu étais de l’étoffe dont on fait les meilleurs épicuriens. Dans la chambre cette nuit-là, je me suis laissé aller, sans retenue. Et encore, tu ne sais pas tout de ce qui s’est dit entre lui et moi, une fois que tu eusses raccroché. Tu m’avais dit : « Rico te plaît ? Tu peux y aller. »

A présent je te déteste, tu as fait de lui mon point faible. Si tu n’avais pas réagi, comme tu l’as fait, sa voix, quand il m’appelle au téléphone, ne me ferait pas battre le cœur ainsi. Et pourtant, je ne l’aime pas comme je t’aime toi, tu es le seul qui accède facilement aux ténèbres de mon cerveau, qui sait lire ma fragilité de femme malmenée par la vie. Trop tôt malmenée par cette putain de vie.

J’ai joué le jeu. A fond, tu me connais pour cela, la mesure est une insulte à mon intelligence. La soirée d’anniversaire chez Momie tirait à sa fin, quand tu m’as rappelé. Tu m’as encore sondé. « J’ai un faible pour lui, t’avais-je répondu. Beau métis, mon genre, quoi. Je ne cracherais pas dessus… Mais si tu dis non, je respecterai ta volonté. » Instant fatidique. Plus tard, je te l’ai redit, tu as semblé hésiter, à l’instant de te prononcer. Si tu avais dit non, je me serais arrêté, il n’y a pas de contrainte dans le libertinage, aimes-tu me seriner. J’aurais suivi la pente de ton désir. Mais c’est plus fort que toi, tu aimes quand je joue. Et tu me concèdes tout, trop facilement peut-être…

L'arbre fétiche sur la route de Djanglamey Photo: Gaëtan Noussouglo
L’arbre fétiche sur la route de Djanglamey Photo: Gaëtan Noussouglo

J’ai quitté la soirée en sa compagnie. Momie, qui ne se doutait de rien, a demandé à Rico de m’accompagner jusqu’au métro. Ce dernier, pas dupe de ma manœuvre durant la soirée, avait aussitôt laissé la conversation dériver vers l’intimité de nos sentiments réciproques. Si je ne me sentais pas seule dans cette ville, si j’avais quelqu’un dans ma vie, lui était tout seul, ne savait pas mais…euh… oui, non, qui sait, répondis-je dans l’ordre. Exprès, je laissai croire qu’il pourrait y avoir quelque chose entre nous, pour l’empêcher de descendre à la station qui mène chez lui. A la correspondance, nous n’avions plus parlé, nos routes ont convergé au lieu de diverger, j’ai mis mes pas dans les siens, et nous sommes partis dans la nuit, ivres des vins fins que nous avions descendus chez ton pote Momie, pressés de découvrir le plaisir consenti entre adultes. Je me sentais pétasse magnifique, du haut de mes vingt quatre ans, en train de tromper mon vieux mari, avec son plein assentiment.

Le téléphone. Je l’avais laissé allumé comme tu l’avais désiré. Dès l’instant où nous avons pénétré dans le studio que tu m’avais loué pour venir terminer mes études dans ce pays aux repères traîtres, tu m’as rappelée puis tu m’as dit bonne nuit en murmurant, n’éteins pas le téléphone, je le ferai moi-même quand je n’en pourrais plus d’écouter. Posé au chevet du lit, il amplifia pour toi mes râles, ses couinements d’amant subjugué par mon ardeur. Je criais tellement qu’il était obligé de me supplier de ne pas faire trop de bruit. Pourtant, nous fûmes lents à démarrer.

Nous parlions, tu écoutais à l’autre bout de la terre. Je l’avais installé, puis m’étais dénudé devant lui pour aller prendre une douche. Au retour, mon pagne serré autour de la taille laissait apercevoir néanmoins la naissance de mes seins en forme de calebasse. Puis, surtout, j’étais nue en dessous. Chaude nuit de juillet. Mets-toi à l’aise, lui ai-je suggéré. Ça te gêne d’être dans le même lit que moi ? De toute manière, il est une heure du matin, plus de métro avant cinq heures, je ne peux pas te laisser dormir par terre. Il a souri, puis a enlevé sa chemise. J’aimai le teint de sa peau dans la pénombre, un bel homme Rico, mon idéal type d’amant, à cheval entre la race noire que je vénérais, et la race blanche dont je trouvais les hommes mous et psychotiques sexuellement. Je voulais un amant qui me distraie ici les weekends, j’en avais parlé avec mon mari qui n’y avait trouvé aucun inconvénient. Un homme bon et compréhensif, un libertin raffiné, vicieux jusqu’au bout des ongles, comme moi au fond. Sexe et sentiment ne vont pas toujours de pair, aimait-il professer.

La route et les enfants Photo: Gaëtan Noussouglo
La route et les enfants Photo: Gaëtan Noussouglo

Je venais suivre ses cours à la fac, toujours, il était le seul prof dont les propos me nourrissaient intellectuellement, il était alerte, insaisissable, ne parlait jamais de lui, alors que les autres profs étalaient l’insignifiance de leur vécu à nos oreilles fatiguées du m’as-tu-vu de ces quinquagénaires frustrés, dont l’univers n’allait pas plus loin que les clôtures de l’université. Un jour, je suis passé de l’amphi à son lit, j’étais devenue sa maîtresse, puis sa jeune femme, même si nous n’étions pas officiellement mariés, ce qui, pour moi, vu nos affinités, était dans l’ordre naturel des choses «  Ton mari et toi, hum…  », aimait souvent répéter ma copine Wassila, ma colocataire à la cité, quand j’étais encore potache à TiBrava.

Sa compréhension de nos rapports amoureux était difficile, elle m’admirait sans oser le dire, et trois jours avant mon départ du pays pour mes études ici, un soir je l’avais invitée à la maison, et c’est là tout à coup qu’elle s’était laissé aller, entre nos bras, mon mari et moi l’emportant dans un jeu à trois, pour un au revoir charnel qui scella à jamais notre amitié dans un marbre dénué d’hypocrisie.

© Kangni Alem
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