Ectoplasme faible de Samuel Akpene Wilsi interprété par Akofa Ami Kougbénou

Ectoplasme faible[1] est un monodrame de Samuel Akpéné Wilsi. Le metteur en scène de ce spectacle est Samuel Wilsi et, l’interprète, Akofa Kougbénou. Cette pièce a fait l’objet de plusieurs représentations au Togo et dans quelques pays africains. En Afrique, il est fréquent de parler des pièces de théâtre en ignorant les interprètes, surtout lorsqu’ils ne marquent pas l’œuvre de leur empreinte. Ce n’est pas le cas avec Ectoplasme faible qui serait certainement une œuvre tout à fait différente avec une autre comédienne qu’Akofa Kougbénou dont la dimension artistique s’affirme de plus en plus sur la scène du théâtre togolais dont elle est actuellement la meilleure comédienne.

Par  Ayayi Togoata APEDO-AMAH

Département de Lettres Modernes

Université de Lomé

J’ai assisté à deux représentations d’Ectoplasme faible, le 22 mars 2014, au Centre Culturel Denyigba, et, le 8 octobre 2014, à l’Institut Goethe de Lomé. Ectoplasme faible est une pièce tout en flash-back qui nous soumet aux délires incohérents d’Agnès, une jeune femme, probablement folle, qui égrène ses souvenirs et le nom des amants qu’elle a tués.

« J´aimais le beau Christian au visage d´ange et à l´âme de fossile. Yao, Fred, Koffi, Ualik, Hervé, Georges, Boris, Mahé, Gil, Wazo, Koli, Bamba et j´en passe avaient leur ciel à eux. Leur ciel dans mon ciel. C´était un jeu très risqué dont je maîtrisais tous les arcanes. »

Elle a décidé de tuer, par vengeance, le jour où l’un de ses amants, Simplice, qu’elle aimait, est mort accidentellement. Condamnée à la prison, elle en sort avec la complicité du juge attiré par son corps et surtout son sexe. Elle finit par étrangler le juge masochiste et un officier de police conclut complaisamment au suicide. Elle tuera aussi ce dernier, devenu son amant, avec son pistolet de service. Le spectateur amateur de poésie est gâté par la beauté du texte dit magnifiquement par Akofa Kougbénou dont le mérite a été de communiquer aux spectateurs toute la sensibilité poétique et le lyrisme du délire du personnage.

Akofa Ami Kougbenou dans Ectoplasme Faible
Akofa Ami Kougbenou dans Ectoplasme Faible

D’entrée de jeu, le personnage installe le décor en dispersant le contenu de sa valise, des vêtements, sur la scène où l’attendait une chaise. Malgré le dépouillement du décor, la mise en scène fait d’Ectoplasme faible un théâtre total avec chorégraphie, danse, musique, chansons, slams, poésie et langage gestuel. Au cours de la seconde représentation, un écran blanc en fond de scène a servi de support à des projections de films et d’images. Ces différents apports esthétiques ont enrichi la pièce en évitant qu’elle ne se transforme en un long monologue ennuyeux. Telle est la gageure avec les pièces comportant un seul interprète. Samuel Wilsi s’en est tiré habilement en imprimant un rythme soutenu à la pièce, aidé en cela par le talent d’Akofa Kougbénou qui a su faire parler son corps, revêtu d’un justaucorps noir moulant, autant, sinon plus que les mots. Ce corps, symboliquement nu, à travers les mouvements, les contorsions (contorsions d’un esprit malade), la chorégraphie, en dialoguant avec les mots, a tenu aux spectateurs un langage poétique qu’ils ont salué de leurs nombreux applaudissements. L’auteur nous présente Agnès comme une jeune femme sûre de sa beauté et de l’attirance qu’elle exerce sur les hommes :

« J´avais 16 ans et j’étais belle ! Oh que j´étais belle ! Ma peau ressemblait à la caresse d´un nuage ensoleillé, mes lèvres avaient le goût de mangue greffée, mes jambes étaient semblables aux vagues qui portent le voilier à bon port, mes reins cambrés tel le cheval du char d´Eli, le cheval de feu. Et mes seins ! Oh que dire de mes seins ? Ils aimaient se promener nus sous une légère chemise en soie. Ils aimaient sentir le frottement de la gaze, au garde-à-vous, frissonnant sous les regards vitreux, vibrant sous la voûte des paumes lointaines, trépidant sous la chaleur de lèvres en voyage. »

Le maquillage très prononcé a contribué à l’expressivité du visage d’une folle hallucinée. Dans la seconde représentation, le maquillage a été modifié : il est devenu rouge et blanc dans la verticalité en divisant le visage en hémifaces. Le symbolisme de ces couleurs, qui représentent le chaud et le froid, illustre l’âme torturée d’une pauvre fille traumatisée par un décès et les vicissitudes d’une vie qui l’ont blessée au plus profond de son être. C’est un appel au secours que personne n’entend parce qu’il n’est pas explicite.

Le rythme a joué un rôle prépondérant dans la mise en scène et l’interprétation. La musique a servi souvent de découpage temporel en même temps qu’elle créait une ambiance nouvelle.
Akofa Ami Kougbenou dans le spectacle Ectoplasme faible
Akofa Ami Kougbenou dans le spectacle Ectoplasme faible

Le côté esthétique des différents morceaux de musique doit être souligné dans la mesure où leur beauté a beaucoup influencé la réception des spectateurs. Le jeu avec le corps, symboliquement nu, revêtu du justaucorps moulant qui ne cachait rien de la plastique de la comédienne, a beaucoup contribué à la sensualité de la représentation. La sensualité de la jeune femme, Agnès, qui vise à séduire les hommes pour les tuer, est omniprésente à travers les danses lascives et une gestualité très suggestive sans tomber dans la vulgarité. Là réside le mérite de la comédienne qui a su, avec talent, grâce à la poésie de son corps et du verbe, suggérer une sensualité à fleur de peau. Au théâtre, on dit du comédien que son corps est un outil, Akofa Kougbénou l’a parfaitement démontré aux sceptiques.

Les objets ont aussi retenu l’attention. La valise a connu plusieurs sorts qui en ont fait ce qu’on appelle en sémiotique une icone littérale et une icone mimétique.

« C´est ma valise. C´est ma valise. Elle contient mes vêtements, mes vêtements d´homme. Du temps où j´étais un homme. C´est ma balise. »

En effet, au niveau littéral, elle a rempli sa fonction normale : recueillir des habits et autres babioles. Cette valise est devenue, au gré du récit, une icone mimétique, c’est-à-dire une pirogue sous la pluie que le personnage faisait avancer, assise dedans, avec une rame virtuelle représentée par les mouvements des bras qui souquaient ferme. Les changements de vêtements marquaient l’évolution du récit comme des marqueurs temporels. La chaise a aussi connu plusieurs métamorphoses iconiques. Elle a joué un rôle important dans la mise en scène, debout ou couchée, en tant que support de la chorégraphie du personnage, telle une barre de strip-tease dans une boîte de nuit. La chaise, à un autre moment du récit, recouverte d’une nappe, est devenue une table pour la réception d’un amant avec du vin.

Les objets ont été mis en valeur parce que le metteur en scène les a bien fait dialoguer avec le personnage dans la création du langage scénique. Ils ont su mettre en exergue la psychologie de la jeune femme dans les étapes d’une plongée dans un passé lourd à porter qu’elle ressasse inlassablement, enfermée dans la prison de sa folie, en proie à la vision des ectoplasmes (fantômes) de son imagination.

La représentation d’Ectoplasme faible comportait des pauses dans l’intrigue. Ces pauses ont été constituées de chansons, comme dans un cabaret, ou de chorégraphies soutenues par des musiques lentes et envoûtantes. Le personnage, à aucun moment, n’a quitté la scène pendant les 90 minutes environ de la représentation.

La représentation d’Ectoplasme faible, a été l’occasion pour le public togolais de découvrir un dramaturge qui lui présentait sa première œuvre théâtrale. Ce qui retient l’attention du critique, c’est l’originalité d’une écriture poétique qui interpelle les amoureux des belles lettres. Le recours facile aux allitérations, aux assonances, aux jeux de mots ont parfois une visée ludique voire ironique, car on sent que l’écrivain se tourne lui-même en dérision, à travers le langage de son unique personnage.

« Mais lève-toi donc et présente ta face poussiéreuse à la lumière bleue du jour pour égrener ces mots pour… pour que je te répondasse comme enfermée il se devrasse. Ah ah ah ! ça vous en bouche un coin que je parlasse de la sorte.

Que je disasse de ma babouche chasse de la sorte (sic) ! Que je me prélassasse dans la viande des mots servis avec de la sauce à la moutarde assaisonnée de bouts de mangue, de bouts de langue, de boomerang. »

Ces propos farfelus sont à la fois l’expression comique de la folie, mais aussi une séquence purement ludique qui va jusqu’à bousculer la grammaire et le vocabulaire.

On peut regretter dans ce texte certaines références culturelles gréco-latines futiles, donc inutiles, parce que non indispensables à la compréhension et à la structure du texte (« Phénix », « Gaïa », « Eole »… comme s’ils sont incontournables pour faire de la bonne poésie ou de la littérature.), qui illustrent, chez nos jeunes écrivains africains, une certaine méconnaissance des mythes de leur propre patrimoine culturel, pour ne pas dire une aliénation inconsciente qui se déguise sous le masque trompeur d’une fausse érudition, d’une mentalité de façade propre aux sociétés dominées. Ecrire, pour nous peuples colonisés et aliénés, doit être un acte d’affirmation de nos cultures sinistrées et de résistance à la domination culturelle occidentale, au génocide culturel et non un acte d’allégeance et de soumission. Nous avons beaucoup à offrir à l’humanité ; nous cacher derrière la culture des autres est une façon de nous amputer de nous-mêmes et de priver l’humanité de notre riche apport vivifiant.

La comparaison du texte avec la représentation scénique révèle certaines modifications liées aux nécessités de la scène. Elles ne sont pas très importantes. Elles se sont surtout manifestées au niveau des didascalies, à travers l’accompagnement musical et le déshabillage du début de la pièce. Les jeux de lumière ont aussi contribué à créer, avec justesse, les ambiances dans le récit de la folie du personnage. Le dramaturge a donné peu d’indications à ce niveau, laissant cette tâche aux futurs metteurs en scène de la pièce.

Que faut-il en déduire ? Le constat est aveuglant. Samuel Wilsi a montré au public togolais l’étoffe d’un bon metteur en scène, car, en plus de se soumettre au texte, il a su le soumettre aux exigences de la scène en le spectacularisant pour en faire une beauté artistique qui a marqué les esprits et assouvi la jouissance esthétique des spectateurs.

La représentation d’Ectoplasme faible, à travers la mise en scène de Samuel Wilsi et l’interprétation d’Akofa Kougbénou, est une réussite qui a même dépassé la qualité littéraire du texte théâtral.

[1] Samuel Akpéné WILSI, Ectoplasme faible, Tapuscrit, 2013, 25 p.

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