Un cloitre du XIV, véritable passerelle en grès rose des Vosges, résonne aux rythmes et chants vaudou du Togo. Le Grand maître de la percussion et du chant « Azangounon », Togbévi Nador et son groupe font trembler les murs du cloître avec « Sé yé ayé ayé », le chant des grands chasseurs, une incantation pour faire sortir de l’ombre tout ce qui est caché. La Compagnie Azangounon était attendue le 8 octobre 2011 à 11h avec peur panique, une pluie s’invite au Festival International de Géographie de Saint-Dié et distille des airs d’annulation. 30mn après l’heure prévue la foule commence à se disperser. L’aire réservée en extérieur à la compagnie est déserte d’artistes. Au moment où le public songeait à partir, des voix résonnent…
Yao Métsoko, le peintre-sculpteur togolais, entendant ce grand chant guerrier frémit. Il se souvient de ses grands pères et se demande ce que fait ce chant de circonstances dans un cloitre. Il n’aura pas le temps de réfléchir longtemps. Ce que Yao Métsoko ne sait pas, ce chant guerrier est aussi l’histoire de Togbévi Nador, le fondateur du groupe Azangounon qu’il n’a fait que croiser dans ce cloitre.
Il y a 43 ans naissait Togbévi Nador à Doulassamé, un quartier populaire de Lomé. Il a été très tôt baigné dans les rituels vaudous. Son arrière grand père était le grand Maitre Azangounon, celui-là même qui joue le grand tam-tam dans le couvent vaudou. Azangounon, c’est aussi le grand maitre d’ « Azédé houn », ce tambour exécuté une fois l’an et qui convie tous les grands défunts de la famille chez les peuples Guin d’Assou Kopé dans la préfecture des Lacs. Le jeune Nador était aux côtés de son arrière grand parent et suivait aussi tant à Doulassamé qu’Assou Kopé les rythmes et cérémonies en l’honneur des divinités Mama Tchamba (divinité des captifs), Mami Wata (déesse des eaux), Kpessou, Sakpaté (dieu de la maladie, de la guérison et de la Terre), Egou (divinité de la route), Da (le serpent) et Les divinations du Fa. Son grand père n’était-il pas aussi un Adélan, un grand chasseur qui fait résonner le grand tambour à chaque retour fructueux de la chasse ?
La musique envoute les mœurs !
Depuis l’âge de 19 ans, le jeune Nador a décidé de sortir les chants et danses du couvent vaudou pour l’amener dans la rue, les festivals, les boites de nuits, les bars, les scènes, en prison et ce 8 octobre 2011 dans les cloitres. Ce grand chasseur de la musique et bijoutier de profession, il a un BEP de bijouterie, laisse venir la foule vers lui au lieu d’aller vers elle dans le cloitre. Il est à la croisée des cultures et est porteur du rythme et de la pédagogie de la culture togolaise.
Togbévi Nador, en adossant la responsabilité d’Azangounon, prend en main l’héritage familial, sa réflexion, sa pédagogie et sa culture. Il concocte ainsi les rythmes et chants et convie son équipe aux rituels dans un univers européen où la laïcité devient presque une religion. Il distille le rêve et l’amour dans le public pour l’amener vers une transe certaine. Il est accompagné par six autres artistes et la danseuse Nathalie Batien, son ancienne élève à Bordeaux devenue professeur de musique et de chants. Les chants ameutent les incertains et juste à l’entrée du cloitre un djembé, un tam-tam blékété, un shéréké et un « gakokoé » pour tout instrument accompagnent les Déodatiens dans l’univers vaudou togolais, partant dans la douceur de la musique traditionnelle togolaise où se croisent « adéhoun, agbadja, aguéshé, kinka, gazo, akpèssè, kamou, blékété, gota » Une trentaine minutes , puis le groupe Azangounon se disperse et invite le public l’après-midi à 14h à gouter aux rythmes chants et danses du Togo.
Cette entrée en matière est nécessaire pour aiguiser les fourmis dans les jambes et activer « le téléphone arabe ». A 14h, le cloitre était noir de monde. Les huit artistes font leur entrée remarquable et attendue. Durant 1h30 les Azangounon ont assuré un concert riche en chants, percussions et danses.
Julien, un Vosgien lance « On pensait trouver un groupe d’amateurs, c’est vraiment des pros. C’est super. Cette chaleur qui me traverse dans ce climat glacial » ! « Magnifique ! », peut-on entendre dans la foule envoûtée qui a du mal à se défaire des rythmes et chants et reprendre le chemin des 40 autres activités prévues par le Festival International de géographie dans le reste de cette journée. Des pros, vraiment, puisque ce groupe est composé d’artistes venant d’horizons différents. Le grand maître Adoboè Abossé, a construit la gloire du groupe de ballets Djokoto, dont il est l’un des membres fondateurs. Ras Komi a été percussionniste et danseur de King Mensah avant de s’installer à Lyon. Anani Apétogbor jouant le « blékété ou dum-dum » et maître de percussions a fourbi ses armes avec Anani Gbétéglo. Chimène Folley, Binta Diouf et Nathalie Batien sont des danseuses hors pair…
Togbévi Nador, fondateur du groupe Azangounon a réussi à réunir ce beau monde pour les amener à ce Festival où le Togo est à l’honneur. La joie de danser, de dévoiler la culture togolaise est le maitre mot. Ils oublient les cachets qui constituent la vie d’un artiste. Leur passage dans les Vosges revêt, pour eux, un caractère spécial. Le public apprendra deux chansons togolaises et dansera Akpéssé et Kamou avant de prendre congé des artistes.
Au Moyen-âge, c’est sûr qu’avec ces rythmes, le buché leur sera assuré. Le temps est passé et la vie professionnelle se croise dans des lieux chasses-gardés des prêtres et autres évêques et ces rythmes sous d’autres cieux célèbrent Yahvé dans le catholicisme.
Quelques repères dans la vie de Togbévi Nador ?
Dès l’âge de 4 ans, il a été nourri aux rythmiques, rythmes, danses et chants rituels des chasseurs et des divinités de la famille. Puis comme tout enfant, à défaut de jouets, il détourne le sens des objets, donne libre cours à son imaginaire. S’ensuivent des fantaisies, des créations de rythmes à partir des boites de conserves de tomates. Lors des animations politiques à la gloire d’Eyadéma qui a institué le culte de la personnalité, dans le quartier du grand maître gbétéglo à Amoutivé, les rivalités entre groupes rythmiques naissent et fortifient ce jeune qui veut exceller dans ce qu’il sait mieux faire : jouer aux tam-tams, chanter et danser.
Né dans une famille très modeste, il abandonne les bancs en classe de 5e, pour apprendre la bijouterie. Et subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. A 19 ans, il part en tournée avec Eddy Assiongbon Adjomayi part en tournée aux usa avec le groupe de ballets traditions sakpaté et le grand chorégraphe Ass Ayigah du groupe Ayigafrik installé depuis quelques années à Londres.
En 1985 Il crée sa propre compagnie Azangounon.
De 1990 à 1997, il enseigne les percussions au British School , à l’Ecole américaine et au Lycée français de Lomé.
A partir de 1998, sa vie va changer, en tournée avec Ass Ayigah en Europe, il participe au Festival du monde à Luxembourg grâce à Paul Ahyi et traverse la France avec ses rythmes. Ses rythmes se croisent avec le pianiste Jean-Louis Rézard. Il découvre le carnaval de Bordeaux avec Frédéric Brerete. Séduit par son immense travail, ce dernier lui fait un contrat à durée indéterminée dans son centre CFAT33. Ainsi Togbévi Nador s’établit à Bordeaux pour enseigner les percussions, les chants et la danse togolais.
Il sillonne avec des compagnies chorégraphiques les pays occidentaux, France, Allemagne, Espagne, Israël, Italie. Intègre des groupes de raggae de Mayotte installés à Pau. Il découvre Comores, Madagascar et Réunion
Depuis 2001, il pratique du tourisme culturel. Il amène ses élèves au Togo.
A partir de 2005, ce tourisme est accentué avec une brochette de 10 personnes chaque année avec pour objectif la découverte des rythmes, chants et danses togolais. Il est accompagné dans sa démarche par la MJC de Mérignac, Eclats de Musique du Haillan, le directeur de la salle de concert Entrepôts, Emmanuel COUNORD, maire adjoint de Saint-Médard. Ces derniers les aident à organiser des concerts dont la recette sert à financer l’Ecole Primaire d’Assou Kopé. à acheter des cahiers aux, à assurer des stages de danses,…
Il a en projet la construction d’un orphelinat de 600 m2 à Gbodjomé, pour mieux imprégner ces jeunes dans les rythmes locaux, en bijouterie et leur assurer une bonne scolarisation.
Aujourd’hui son projet le plus cher est l’union de tous les artistes togolais. A Bordeaux, il a déjà réussi à inviter plusieurs artistes dont les chorégraphes Ass Ayigah, Henry Motra, Kinka Ayigah, le plasticien Vincenzo Follykoué, le metteur en scène Banissa Méwé dans le cadre des ateliers et du festival de Haillan et à bordeaux centre ville !
Gaëtan Noussouglo © Togocultures