Apiafo de Vaudou Game : Une « visitation » des années 70 et au-delà

Vaudou-Game-Apiafo-Hot-Casa Photo du site http://metiola.com/artist/vaudou-game/
Vaudou-Game-Apiafo-Hot-Casa Photo du site http://metiola.com/artist/vaudou-game/

Il y a tellement à dire sur l’album que l’on a peur de ne pas y arriver – et je n’y arriverai pas – tant l’œuvre foisonne de richesses et d’influences. Par contre ce que l’on n’aurait jamais peur de dire est qu’elle est bonne, l’œuvre. D’une substance telle que l’image de la «gastronomie acoustique» – un néologisme- est la seule qui vienne à l’esprit.

C’est un peu comme si vous allez dans un restaurant – pas besoin qu’il soit gastronomique ou réputé – et que l’on vous fait découvrir la création du chef. Une création qui serait l’aboutissement de ce que les Anglais appellent «a labour of love », traduit en Français par une œuvre de passion. Sauf que l’idée de l’attention aux détails – qui par ailleurs fait toute la différence – est absente de la traduction.

Cette création du chef, vous ne la mangez pas, oh non… vous la dégustez plutôt, laissant le temps aux épices et saveurs d’imprégner vos sens. Et vous sortez de table avec l’ineffable impression d’avoir été introduit à quelque chose d’unique que vous n’auriez de cesse de recommander à ceux qui s’y connaîtraient.

C’est un peu comme cela que l’on écoute Apiafo du groupe Vaudou Game, sorti chez les disquaires en France en septembre dernier. Il y a quelque chose de « vintage », surtout dans le son, qui réjouit et réchauffe l’âme et c’est peu dire…

Peter Solo en est le chanteur-lead. Et dès les premières notes de No problem, la première piste, on est embarqué pour un long et lent voyage des sens. La guitare solo et le Mina mâtiné de sonorités Fon vous réintroduisent dans les 40 premières secondes à l’univers du Poly-Rythmo de Cotonou, puis vous basculez tout de suite dans une mélodie en Anglais aux accents pidgin avant de revenir, à l’entame de la deuxième minute, à une énonciation Mina habituelle. Celle d’Aného sans doute.

En ces minutes d’entrée est concentré tout le projet de l’œuvre : revisiter et renouveler l’Afro-funk des années 60 et 70 dont l’influence majeure était la musique afro-américaine portée par James Brown. Ailleurs sur le disque, on en trouvera la coloration. Mais le projet ne s’arrête pas à la revisitation et au renouvellement. Il va plus loin en y incorporant une touche contemporaine : les harmonies des musiques rituelles Guin de la côte atlantique bénino-togolaise.

Ailleurs, Peter Solo expliquait qu’il partait de ces harmonies et voulait y adapter les instruments modernes. Soit mais, ces harmonies ne sont pas moins modernes et n’appartiendraient pas exclusivement au chant vaudou. Et si les cuivres de Dangerous Bees, puis plus tard dans Meva et Ata Calling font penser à des mélodies de la collection Ethiopiques, c’est qu’elles attestent d’une aire d’existence plus large de ces harmonies issues des gammes pentatoniques auxquelles de nombreuses traditions non-occidentales sont habituées.

Et c’est là toute la réussite et la création de Vaudou Game de vous plonger dans un son chaleureux et envoutant qui fait penser à l’énergie et aux transes vaudou. Là encore résident les modalités du projet artistique : la qualité et la nature du son. Rond, plein et organique parce qu’enregistré à l’origine sur du matériel analogique quoiqu’il ait fallu digitaliser pour en produire un CD.

Pas étonnant alors que le groupe ait également tenu à sortir un disque 33 tours, parce que les avanies de la numérisation audio et par extension les pratiques de compression à la MP3 détruisent souvent ce que la musique possède d’âme.

En 2013, Peter Solo avait sorti Analog Vodoo que je considérais déjà comme une œuvre de maturation –non de maturité.

Il n’y avait dans ce qualificatif aucun jugement de valeur, à part que l’album exsudait d’influences funk, soul, pop rock et psychédélique, et oh… Afrobeat à la Fela aussi, dont certaines sont quelque peu absentes ici.

Maturation, parce que ces influences semblaient des ingrédients déposés au fond d’une dame-jeanne de liqueur -le Rhum Saint-James servant aux libations rituelles peut-être – qui, après avoir été délibérément oublié pendant des années, lâche des effluves et un goût exquis au palais. Les ingrédients ont eu le temps de macérer et de donner à maturité «a full-bodied liquor », pour en emprunter le terme à l’œnologie anglaise : une liqueur ample, pleine et aromatisée.

Le concept du son comme d’un liquide que l’on boirait n’est pas nouveau. Le saxophoniste alto Jackie McLean l’exprimait déjà en 1957 avec son album A Long Drink of the Blues, même s’il faut attendre trois ans plus tard pour s’en faire une idée avec Oliver Nelson dans Screamin’ the Blues

L’élément déterminant est la couleur du son, tant chez McLean, Nelson que Vodou Game : chaude. Si chez Nelson, vous avez l’impression de boire, Vaudou Game vous l’a déjà mis dans les entrailles pour qu’il vous chauffe de l’intérieur.

Avec Apiafo, Peter Solo est en son palais assis. De distilleur, il est passé à maître d’hôtel nous invitant à un festin de sonorités. Et la fête ne fait que commencer, comme il le dit bien sur Happyness, la cinquième piste. Faut juste faire attention pour ne pas prendre la mauvaise voie (Wrong Road) prévient-il en compagnie de Roger (Dama) Damawuzan.

La présence de ce dernier sur le disque ? Toute une autre histoire qui mériterait que l’on y consacre de longues lignes. Vous comprendrez en écoutant le disque. Roger Damawuzan n’y est que sur deux des pistes – Pas Contente et Wrong Road—mais on a l’impression que l’œuvre est cousue de ses empreintes.

De son influence certaine, on parlerait en littérature comparée d’intertextualité. Et en musique…. ? J’ai posé à la question à mon ami, l’écrivain et grand fan de Peter Solo, Kangni Alem…qui m’a répondu que dans ce cas, il faudrait plutôt parler d’intermédialité : la musique prise comme média, dans lequel se croisent d’autres médias. Avis donc !

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Franck K Kuwonu ©Togocultures

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