Si tu sors, je sors de Marc Agbedjidji et Gustave Akakpo parle de l’univers des grossistes togolaises les fameuses Nana benz et du pagne Wax hollandais. Les motifs véhiculent plusieurs messages sociétaux, politiques et identitaires qui ont intéressé les deux écrivains togolais. Le spectacle a été créé le 30 septembre à Limoges en France et a été joué avec succès aux Récréatrales à Ouagadougou du 29 octobre au 5 novembre. Togocultures a rencontré le jeune metteur en scène Marc Agbédjidji qui nous parle de l’écriture, de la distribution, de la création de ce spectacle.
Togocultures : Les tissus ont un langage indéniable, un clin d’œil aux coépouses, au mari et à l’environnement immédiat de la femme, à la politique. Pourquoi nos mamans ont-elles opté pour ce type de langage ? Comment les hommes politiques qui veulent asseoir leur autorité sur le peuple l’ont-ils adopté ? Aviez-vous décrypté dans ce type de communication une certaine théâtralité ?
Marc Agbédjidji : Tout d’abord, il s’agit de pagne wax, et de ses messages émis par les motifs. Ce message peut être sociétal comme politique. Le pagne du moment où il est posé sur le corps va au delà de son aspect vestimentaire. Il prend un rôle communicationnel. En témoigne des noms de pagnes comme si tu sors je sors, Sankara, conjoncture, l’œil de ma rivale, le secret, etc… Et ce type de langage n’est pas seulement l’affaire des « mamans » mais bien de toute la composante de la société. Dans un premier temps, quand le pagne wax a connu son succès grâce notamment aux puissantes revendeuses de pagnes de Lomé : Les nanas Benz. Toutes les couches de la société se sont emparées de cet élément de communication. Notons qu’il s’agit d’une société où tout n’est pas dit, du moins par l’articulation verbale. Une société dans laquelle un regard, un geste, une interjection, un silence, un motif de pagne sont parfois des messages plus clairs et plus précis qu’une phrase articulée. C’est bien dans ce contexte, plus ou moins favorable, que le pagne à message éclot. Une société où tout n’est pas dit de manière frontale mais où il y a une certaine circularité. L’endroit, pour ma part, de théâtralité, c’est l’endroit de la prise de parole, le pagne donc, élément de communication, de revendication, de révolte, surtout de prise de position, se situe bien clairement à cet endroit de théâtralité.
Togocultures : Racontez-nous l’origine de « si tu sors, je sors ? »
Marc Agbédjidji : Gustave, je ne le connaissais que de loin. On n’avait jamais eu l’occasion de parler. D’une part on n’est pas de la même génération, d’autre part il vit à Paris, et moi, je suis plutôt sur les routes tout le temps. On s’est rencontré à Limoges (Au festival de francophonie) en 2013 et je lui parle du projet, en lui passant ce qui, dans un premier temps, est une commande d’écriture, avec des idées précises de distribution, et de la forme d’écriture que je souhaitais. C’était déjà clair pour moi depuis le début que cela devrait prendre la forme d’un cabaret. Aussi, que les acteurs comme Sanvee Beno, Lyne Evenya (chanteuse), et Josiane Tereme allaient jouer dans le spectacle. Il a eu tout de suite un intérêt particulier pour le projet et nous nous sommes lancés. Chemin faisant, la ligne dramaturgique s’est dégagée, je me suis retrouvé à écrire aussi des parties du texte que l’on a mises ensemble. Le texte a été écrit en pensant à ces comédiens. On est passé par beaucoup de versions du texte, des lectures ensemble, de relectures, des structurations, des réécritures pour arriver à la forme finale de ce texte tel qu’il est maintenant. Il y a eu deux partenaires importants qui nous ont accompagnés dans tout le processus Les Récréâtrales à Ouagadougou. Marie Agnès, directrice du festival international des francophonies en Limousin, co-producteur du spectacle, dès le début de ce projet en 2013, a été intéressée et nous a suivis et accompagnés, tout au long de son élaboration. Elle a proposé le texte pour les cycles de Lectures RFI pendant le festival d’Avignon In, et s’en est suivie une édition du texte par Lansman, puis la création du spectacle le 30 septembre à Limoges. Nous avons aussi bénéficié du soutien financier important de l’Institut Français de Paris dans le cadre de « Afrique et Caraïbes en création » et de l’accompagnement du Centre Dramatique National de Haute Normandie. Nous avons effectué une première étape de travail avec les acteurs, auteurs, metteur en scène en mai 2016, soutenu financièrement par l’Institut français de Lomé, puis en août-septembre 2016.
Comment s’est passée la distribution de la pièce à Lomé ? Travailler à mettre en scène un grand nom du conte et du théâtre du continent en la personne de Béno sanvee, a-t-il été facile pour vous ?
Marc Agbédjidji : Comme dit précédemment, j’avais déjà l’essentiel de la distribution en tête dès la genèse du projet. Sont venus s’ajouter Roger Atikpo, puis Eustache Kamouna. Avant de dire que Béno Sanvee est un grand acteur, je dois dire surtout que c’est une immense personne. J’ai 31 ans ; et pourtant je savais déjà depuis plus de quinze ans que je travaillerai avec lui. Et vous ne pouvez pas imaginer la joie et l’honneur que cela représente pour moi. Cela est aussi la réponse et la victoire sur une frustration que j’ai portée depuis que j’avais 15 ou 16 ans. On habitait dans le même quartier et j’étais venu le voir un jour pour qu’il m’apprenne à faire du théâtre, parce que je le voyais en faire à la télé. Mais je n’ai pas réussi à travailler avec lui d’une part parce que j’imagine qu’il n’avait pas le temps, et de l’autre, comme il le raconte avec beaucoup d’humour mon père s’y était opposé. Naturellement, un enfant qui veut faire du théâtre sous nos cieux, métier bien mal connu, cela inquiète les parents, à tort ou à raison. Alors, lui proposer 16 ans plus tard de faire cette aventure ensemble est un grand bonheur pour moi. Il n’a pas hésité une seconde avant de dire oui, sans aucune condition financière posée, sans aucun jugement sur mon âge, mon expérience. Au contraire il est arrivé avec une humilité et un œil très bienveillant sur le projet. Cela s’est passé dans une très bonne ambiance et cela continue.
Pourquoi avoir opté pour une distribution entièrement togolaise alors que l’histoire des pagnes est présente en Afrique sub-sahélienne ? Est-ce liée à l’histoire des Nana Benz qui avaient le monopole des pagnes wax ?
C’est très simple. Je n’ai pas regardé leur passeport avant de leur proposer de faire cette aventure. Pour moi le chemin de la création est un chemin très sensible. Où tu t’ouvres aux certitudes, aux doutes, aux fragilités. Pour que cela se mène sainement, il faut nécessairement des gens autour de soi, avec soi, qui se font confiance. Pour cela, je ne peux travailler qu’avec des gens que je connais bien, que je respecte et qui me respectent, en qui j’ai confiance et qui croient en moi. C’est à l’endroit de l’humanité qui se trouve dans les gens que je connais que je bâtis une idée de mise en scène, donc de distribution. C’est bénéfique pour ce spectacle à mon avis, toutes les personnes qui sont impliquées dedans ont une histoire liée d’une manière ou d’une autre au pagne, donc savent très bien de quoi on parle et y saisissent bien les moindres nuances.
Quelles étaient les étapes de votre travail ?
On a passé Gustave et moi deux ans environ à chercher et trouver la forme finale de ce texte. Puis en mai, on a fait quatre semaines de travail à Lomé : travail de table, recherches sur le plateau, puis une lecture spectacle à l’Institut Français de Lomé le 27 mai 2016. En juillet, lecture publique RFI du texte au festival d’Avignon In, avec une diffusion de l’intégralité du texte sur les ondes de RFI le 23 août. Août septembre, répétitions à Lomé ; Edition du Texte par Lansman Puis répétition et finalisation à Limoges en fin octobre avec création le 30 septembre. Octobre, répétitions et spectacle aux Récréâtrales à Ougadougou. Du 29 octobre au 5 novembre, nous avons joué aux Récréatrales
Parlez-nous de la mise en scène, de la dramaturgie et de l’accueil de ce spectacle au festival de Limoges
L’idée de la mise en scène est de partir de la forme cabaret. C’est un spectacle très musical. La musique porte l’ensemble de la pièce. D’où une distribution avec des acteurs qui sont tous des musiciens ou chanteurs. Le décor est essentiellement constitué d’une multitude de pagnes qui tombent d’en haut et se déroulent sur toute la hauteur de la scène. La proposition scénographique est née de la collaboration artistique avec David Bobée. Nous sommes assez contents de ce que nous avons fait, toute l’équipe. Les gens ont beaucoup réagi, c’est plutôt très bien. Le deuxième soir, après la représentation, une cinquantaine de spectateurs est descendue sur la scène, s’attrouper autour des pagnes qui forment le décor, pour toucher, interroger, tenter de se rappeler des noms. Lire ce qui est écrit sur leur lisière, continuer la discussion avec le groupe de comédiens et de techniciens. Les barrières tombent, scène et salle se mélangent comme l’y invitent le texte et la mise en scène. . Nous sommes au marché ! Dans l’ensemble, nous avons eu des retours très positifs et enthousiastes.
D’autres dates ? Des perspectives?
Marc Agbédjidji : En mars 2017, Institut Français de Lomé. Et d’autres instituts français de la sous région (Abidjan, Accra, Dakar,..) qui manifeste un intérêt pour le projet. Puis une tournée en France pour la saison 2017/2018 en construction.
Propos recueilli par Gaëtan Noussouglo