Ayayi Apedo-Amah « si l’art pour exister devait être financé sur le budget togolais il n’existerait pas d’art au Togo »

Togoata Apedo-Amah  Photo: Gaêtan Noussouglo
Togoata Apedo-Amah Photo: Gaêtan Noussouglo

Ayayi Togoata Apedo-Ameh, enseignant-chercheur à l’Université du Bénin devenu Université de Lomé, a formé des milliers d’étudiants. Il avait créé avec son collègue et ami Huénumadji Afan dès les années 90, le magazine « Propos Scientifiques » pour chasser des mythes. De grands noms de la littérature ont écrit dans ce magazine entre autres Koffi Efoui, Sélom Gbanou, Kangni… Ce magazine ne connaitra que quelques publications. il est critique d’art et est aussi connu sur le plan politique pour ses positions très tranchées. Bientôt à la retraite, il vient enfin d’écrire sa première œuvre, une pièce de théâtre de 88 pages : « Un continent à la mer » (Editions Awoudy du Togo, juin 2012). Dans une interview accordée à Togocultures, il parle de son œuvre, du secteur culturel togolais sinistré et s’en prend à l’inculture des ministres de culture togolais.

 

« En tant qu’écrivain, y a-t-il une raison particulière d’avoir choisi le théâtre comme mode d’expression et de partage du message contenu dans « Un continent à la mer »?

Quand j’ai envie d’écrire une œuvre de fiction, plusieurs options s’offrent à moi par rapport aux différents genres littéraires tels que la poésie, le théâtre, le roman ou la nouvelle. Le message s’adapte à l’esthétique du genre choisi. Pour l’heure, j’ai davantage écrit pour le théâtre que pour tous les autres genres. C’est mon genre préféré. Le drame de ces milliers de migrants africains qui transforment la Méditerranée en cimetière marin chaque année pour fuir leur propre continent devenu pour eux une terre hostile du fait de la misère, de la dictature et des catastrophes politiques, est une actualité qui m’émeut beaucoup. Lorsqu’il arrive que des femmes osent monter sur des barques impropres à la navigation avec des bébés dans les bras, c’est le signe que ces pauvres hères estiment qu’ils n’ont plus rien à perdre. Mourir pour mourir, mieux vaut tenter la traversée de l’enfer que de mourir sur le sol africain, la gueule ouverte comme un chien crevé au fil de l’eau. L’avantage avec le théâtre, c’est qu’il se consomme en groupe et qu’il est un spectacle vivant qui permet aux spectateurs de s’interpeller à travers leur réception esthétique individuelle et commune.

A l’image de beaucoup de secteurs de l’Art au Togo, l’art dramatique végète. En tant que spécialiste du théâtre au Département de Lettres Modernes dans les Universités de Lomé et de Kara, la sortie d’« Un continent à la mer » est-elle une façon indirecte d’ »attirer l’attention » sur le théâtre togolais ?

Théâtre: Un continent a la mer  une oeuvre de Togoata Apedo-Amah
Théâtre: Un continent a la mer une oeuvre de Togoata Apedo-Amah

Chaque création est une façon d’attirer l’attention sur un art mais aussi sur le créateur lui-même. Au Togo, si l’art, pour exister, devait nécessairement être financé sur le budget de l’Etat, il n’existerait pas d’art dans mon pays, du fait de l’extraordinaire inculture des dirigeants politiques de la dictature militaire du clan Gnassingbé et de leur haine pour tout ce qui fait réfléchir.

Il n’est pas rare qu’on installe à la tête du ministère de la Culture des énergumènes qui n’ont jamais lu un livre de leur vie, qui n’ont jamais assisté à une représentation théâtrale ou à un vernissage d’art plastique ! Comme le ministère n’a pas de budget et qu’il n’y a pas grand-chose à voler, la plupart des ministricules se tournent les pouces en sifflotant dans leur bureau devant un écran de télévision, un verre de champagne à la main. Malgré le complot des cancres et des ignorantins contre la culture, nous devons exister. C’est un défi en soi. Plusieurs pétitions ont déjà été adressées au gouvernement, en vain.

 De quoi a le plus besoin d’urgence le secteur de l’art dramatique dans votre pays ?

Le secteur dramatique a besoin de financement. Ce financement, au niveau de l’Etat, ne peut se faire que sous forme de subvention. Dans tous les pays du monde où il existe une vraie politique culturelle, le théâtre est toujours subventionné, car l’on vit très difficilement de cet art. Les politiciens cultivés sont conscients que les peuples, pour leur épanouissement, ont aussi besoin de la nourriture de l’esprit. Cette subvention doit concerner les salles de spectacles à créer, la création d’un conservatoire, la prise en charge partielle des troupes, les créations, les tournées et la sécurité sociale des artistes. Comme vous le voyez, il s’agit de tout un chantier.

Interview réalisée par Edem Gadegbeku

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.