Combats, un tableau de Sokey Edorh

L’art est long, de la même longueur que la vie elle-même ; pas celle banale, vénale, où nous soufflons, ahanons, rêvons et mourrons, mais celle qui nous installe dans l’éternité. Le plasticien togolais Sokey Edorh ignore à peine cette loi, lui qui pratique son art installé dans un aller-retour créatif entre la mémoire de ses débuts et la nécessité du renouvellement.

Sokey Edorh Photo: Gaëtan Noussouglo
Sokey Edorh Photo: Gaëtan Noussouglo

Ses tableaux, ces vingt dernières années, avaient cette particularité de baigner dans une couleur issue des pigments des latérites, couleur où dominaient l’’ocre, le rouge orangé, le blanc kaolin et surtout le noir d’une terre comme brûlée, empoussiérée des cendres des pneus flambés ou des corps carbonisés au crépuscule des grands soirs inachevés. L’homme est d’une terre, difficile de l’oublier, où le feu et le sang ont la même résonance que le sol qu’il foule, et les rêves brisés l’’insoutenable souplesse de la terre cuite. Vingt ans dans les pigments des latérites, et aussi dans les écritures ! Sokey Edorh avait, on s’en souvient, après un voyage au Mali dans les années 90, à la découverte de la culture dogon, fait un pied de nez aux ethnologues qui le bassinaient un peu, et inventé son propre alphabet « dogon », aussi admirable qu’’un gribouillis de parchemin ayant transité par la Mer Morte et les coulisses de bibliothèques impossibles! Le résultat fut saisissant, il nous donnait à voir et lire en même temps l’histoire d’un monde qui nous dépassait à toute vitesse, et qu’il fallait tenter d’archiver par l’écrit. Collages de toutes sortes, textes palimpsestes connus ou inconnus, rougeur, douceur et violence de la terre qui porte nos gestes quotidiens, la terre argileuse. C’était au 20e siècle, ce Sokey Edorh là!

Combats un tableau de Sokey Edorh Photo: Kangni Alem
Combats un tableau de Sokey Edorh Photo: Kangni Alem

Aujourd’hui, le peintre semble se détacher des couleurs qui ont fait sa renommée, et revenir à plus clair, à plus bleu. L’an passé, je suis allé chez lui acheter un tableau, « Combats »; il démontre clairement ce que je ressens à voir son travail aujourd’hui. Trois niveaux pour trois combats : combat physique, combat spirituel, ce dernier avec ses deux autres niveaux qui créent la trinité, le spirituel positif, et le spirituel négatif.

Trois couleurs, celle de la latérite, mais plus estompée, le bleu dominant, et le rouge qui capte le regard par l’évidence de sa nature et non pas de son sens. Récemment, l’artiste a reçu d’une église allemande une commande d’illustration de vitraux, un art d’où les préoccupations spirituelles ne sont pas absentes. Sokey de retour vers de plus en plus de bleu, cela change considérablement son univers, même si sa touche personnelle de peintre moderne et cosmopolite reste toujours personnelle.

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