C’est un cas unique dans la littérature togolaise, et africaine d’ailleurs. De Mongo Beti à Henri Lopez, en passant par Nadine Gordimer à Naguib Mahfouz, ou Breytenbach, on trouvera à peine un écrivain qui ressemble un tant soit peu à Sami Tchak, l’écrivain togolais, Grand prix 2005 littérature Afrique noire.
Tout d’abord, l’Afrique ne constitue pas un terreau d’inspiration pour ses œuvres de fiction. Ses romans se déroulent ailleurs qu’en Afrique et mais en retour il sait parler de manière acerbe des maux du continent. Ensuite sociologue et écrivain, auteur de quatre romans et de deux essais, Sami Tchak semble avoir une prédilection pour les thèmes sulfureux, non dans le but de donner du plaisir, mais dans un dessein inavoué de déranger. La sexualité constitue une espèce d’obstination qui créé chez cet écrivain un univers de phantasmes pornographiques. Le sexe est partout présent dans tout l’œuvre de Sami Tchak; à la limite se demande-t-on si cet auteur peut gratter un bout de papier sans que le sujet porte sur la sexualité. Même ses essais sociologiques traitent de ce sujet. On lui doit à l’occurrence un essai sur la Sexualité féminine et le sida en Afrique , et un autre sur La Prostitution au Cuba . Des incursions scientifiques dans ces mondes, qui ont certainement nourri l’imaginaire d’un Sade tropical.
Déjà en 1988, une œuvre de jeunesse, Femmes infidèles, raconte l’histoire d’une jeune femme revendeuse de cola, qui se prostitue pendant ses heures de commerce. Un petit roman qui constitue tout de même un petit scandale en ce qui concerne ses chroniques chaudes et les tabous qu’il transgresse. Un second roman, Place des Fêtes , publié chez l’éditeur Gallimard, le désigne d’emblée comme un auteur sulfureux. Dans ce roman, Sami Tchak raconte, à travers les pérégrinations sexuelles de son héros et la prostitution des jeunes femmes filles africaines en Occident, la révolte contre son père d’un fils d’immigré africain à Paris. Son héros, par exemple, incestueux, à l’envie, a couché avec sa sœur, fantasme sur le corps de sa mère, une traînée de première, avec laquelle il aurait tant voulu coucher, et s’est marié avec sa cousine, qui, au passage, avait fait elle-même son cul boutique à la Goutte D’or, le Deckon africain de Paris.
Dans Hermina , Sami Tchak atteint le summum de la littérature pornographique. L’auteur lâche ici la bonde à son imaginaire libertin: tout y passe au risque du scandale: masturbation, viol, inceste, partouze, masochisme, sadomasochisme, etc, toujours à travers les vagabondages de son héros, Heberto Prada, un enseignant de philosophie, un rêveur et un timide sexuel, qu’on confondrait volontiers au narrateur. Comme pour faire taire les critiques qui voudraient bien le tancer de faire de la porno-littérature, Sami Tchak fait dire par son héros que » pour créer la beauté, un écrivain (ou un peintre ou un musicien) a tous les droits, même celui de penser à la nudité d’une adolescente dont les parents lui offrent le café « !
Une certaine philosophie du beau qui l’amènera à un quatrième roman, non moins bordélique, et qui témoigne d’une volonté affichée de dire haut ce que tout le monde penserait hypocritement: Fêtes des masques est un éloge de la nécrophilie. Au fait, Sami Tchak élabore ici une philosophie de la liberté. Ses héros, qui, vivent dans un univers où la liberté est absente ( Hermina , par exemple), essaient d’échapper à leur environnement à travers la sexualité. C’est le cas du héros de Place des Fêtes, et de la plupart des personnages de Hermina. On retrouve ce projet romanesque dans chez Milan Kundera, dans La Valse aux Dames.
Un auteur érudit
Il serait tout de même dangereux de voir dans l’œuvre de Sami Tchak, un exutoire de ses propres désirs; un défoulement d’un auteur sadien incapable d’aller concrètement jusqu’au bout de ses fantasmes, comme le Marquis de Sade. Derrière le bordel, se révèle un ambitieux projet d’écrire autrement le roman, de parler de la vie » pétrie de chair « . Hermina, par exemple, qui révèle l’érudition de Sami Tchak, est un hommage rendu à des auteurs comme Gombrowicz, Ananda Devi, Ramon Gomez de la Serna, Ernest Hemingway, Check Hamidou Kane, Camara Laye, Pouchkine, Günter Grass, Kateb Yacine, Restif de la Bretonne, dont les citations abondent et tombent toujours à pic dans ce roman. Ce n’est pas étonnant que le Grand prix 2005 de littérature Afrique noire lui fût attribué. Certes, les romans passent et ne se ressemblent pas sur le plan de l’écriture, mais le thème ne varie pas, tout comme le style affiché de déranger. Place des Fêtes, Hermina et Fête des Masques constituent une attaque en règle contre les tabous et les idées reçues, dérangeantes à la fois pour les Africains et les Occidentaux. Si dans Place des Fêtes , il s’attaque aux critiques convenues des africains d’Afrique et de la diaspora contre l’Occident à propos des questions de l’immigration, dans Hermina, il va plus loin en dénonçant l’arrogance des discours autocritiques tenus par les intellectuels Occidentaux sur l’esclavage et la colonisation.
Avec Kangni Alem et Sami Tchak, il est sans conteste que le Togo a là les deux plus grands romanciers que sa littérature ait jamais connus.
Tony Feda