Théâtre : Wanted ou La traque d’un tueur de chef d’Etat au pet

Dans le cadre de son vingtième anniversaire, le théâtre Kadam-Kadam a porté sur la scène du Goethe Institut de Lomé, les 2 et 4 juin dernier, la pièce Wanted, une adaptation par Luc Koubidina Alanda des textes de l’écrivain Camille Amouro (Les Pets de Pierre Casanova) et Emmanuel Dongala (L’Homme) extrait du recueil monumental Jazz et vin de palme. De drôlerie en drôlerie, l’humour décapant de la scène est une somme de critique sévère de la Françafrique – dont la mort annoncée est toujours démentie par l’actualité-, des dérives de la manipulation politique en terre africaine,  des régimes despotiques africains et leur cortège de répressions sauvages. Et une ambition de les destituer.  

Deux seaux remplis d’eau, deux chaises, un praticable couvert d’une draperie aux couleurs bleu, blanc et rouge, une espèce de drapeau aux couleurs très togolaises. Et deux personnages (les acteurs Luc Koubidina Alanda et Lucky Kodzo Teteh) décident de se plonger dans l’histoire, au demeurant assez cocasse, de Pierre Casanova Le Même, Le Pareil. Une histoire de pet. Une  histoire d’un pétomane devenu une célébrité grâce à  une anthropologue française « chercheuse par-dessus le marché », « humaniste et passionnée d’Afrique ». Rien que ça.  Les pets de Pierre Casanova Le Même, Le Pareil, ont déclenché une série d’études par des spécialistes  qui poussèrent comme des champignons et des publications toutes aussi grotesques les unes que les autres. On a eu par exemple droit à « L’histoire des pets des origines à Pierre Casanova  Le Même », et « Anatomie de l’anus du péteur », voire même, le ridicule ne tue pas,  des études sur l’impact du pet sur le développement, la création d’une Observatoire internationale des pets.

Le spectacle est une satire non seulement du monde de la recherche, notamment de la vacuité de certaines études dans les sciences humaines,  et aussi en littérature quelquefois. On se rappelle ces thématiques de la « mondialitude » et de la « migritude » développées par certains professeurs émérites érigés de la littérature africaine vue de France et desquelles se sont emparés des professeurs de littérature en Afrique et plus spécialement à l’Université de Lomé !  En filigrane, c’est la critique de la Françafrique, la manipulation de l’opinion africaine, les limites de la coopération avec la France où le développement perd tout sens avec des projets contreproductifs ou contraires carrément au bonheur des Africains.

Le spectacle aurait été d’un ennui suicidaire s’il s’était arrêté à la nouvelle de Camille Amouro. La critique de la Françafrique dans une Afrique où pullulent des despotes qui s’affranchissent de la tutelle de la métropole pour copiner avec la Chine pourrait paraître rébarbative, en dépit de l’actualité béninoise et ivoirienne- le procès de Laurent Gbagbo et la tentative française de mettre un haut-fonctionnaire français à la tête du Bénin.  Cependant la mise  en scène a dépassé cet écueil en ajoutant à l’adaptation la nouvelle « L’homme », extrait de Jazz et vin de palme d’Emmanuel Dongala. Le péteur érigé en froid avec ces « manipulateurs » parce qu’il ne voulait pas « péter pour les riches » a fini par se retourner contre eux en fomentant l’assassinat du dictateur par « un pet radioactif ». Le pétomane s’est faufilé dans l’enceinte fortifié du palais présidentiel et élimina le président. Une symbolique pour rappeler que toute révolution est encore possible même là où il n’y a plus apparemment d’espoir. Un assassinat qui déclencha une répression aveugle et insensée du pouvoir, juste pour retrouver le putschiste « péteur ».

La mise en scène de la traque du péteur constitue le clou et le limon de ce spectacle, le symbolique de la violence et du sang du peuple répandu, le jeu des acteurs (surtout Kodzo Teteh), sont bouleversants pour le spectateur. Tour à tour, on passe du burlesque à quelque chose de très sérieux, de ravageur quand, à cause d’un seul homme, la soldatesque massacra tout un village. Reste que l’adaptation gagnerait à être moins hermétique par une réécriture plus simple du texte de Camille Amouro. La première partie de la scène, en dépit du jeu des acteurs, les dialogues échappent plus ou moins à la compréhension. Heureusement que le metteur en scène s’est rattrapé par un merveilleux travail du texte « L’homme » d’Emmanuel Dongala.

Ce spectacle reste dans la logique théâtrale du Théâtre Kadam – Kadam. Pour son vingtième anniversaire, Luc Koubidina, son fondateur, n’a pas dérogé à la règle en s’attaquant une fois encore aux pouvoirs politiques et autres forces d’oppression des peuples. La destitution des puissants est un rêve que caresse ce frêle metteur en scène.

Luc Koubidina est un cas atypique dans le théâtre togolais. Comédien et metteur en scène, il fait partie des comédiens ayant décidé de faire leur carrière au Togo contre vents et marrées,  en dépit de l’absence des moyens financiers. A l’instar de son mentor Camille Amouro- également resté au pays,  son enseignant à l’Ecole internationale de théâtre du Bénin, où il affuta ses pratiques des arts de la scène en 2005 et 2006, Luc Koubidina entend ancrer le théâtre au Togo. De retour du Bénin, il  s’est définitivement installé à Agoé, dans une de ces banlieues populeuses de Lomé où il créa une maison des arts de la scène pour porter le théâtre vers le peuple. Une situation assez difficile  qui ne décourage guère ce guerrier infatigable du développement culturel de son pays.

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