Répondant à une invitation insistante des éditions Graines de Pensées, je me suis laissé emporter par Le Vent des Filaos, et même si je m’y attendais un peu, (parce qu’enfant de Lomé, je connais la déchirante douceur des sifflements de ce vent particulier), j’ai néanmoins été pris dans le piège enchanteur de la poésie de Germain LOCOH-DONOU qui m’a enfermé dans la Mémoire des mots. Il est vrai que prisonnier consentant, je n’arrivais pas à me passer des délices qu’entretient l’univers poétique d’un praticien d’une science qui engage la vie et la mort des enfants.
En effet, le pédiatre a posé ses mots de feu dans le vase de notre vie pour nous la redonner à revoir par deux voies apparemment distinctes, mais fondamentalement confondues :
- D’un côté, il réconcilie les quatre éléments de la nature : La Terre, l’Air, l’Eau et le Feu ;
- De l’autre, il poétise le cycle sacré de l’existence : La Vie, la Mort et la Renaissance.
Dans sa présentation physique, selon les normes techniques et artistiques de l’édition, Le Vent dans les filaos est un recueil de 140 poèmes répartis en trois parties de longueurs inégales sur 150 pages.
- Le Chant dans les filaos, 47 poèmes
- Pose, 27 poèmes
- La Lagune en feu, 23 poèmes.
Certains textes annotés et des références explicites à certains épisodes douloureux de l’histoire récente de notre vie commune démontrent, que par endroits, nous sommes en présence d’une poésie « à trous » dont la lecture recomposée pourrait lui donner des relents autobiographiques. Loin de là, Germain LOCOH-DONOU a su éviter les pièges de la facilité qui consisterait à habiller des pans de vie. Au contraire, s’il a trempé sa plume dans les encres de son vécu, c’est pour réaliser une véritable alchimie verbale qui fusionne les deux itinéraires précités : la réconciliation des quatre éléments et la poétisation du cycle de la vie. D’ailleurs, le préfacier écrivain et critique de renom fournit des indices au lecteur lorsqu’il rappelle les enseignements de son maître qui pense que « le poème est la transformation d’une forme de vie par une forme de langage et d’une forme de langage par une forme de vie ». Nous avons donc le résultat suivant :
La Réconciliation des quatre éléments
Les thèmes Terre, Air, Eau et Feu sont tellement abondants dans Le Vent dans les filaos qu’il semble en être saturé.
La terre en tant que réalité physique est rare et pour cause. Elle apparaît plus sous l’image de la nature transformée par les hommes (Ville, village, hameau, pays) ; une réalité géophysique (Afrique, Libéria, Kigali) souvent proche ou natale (Vogan, Bè, Barkoissi, Akposso. Ces espaces proches ou lointains, vécus ou évoqués sont utilisés dans un rapport d’opposition entre réalité douloureuse et désir ou rêve d’un mieux-être. C’est finalement la quête de la « Terre Unique », une Terre idéale, voire idéelle parce que construite par le rêve du poète qui n’est « ni du Nord, ni du Sud », une « terre unique, Portant la semence des ancêtres, Et la promesse des enfants de demain ».
L’Air également se présente dans son ambivalence, comme la Tempête, comme le hurlement de douleur et le cri de rage d’une ville martyre ; mais aussi comme la voix basse ou le murmure « dans la tendresse partagée, ou dans l’offense pardonnée. Mais c’est aussi et surtout « Paroles et Silence, mais « une parole à naître, …faite… de silence ». Ici, l’air, c’est le verbe qui s’est fait chair
L’Eau sous la plume poétique de Germain LOCOH-DONOU réalise une alliance mortelle avec le Feu puisque, c’est hélas la vision macabre des cadavres de la lagune de Bè, C’est l’oxymore « la lagune en feu ». C’est pourquoi le poète soumet les deux éléments à l’ineffable : « il y eut un feu sur la lagune, Un grand feu sur la lagune de Bè ». Le poème finit sans suite comme si les mots du poète ont perdu toute capacité d’expression. Silence de mort. Mais aussi silence pour la Vie car la poésie de Germain LOCOH-DONOU est une poésie de la Vie que connote la dynamique du Vent, qui s’inscrit dans le triptyque Vie – Mort – Renaissance.
Particulièrement, les poèmes de la première partie de ce recueil sont des hymnes à l’Enfant et à l’Enfance. Germain LOCOH-DONOU est pédiatre, donc médecin spécialiste de l’Enfant. Univers professionnel qui n’est pas du tout poétique. Cependant la poésie vient illuminer les ténèbres par ses rayons de vie : le cri de l’enfant qui naît est le message distrait de demain. Une voix qui réveille nos enfances « Et entonne le premier chant, D’une fête nouvelle ». C’est pourquoi la poésie de LOCOH-DONOH décrit l’Enfant dans un équilibre instable : Entre une promesse de Vie et la nécessité de la Mort. Un « Frêle bourgeon éclos sur la terre de nos désirs » qui oscille entre les différents déterminismes dont les conséquences peuvent être vécues comme des fatalités. A cet effet, l’univers poétique devient orageux et la douce mélodie des filaos se transforme en gémissements, en chants lancinants qui déchirent en zébrures, voire en lambeaux, la texture de certains poèmes. Toutes les souffrances du poète, d’abord psychologiques, par surdose de compassion se densifient en tortures physiques dont les manifestations transpirent à travers tous les poèmes de la dernière partie, « La lagune en feu ».
Dans ce quotidien infernal, à la fois national (« De KAZABOUA, de NETADI et d’AGOMBIO ») et régional (« Monrovia/ Pourquoi tant d’horreur dans tes murs »/), et rythmé par des violences gratuites et de toutes les formes possibles, des plus « banales » aux plus inhumaines, Germain LOCOH-DONOU réconcilie les deux arts dont il a le secret pour procéder à une lecture médico – poétique des souffrances ici-bas : « la souffrance est une mutation génétique de nos bonheurs » confessa t-il. Des lors, il nous installe pleinement dans la conception métaphysique de la création artistique telle que abondamment démontrée par les poètes « illuminés » au XIX ieme siècle.
Mais contrairement à ces devanciers victimes du « mal du siècle » (qui se sentaient «mal dans la peau », « mal dans la vie » et « mal avec les autres »), la réalité ne le déprime pas. Et par conséquent, il ne préconise pas le suicide, ni toute autre forme d’autodestruction…
Alors, souvent, ou toujours, le poète édulcore la Mort, un terme que, par pudeur, il se garde d’utiliser. Ainsi, décrivant la mort d’un enfant, il se mit à rêver :
« L’enfant au rire éteint
S’en va vers son destin
Sans pleurs et sans jouets
Lentement sur les ailes de la nuit »
Ce faisant mort la mort est perçue comme un voyage si elle n’intervient pas comme une libération. A la limite, elle est une promesse de vie qui élève le poète – pédiatre dans sa mission et l’encourage dans sa quête. C’est pourquoi, par delà la mort, il y a la promesse de la Vie.
Renaissance ? Peut-être…
Espérance ? Certainement !
Ecoutons plutôt :
« Et l’enfant souriait
Sourire bleu sombre dans un petit pagne blanc
Sourire bleu figé dans l’instant d’une aube
Sourire, prémices des jeux d’un autre monde
L’enfant souriait… »
Poésie de la Nature, poésie des tourments de la vie, mais essentiellement poésie de la Vie, Le Vent dans les filaos se lit comme une hymne à la créature ; plutôt à la création et à ses promesses. Vous comprenez donc pourquoi le préfacier, Kangni Alem, l’autre poète, recommande que les poèmes de Germain LOCOH-DONOU soient lus et chantés.
Guy K. MISSODEY