Activation du Fonds d’aide à la culture sur fond d’incertitudes

Fiatuwo Kwadjo Sessenou
Fiatuwo Kwadjo Sessenou Photo: G. Noussouglo

Le Fonds d’aide à la culture obtient dans le budget 2013 du gouvernement togolais, une dotation de 350 millions de francs CFA (53.3560, euros). Cette annonce a été faite le 8 février 2013 par Me Fiatuwo Kwadjo Sessenou, le Ministre togolais des arts et de la culture: Ainsi, 22 ans après sa création par le Togo à travers la Loi n° 90-24 du 23 Novembre 1990 relative à la protection du patrimoine culturel, le Fonds d’aide à la culture a cessé toute existence virtuelle ; il peut enfin démarrer. Mais de nombreuses incertitudes subsistent.

Le FAC, Fonds d’aide à la culture, enfin !

Tous les ministres qui se sont succédé depuis près de 23 ans à la tête du ministère de la culture n’ont pas eu la chance de Me Fiatuwo Kwadjo Sessenou, Ministre des arts et de la culture depuis août 2012. Ce dernier affichait au Journal télévisé de 20h sur la chaîne de la télévision nationale togolaise (TVT) ce 8 février 2013 l’air d’un ministre comblé. Entouré de journalistes et de représentants des organisations d’artistes, il annonçait que son département a obtenu 400 millions de francs CFA (609.802 euros) du gouvernement : 350 (53.3560, euros) alimentent le fonds d’aide à la culture ; 50 millions (76.225 euros) serviront à faire la « promotion culturelle. ». Le Togolais lambda ne se retrouve guère dans ces nuances et retient que le gouvernement a enfin pensé aux artistes.

En effet, depuis la fin au début des années 2000 du Programme de Soutien aux Initiatives Culturelles Décentralisées (PSICD), ce programme de financement de projets culturels alimenté par l’Union Européenne, les arts et la culture semblent être la 5è roue de la carrosse au Togo. Pour cette raison, la dotation du fonds d’aide à la culture constitue en soi une avancée.  Depuis 1990, les artistes et autres professionnels des arts n’ont de cesse de rappeler le gouvernement à ses propres engagements : mettre à disposition dans un fonds autonome, des ressources devant aider à financer les projets culturels et à encourager la créativité, l’innovation et les expressions culturelles au Togo.

Qu’est-ce que le Fonds d’aide à la culture (FAC) ?

C’est la Loi n° 90-24 du 23 Novembre 1990 relative à la protection du patrimoine culturel qui, parlant des instruments de promotion des valeurs culturelles nationales, créé en son article 37 un « Fonds National de Promotion Culturelle (FNPC) placé sous la tutelle du ministre chargé de la Culture et alimenté par les subventions, legs et donations de toutes sortes ; le produit de la vente des reproductions des biens culturels et des publications du Ministère chargé de la Culture. »

Par ce fonds, l’Etat togolais « garantit le droit d’accès de tout citoyen à toutes les valeurs et à tous les éléments du patrimoine culturel national, dans les conditions fixées, pour chaque domaine d’espèce, par l’administration compétente. Il aide et encourage par ailleurs les artisans, artistes et d’une façon générale tous les créateurs de biens culturels, destinés ou non au commerce, susceptibles ou non d’inscription ou de classement. » (Article 35 de la même loi).

Il a fallu attendre la fin de l’année 2009 pour que le décret n°2009-291/PR du 30 décembre 2009 soit pris pour définir les modalités d’organisation, d’exploitation et de financement de ce fonds rebaptisé « Fonds d’aide à la culture ». Ce dernier est créé pour permettre la promotion et le financement de toute action ou initiative culturelle présentant un intérêt national. « A ce titre, il est chargé notamment de : participer à la construction, à la réhabilitation et à l’équipement des infrastructures culturelles ; aider à la création artistique, littéraire et cinématographique, favoriser la participation du Togo aux grands rendez-vous culturels, foires et festivals nationaux et internationaux ; soutenir les projets culturels ayant un impact positif sur les populations, promouvoir les traditions culturelles ; aider à acquérir les équipements culturels ; favoriser la promotion, la diffusion, la préservation et la conservation (sur tous supports) du patrimoine culturel national ; soutenir les associations et regroupements culturels pour une meilleure émergence des initiatives culturelles de base ; aider à l’édition des ouvrages littéraires et artistiques et/ou à leur numérisation ; promouvoir les industries culturelles et en faire un levier de développement. » (Article 3).

Comme on le voit, ce fonds d’aide à la culture est vital pour la culture. C’est pour cette raison que son activation représente un enjeu majeur aujourd’hui.

Polémiques et incertitudes

Le fonds d’aide à la culture mérite à lui tout seul qu’on lui consacre une chronique, un conte contemporain. A vrai dire, beaucoup ne savent pas comment tout cela a commencé. Et pourtant, au lendemain de l’annonce du ministre des arts et de la culture, on a entendu certaines radios dire que l’initiative viendrait d’un chanteur Hip hop ou d’artistes mobilisés dans un mouvement d’indignés. Tout cela n’a aucune importance et la fébrilité fait sourire les observateurs qui suivent ce dossier depuis les débuts. L’essentiel est ici : comment faire en sorte que le Fonds d’aide à la culture serve réellement aux buts et aux finalités qui lui sont assignés ? Comment, à travers cet outil, les créateurs peuvent-ils eux aussi espérer se valoriser et s’inscrire dans un contexte mondial fait de rareté de ressources pour financer la culture ?

Par ailleurs, on connaît l’engagement et l’implication personnels du Chef de l’Etat, Son Excellence Faure Gnassingbé dans l’aboutissement heureux de ce dossier, mais tout porte à croire que certains veulent en tirer un bénéfice politique !

Dans un autre registre, après avoir été nombreux à souhaiter depuis longtemps la mise en route du Fonds, beaucoup d’artistes sont tout d’un coup rongés par le doute et la peur. Ils craignent, à tort ou à raison que ce fonds si précieux, ne serve qu’à financer des acteurs culturels d’un certain bord politique ou qu’il y ait des règles « obscures » présidant à sa répartition. « On est au Togo où tout le monde se connaît » se disent-ils déjà blasés. L’activation du fonds d’aide serait-elle une fin en soi ? Faire des règles claires de répartition, les annoncer et les mettre à disposition de tous les acteurs ne permettrait-il pas d’éviter ces genres de considération même si on sait que le milieu artistique est celui où se retrouvent des gens les plus difficiles ?

A ce propos, Corneille, un artiste vivant en France depuis 20 ans part en rire : « Ah bon, on crée un fonds d’aide à la culture au Togo ? N’est-ce pas pour ceux des artistes qui sont proches du pouvoir ? En tout cas, moi je sais compter sur moi-même depuis toujours. » Un fonctionnaire connaissant les rouages de l’administration togolaise et observant le peu d’empressement des autorités du Ministère des arts et de la culture à prendre les bonnes décisions en temps réel affirme le plus sérieusement du monde que ce Fonds d’aide à la culture est un « piège ». Pour lui, tout sera mis en œuvre pour bloquer les décisions. Ainsi, on arriverait à la fin de l’exercice budgétaire 2013 sans que les 350 millions ne soient consommés, donnant alors l’occasion au gouvernement de dire que les artistes n’ont pas besoin de financement ! A qui profiterait ce schéma confus ? Le gouvernement donnerait-il de la main droite pour le reprendre par la main gauche ? Ne donne-t-il pas pour faire face à de réels besoins ?

On comprendra que les vrais enjeux sont ceux-ci : quand verra le jour la direction du fonds d’aide à la culture prévue par le décret n°2009-291/PR du 30 décembre 2009 en sa section 2 ? Est-il vrai comme on le murmure qu’il n’y aurait pas de compétence parmi les cadres du Ministère de la culture pour tenir une telle direction alors que c’est ce que dit le décret ? Quand écrira-t-on les textes qui fixent les bases du fonctionnement et de la répartition du fonds, des textes qui « privilégient » l’intérêt des artistes sur toute autre considération ?

Il paraît que ces choses ne sont pas si simples maintenant qu’il y a de l’argent à dépenser ! Pauvre Togo !

Confusion entre vitesse et précipitation

Pourtant, le ministre de la culture prend déjà des initiatives. A la tête d’une délégation de trois personnes, il vient de terminer une mission d’information au Bénin du 18 au 20 février 2013 pour « s’inspirer » du modèle de gestion du « milliard culturel » de nos voisins de l’Est. Il a bien choisi sa destination, car, dans ce pays, en dehors du milliard consacré au fonds d’aide à la culture, ce sont 600 millions que l’Etat béninois met à la disposition de la promotion artistique sans compter les moyens financiers dont disposent les mairies et les élus locaux pour financer la culture à l’échelle de leur territoire.

De sources bien informées indiquent qu’à son retour, il a déjà convoqué plus d’une fois certains des membres du Comité de gestion du fonds alors qu’il faut d’abord mettre en place la direction du fonds. Est-ce le Comité de gestion qui va gérer le fonds cette année, « en attendant » ? Le contraire a été annoncé par Me Sessenou lui-même le 8 février 2013. En effet, selon les journalistes présents le jour de l’annonce publique du fonds, le ministre des arts et de la culture aurait déclaré : « les modalités d’utilisation du fonds sont fixés dans le décret, de même que les objectifs de l’aide. Il nous suffit de nous référer à ces textes existants pour mieux gérer ces fonds. »

Si donc les textes sont si bien faits, si tout a l’air si simple, pourquoi met-on la charrue avant les bœufs ?

Vivement, que les choses sérieuses commencent et que les artistes voient enfin les couleurs de cet argent si précieux à l’avancement de la cause de la culture dans notre pays.

 ©Togocultures

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