Si Raouf Tchakondo prend soin de son corps comme de la prunelle de ses yeux, c’est que le corps est un outil précieux, un outil de conquête permanent, sans lequel rien ne peut se construire. Il a besoin de ce matériau comme de ses yeux pour observer les flux et reflux des vagues, le vent ployant les arbres et les herbes dans la forêt et surtout les danses vodou du Sud Togo, Bénin, Ghana et Nigéria et les danses traditionnelles du Nord Togo pour construire ses univers. Raouf Tchakondo est un danseur, chorégraphe et professeur de danse Togolais.
Dans la danse contemporaine, il faut tout inventer en s’appuyant sur des techniques. La danse contemporaine n’est-ce pas l’art de mouvoir le corps humain sur un rythme donné selon un certain accord entre l’espace et le temps ? L’élément de base pour Raouf Tchakondo c’est l’orientation que tu donnes au corps dans l’espace en se calquant sur les figures géométriques : cercles ouverts et fermés, les triangles, les losanges, les carrés, les rectangles, les polygones réguliers, … A travers ces formes, le corps de Raouf, cette cathédrale, donne des couleurs au mouvement et provoque le ressenti du public et le résultat est exquis. Le public est conquis. Que ce soit dans les salles de spectacles, les gymnases, la plage, la rue, en Afrique et en Europe le danseur grignote de l’espace et dompte le temps.
L’influence des danses traditionnelles et vodou donne un cachet spécial à ses créations
La liberté qu’offre la danse contemporaine permet de tout inventer ou réinventer et Raouf Tchakondo utilise les techniques de base acquises pendant ses formations au Togo, en Belgique, en France et au Sénégal pour donner une identité propre à ses créations. Cette identité a pour soubassement ses racines vodou et traditionnelles : « J’ai beaucoup étudié nos danses et c’est ce qui m’aide à trouver les similitudes entre les autres danses et techniques. J’aime trop nos danses Vodou et je pense qu’elles ne sont pas encore valorisées comme il le faut : Les danses Vodou du sud d’abord et après les danses traditionnelles du nord. Je m’appuie beaucoup sur les danses vodou comme Hebiesso Tchôhoin, Sapkatè, Guèlèdè et Egun et en danses traditionnelles, je citerai Gbekon, Atchina, Adjogbo, bla, T’bol, kondona, Idjombie, Takaï, Gadao, Souhou, Talkout, Malkonsiek, Yanga, Adjifo, Djokoto, Krougnima, Akpema. ». Il revendique la technique Ga de Germaine Acogny qui s’appuie sur les danses traditionnelles africaines et la danse moderne « Sa technique est absolument comparable à des techniques occidentales comme celles de Graham ou Limon. » La technique Acogny est surtout basée sur la marche, le travail sur la colonne vertébrale, les ancrages au sol et la musicalité.
Né à Lomé, il y a 36 ans, ce beau, jeune et humble natif de Tchaoudjo a habité le quartier Saint Joseph où il a subi l’influence les trois religions Vodou, christianisme et islam. L’imagination fertile de Raouf Tchakondo dissèque les danses vodou de son enfance et les danses traditionnelles pour n’en retenir que la substantifique moelle. Par exemple, il exploite le cercle, la convergence des mouvements vers le milieu du corps, du dedans vers le dehors. Ce qui crée l’esthétique dans la danse Gadao chez les Tem. Dans l’esthétique de la danse du dieu de la terre et de la variole, Hébiesso, il focalise son attention sur la posture du corps et l’exécution des mouvements de va et vient. La danse kondona en pays kabyé travaille les pieds mais ce qui intéresse Raouf Tchakondo est la dissociation du bas avec le haut du corps et les mouvements de la tête. La danse de réjouissances, Adjogbo, dans les Lacs exécutée souvent par des personnes âgées est séduisante car elle offre plusieurs jeux, plusieurs tours. On raconte que c’est une danse des singes découverte par hasard par des chasseurs. Ainsi, les jeux, les acrobaties, les petites histoires, les tours (doublé et triplé), les sauts en quatrième, saut simple et surtout l’approche de cette danse avec le sol séduisent l’imagination hardie du chorégraphe Raouf Tchakondo.
Ses créations abordent des thèmes liés à l’Homme et à son environnement : l’esclavage moderne, l’amour, l’eldorado et son lot d’immigration, l’égalité entre tout le monde malgré le handicap de certains, la nécessité de s’unir pour transformer nos sociétés. C’est dans cette veine qu’il a créé : Kébia et Kola (2008), Nalè et Essime (2009), Dansons tous ! (2010) –une pièce à 18 danseurs mêlant personnes à mobilité réduite et des danseurs. Il a une préférence pour les spectacles solo : L’oeil (2013) lors du Festival Filbleu au Togo, tourné au Bénin (2014) et en Côte d’Ivoire (2015).
Le parcours du danseur et chorégraphe Raouf Tchankondo
A 18 ans, Raouf Tchakondo découvre la danse avec la Compagnie Sojaf de Mme Dédé Sodji. Puis, il fera une partie de ses armes avec le chorégraphe Henry Motra. Lui qui passait sa vie dans les années 90 à danser du Soukous, rencontra par hasard la danse moderne et contemporaine en faisant la première partie d’une création de la Cie Sojaf. A cette période, il détestait tout ce qui avait trait aux danses traditionnelles. En choisissant la danse contemporaine, il ne savait pas qu’un jour il se nourrirait entièrement des danses traditionnelles et rituelles.
Le chemin se fait en marchant comme dit Augusto Boal. En 2003, sélectionné par le chorégraphe Sierra Léonais Harold George de la Cie Dunia Dance Théâtre, il part se former en Belgique et danse avec la Compagnie belge Nyanga Zam dans « Yoko, une reine africaine », « Baraka siga baraka fa », « His story », pièces qui ont tourné dans différents pays d’Europe. « C’est avec Harold George que j’ai appris beaucoup de choses. J’avais des cours privés et collectif dans les écoles. J’ai pris conscience quand on a beaucoup de chemins à faire au Togo».
A son retour à Lomé, il anime des stages de danse, travaille avec des compagnies de danse comme Woenyo et leur apprend comment utiliser et prendre soin de son corps. Il leur propose des approches nouvelles. En 2005, il décide de créer sa propre compagnie, Aské Danse, pour montrer le niveau de son travail en tant que danseur et chorégraphe.
De 2008 à 2011, ses stages en danse contemporaine vont prendre une nouvelle dimension : au Sénégal, il est à l’école de Sable de Germaine Acogny. Il obtiendra un diplôme pour enseigner sa technique. Il participe au projet Hommage à Maurice Béjart. Il a également été formé au Centre National de Danse à Pantin en France par Nina Diplan Marina Rocco, Sclomi Tuizer, Caroline Bo (2009)… Depuis 2011, il est sollicité par Germaine Acogny pour l’assister et transmettre sa technique.
Actuellement en résidence de création à Lomé, il prépare « Le double masque » (solo) et « Maquis scories » (duo) qui abordent les questions du noir vis à vis du noir et de l’autre.
Gaëtan Noussouglo© Togocultures