Nyagbé : Du théâtre dans les milieux scolaires pour le développement personnel de l’élève

Olivier Dubois, enseignant et comédien spécialisé dans le théâtre d’improvisation quitte sa France natale, arrive au Togo en 2013 et monte le Théâtre Nyagbé avec pour ambition des interventions dans les milieux scolaires, la sensibilisation du public par des saynètes et le théâtre forum et la création des spectacles d’improvisations avec le Théâtre Camaïeu. Il crée le Projet Nyagbé et en devient son directeur artistique. Ce projet révolutionne les pratiques artistiques dans les milieux  scolaires. Il s’appuie sur des comédiens comme Blaise Foli, Akofa Kougbenou, Marie-Jo Gbegbi, Narcisse Amouzou, Edem Modjro, Stan Sitou et David Dessa Ganda. En travaillant avec les élèves sur toute l’année scolaire 2015-2016 dans plusieurs établissements, il  a touché 284 ateliers théâtre, 76 ateliers d’écriture et organisé 39 séances de lecture dans les établissements scolaires de Lomé et touché plus de 1200 élèves.

Togocultures a rencontré Olivier Dubois formateur en théâtre d’improvisation mais aussi en communication (prise de parole en public, team building, management…) pour connaitre ses motivations et parler de ses nouveaux projets

 Qu’est-ce qui vous a motivé à organiser ces types d’activités dans les établissements ?

Olivier Dubois : C’est l’ONG La Chaîne de l’Espoir Togo, par l’intermédiaire de sa coordinatrice Carine Jonckheere, qui est venue me chercher en premier. L’équipe cherchait  à mettre en place des activités parascolaires permettant à l’enfant de développer des compétences transférables dans leur scolarité et retrouver du sens et du plaisir à l’école. On a monté, en étroite collaboration, le projet Nyagbé. Comme je suis enseignant (j’ai été professeur des écoles en France et au Togo) et comédien, nous avons pu trouver les manières de lier les deux en utilisant le théâtre. L’objectif initial de la CDE Togo était de se centrer sur l’individu et non plus sur les structures encadrantes  (cantine, bâtiment, matériel …comme ils le faisaient auparavant et comme ils continuent à le faire !). Quoi de mieux que le théâtre !

Togocultures : Vous affirmez que le Projet Nyagbé fait bouger des lignes au sein des établissements ? Quelles lignes ?

Olivier Dubois, directeur artistique du Projet Nyagbé
Olivier Dubois, directeur artistique du Projet Nyagbé

Olivier Dubois : Les lignes bougent surtout au niveau des élèves : nos observations et les témoignages montrent que nos ateliers aident l’élève…et cela à plusieurs niveaux : son développement personnel (ils prennent confiance en eux, osent parler, gèrent mieux leurs émotions, acceptent les règles, …) et l’expression orale et écrite (amélioration de son niveau de langue, meilleur compréhension, prise de conscience de l’utilité de savoir bien s’exprimer, …). Il est intéressant de constater que les ateliers ont eu une influence forte sur les élèves ; la manière de les mener – osons parler de pédagogie – a permis aux élèves de se sentir exister  en tant qu’individu à part entière : j’ai le droit de me tromper, j’ai le droit d’essayer, j’ai le droit de dire ce que je pense et surtout je peux être différent, un « autre moi », autrement dit : je peux changer donc évoluer pour devenir meilleur.  Les Cm2 de l’Ecole primaire de Doumassesse, dans laquelle on intervient depuis octobre 2016,  ont obtenu 100 % de réussite au CEPD ; et même si on ne s’accorde qu’une influence limitée sur ce résultat, on sait qu’on y a contribué d’une manière ou d’une autre (On est même fiers d’y avoir contribué !) En ce qui concerne le corps enseignant, les effets sont plus disparates : certains se sont fortement intéressés à nos pratiques, d’autres n’ont pas eu le même intérêt. Nous avons même été considérés comme intrusifs dans certains établissements.  Néanmoins, dans l’ensemble, la relation a été bonne sur le long terme. Pour les séances de lecture, par exemple, les enseignants ont été en demande d’aller un peu plus loin qu’une simple séance de lecture offerte. On peut espérer que certains auront envie de faire évoluer leur pratique.

Togocultures : La participation a été au-delà des espérances des organisateurs. Comment l’expliquez-vous ?

Olivier Dubois : Les activités se sont faites sur la base du volontariat ; les ateliers étaient prévus pendant les heures libres donc en dehors des heures scolaires. Et pourtant, quasiment tous les élèves étaient présents (une moyenne de 90 % de présence). Et lorsqu’on interroge les élèves par rapport à leur satisfaction vis-à-vis des ateliers, on se rend compte que 96 % des élèves considèrent les ateliers comme étant « très bien » ou « bien ». Je pense que nous avions sous-estimé l’intérêt des élèves pour les ateliers que nous animons. Personnellement, je pense que l’absence ou la pauvreté des activités proposées et disponibles  pour les jeunes togolais jouent en notre faveur. Nous leur proposons une heure où ils peuvent s’exprimer, jouer, même se tromper…dans une ambiance plutôt bienveillante. Les comédiens sont aussi pour beaucoup dans ce succès ; leur investissement et leur envie ont permis au projet d’exister. Pour cela, je les en remercie.

Togocultures : Cette année le projet prend d’autres ramifications ? Pourriez-vous nous en parler ?

Une vue des élèves du projet Nyagbé
Une vue des élèves du projet Nyagbé

Olivier Dubois : Etant donné les résultats obtenus, le projet grandit encore. En plus de nos deux écoles dans lesquelles nous continuons à intervenir, nous allons « ouvrir » entre 6 et 10 clubs théâtre pour des enfants volontaires dans d’autres établissements du primaire au lycée. Les premières séances montrent que le succès est au rendez-vous : plus de 60 présents au premier atelier du Collège Tokoin Nord ! En parallèle, la Chaine De l’Espoir désire orienter son activité vers la sensibilisation. Des formations, auprès des enseignants et des élèves, vont être organisées sur des thématiques sensibles comme la santé sexuelle, la non-violence et l’hygiène (Les comédiens de Nyagbé ont eux-mêmes suivis ces formations !) ainsi que des saynètes de sensibilisation sur ces mêmes thématiques, écrites et joués par les comédiens de Nyagbé.

Togocultures : Avez-vous rencontré des difficultés sur le terrain ? Comment les avez-vous surmontées ?

Olivier Dubois : Les difficultés résident, avant tout, dans le manque d’enthousiasme de certains professeurs. Nos méthodes sont assez éloignées de leur pédagogie uniquement transmissive et souvent assorti d’une autorité violente. Parfois la confrontation est, disons, tendue. C’est dommageable … d’abord parce que la plupart est intéressée par le projet et que les Directions de l’Education étaient, elles aussi,  partie prenante dans le projet (la Chaine de l’Espoir avait bien fait le lien entre tous les acteurs éducatifs et le projet).

Togocultures : Des perspectives d’avenir…

Olivier Dubois : Des projets…encore des projets ! Des séances de théâtre forum sont prévues sur la traite des êtres humains à Lomé et dans tout le Togo en collaboration avec la coopération française et le ministère de la justice.  Un tournoi d’improvisation avec quatre équipes venants de quatre continent les 7 et 8 avril 2017 à l’Institut Français du Togo avec la compagnie Camaïeu. Et même peut être une tournée en France !  De son côté, notre  projet Nyagbé est en route : il a pris sa vitesse de croisière. Je crois bien qu’il pourra continuer sans ma présence (je quitte le Togo en Juillet 2017). Cela ne m’empêchera pas de revenir, de temps en temps, histoire d’apporter un peu de mon aide…si le besoin s’en fait sentir. Akofa et Stan sont formés cette année afin de pouvoir prendre une partie des responsabilités qui m’incombent encore cette année. Si les financements sont au rendez-vous, le projet est promis à un bel avenir. A nous de le rendre nécessaire voire indispensable !

Propos recueillis par Gaëtan Noussouglo

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