Avec Parcours de Combattants, Gerry TAAMA, ce Togolais de 34 ans, signe là son premier roman de 12 chapitres sur 245 pages publié aux éditions L’Harmattan à Paris. L’aventure commence dans la vallée de Tchibaya, vaste cuvette encastrée à l’ouest du Kiiguland, Etat imaginaire de l’Afrique orientale, coincé entre le Soudan, l’Ouganda, Djibouti et la mer rouge. Un convoi humanitaire escorté par le détachement du lieutenant Ba-Yoko, sous la responsabilité civile de Mme Hernandez, se déplace en direction de Gambéla, un village qui « a été envahi par un nuage de sauterelles, il y a trois semaines. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de personnes qui y meurent chaque jour de faim. Ce convoi est un élément précurseur pour lutter contre une catastrophe humanitaire » (P31). Mais le convoi se trouve faire l’objet d’un trafic d’armes. C’est ce que l’officier kiigulandais découvre en détruisant un camion subtilisé, destiné à l’ennemi : « c’était des détonations sèches. Ce n’était certainement pas le maïs que la Volvo était censée transporter qui brûlait en produisant un bruit pareil, se dit le lieutenant. A moins que les Européens aient décidé d’offrir à des populations affamées une variété spéciale de pop-corn particulièrement explosive. », (p35 – 36).
Dans ce pays sorti de la fiction du jeune romancier, un pays qui ressemble à tant d’autres en Afrique avec son théâtre de conflit armé sur fond ethnique, tout a « basculé au lendemain du deuxième tour des élections présidentielles kiigulandaises, au mois de juillet de l’année précédente. Comme il est de coutume dans certains Etats, le candidat malheureux, non satisfait des résultats, émit de grosses réserves quant à la transparence du scrutin. Mais Il ne se limita pas à cette réaction somme toute courante. Il se retira dans sa région d’origine, dans l’ouest du pays, et y lança une série de médias par le biais desquels il développait un discours séparatiste, incitant à l’édification d’une région autonome : le Mambaland. Il appelait notamment les mambas, ethnie majoritaire à l’ouest du pays et gros producteurs de cacao (première source d’entrées de devises du pays), à refuser le joug des bakufus (ethnie de l’est dont était originaire le Président élu) qui selon lui ruinaient le pays en plaçant des incapables à des postes clés de l’administration. Au départ, personne ne prit au sérieux les velléités sécessionnistes de cet ancien professeur d’histoire, considéré par certains comme un peu dérangé par sa défaite électorale. M. Makélé, le Président nouvellement élu, s’empressa d’ailleurs de désigner un Premier Ministre originaire du même village que le chef du Mouvement Patriotique pour l’Eveil Démocratique (M.P.E.D.). Mais cette mesure fut insuffisante. L’endoctrinement systématique des mambas avait déjà semé les germes de la discorde » (P19).
Dans ce contexte de dégénérescence du Kiiguland, « L’ONU, craignant une partition de cet Etat stratégiquement positionné dans la corne de l’Afrique, vota une résolution visant à envoyer une force d’interposition au Kiiguland. Mais les Occidentaux, échaudés par la polémique née de leur intervention en Somalie et au Rwanda, ne se bousculèrent pas pour envoyer des troupes. Les Etats africains, occupés à régler les conflits ivoiriens et congolais, ne firent pas de zèle non plus. Seuls les Français, aidés d’un millier de soldats bangladais, supervisaient l’application du mandat onusien. »
Le cadre ainsi campé ne laisse cependant pas préjuger de la suite de l’histoire. Généralement dans cette Afrique de rébellions nées des contestations électorales, des tables rondes se multiplient, des émissaires des Nations Unies sont commis, des négociations traînent à longueur d’années. L’issue bienheureuse dans une telle catastrophe, est la reddition du groupe rebelle, avec à la clef, un désarmement. L’autre issue est le départ pur et simple du président bien ou mal élu, en fonction d’un jeu de ficelles qui se tirent certainement dans l’ombre. Quelque part.
Gerry TAAMA échappe à ce grotesque schéma où sont souvent célébrés l’hypocrisie et le mensonge.
L’histoire de Gerry ne se prostitue pas de ces sentiers trop battus. Au contraire, en restant dans cette atmosphère de mission onusienne, l’écrivain tisse finement une trame où se tressent en se nouant et en se dénouant à la fantaisie des sentiments des personnages plusieurs fils dont les principaux sont :
Le lieutenant kiigulandais Ba-Yoko, saint-cyrien, auteur du meurtre du professeur Bitimuku. N° deux des services secrets kiigulandais, il cherche à se racheter « de ta bavure de Tchibaya en portant assistance à Aurore, d’une manière ou d’une autre. » (p 229).
Jérôme de Bercenay, fils du duc-sénateur de Bercenay, camarade de promotion de Ba. Amoureux de la Kiigulandaise Aurore Bitimuku, il s’ingénie par tous les moyens pour l’aider à quitter l’enfer du pays en guerre et l’envoyer en France. Il compte pour ce faire sur son ami de la lande bretonne.
Aurore Bitimuku ; la force centripète qui aspire comme tourbillon tous les personnages du roman. Elle a vu mourir son père, assassiné par Ba, et elle est déterminée à faire payer à ce dernier son crime, mais ce deuil et cet engagement ne l’empêchent pas de tomber amoureuse du candide Jérôme de Bercenay.
Chacun de ces trois personnages est une tension, une projection de désirs. Les autres personnes que ces grandes images éclipsent (Makélé le président de la République, les officiers supérieurs kiigulandais, John Garang, Joseph Koni, El-Béchir…), ne constituent en définitive que le mortier de cette histoire d’amour et d’amitié. L’attraction que chacun des personnages exerce l’un sur l’autre, où les déchirements personnels se trouvent dilués dans le grand tableau d’un conflit géographique que Gerry s’est attaché à peindre avec une minutie d’orfèvre. Ainsi, L’officier français, par amour, sacrifie sa carrière militaire en organisant l’évasion spectaculaire d’Aurore de la prison de Cherka, « où les prisonniers ne sortent que les pieds en avant ». Il sera radié des listes de contrôle des armées. Ba, pris de remords pour l’assassinat du Pr Bitimuku, le père d’Aurore, s’emploie à sauver celle-ci d’une mort certaine à trois reprises, même après qu’elle ait tenté de l’assassiner en payant le service du « Gang des Ougandais ». Lui aussi connaîtra le bannissement, avant de revenir en force suite à la prise en otage de tout l’exécutif kiigulandais par Itumbari, le bras armé du tristement célèbre Joseph Koni. Aurore Bitimuku, une Colomba à l’africaine, renoncera à une vie tranquille en France pour se venger de l’assassin de son père. Même malade, brulant de fièvre après un séjour au camp des réfugiés à Goma, la Kiigulandaise n’hésite pas à consacrer ses dernières économies pour mettre un contrat sur la tête de Ba, pour que même si elle meurt de Sida (elle croit en être atteinte), son ennemi ne lui survive pas en menant une vie de seigneur.
Chacun des trois personnages vit sa passion dans cette projection, par amitié, par amour, par honneur. Une amitié jusqu’à la mort : la tête de Ba-Yoko est décapitée et brandie dans le ciel alors que l’hélicoptère qui s’élève dans le même ciel, transporte Jérôme et Aurore. Et c’est seulement en ce moment, lorsque Jérôme explique au pilote de l’aéronef le drame qui se déroule au sol, qu’Aurore se rend compte que le bourreau de son père, qu’elle a envoyé tuer, n’est rien d’autre que son sauveur, qui a versé la fabuleuse somme de 10 millions de dollars pour financer l’opération de son sauvetage, uniquement parce qu’il voulait se racheter de sa bavure.
« Histoire d’une fraternité d’arme qui survit au temps et à l’espace »
Parcours de combattants n’est en définitive pas un itinéraire d’un militaire, mais comme le confie l’auteur, l’histoire d’une « fraternité d’armes, qui survit au temps et à l’espace. ». Une amitié transatlantique, un amour trans-racial. Un roman dont la description réalisée comme au bistouri, fascine par les tableaux, comme celui de ce « village endormi. Quelques chaumières fumaient encore, avec l’inévitable chape de fumée qui auréolait les cônes de pailles, donnant aux maisons l’allure de gigantesques champignons directement sortis d’un décor fantastique.», jouant sur les notes de la brutalité, de la complicité, de la cupidité pour maintenir un amour debout, l’amour entre Aurore et Jérôme.
Le vocabulaire militaire qui trahit que l’écrivain est passé lui-aussi passé par Saint-Cyr, n’enlève rien à la délectation qu’offre la lecture de ce magnifique roman. Les amateurs de polars apprécieront certainement cette plume truculente et se délecteront des scènes de tentative d’évasion de la prison de Cherka, d’assassinat de Ba-Yoko, de la prise d’otages et toute l’intelligence, toute la ruse du lieutenant pour les sauver.
Le lieutenant Gerry Taama des Forces Armées Togolaises, qui a demandé une mise en disponibilité depuis bientôt deux (2) ans, se consacre à l’écriture et à son agence de communication MOFFI. On ignore ce que ce passionné d’Hemingway, cet admiratif de Coluche, va offrir aux lecteurs. Sans dévoiler son secret, il confie juste « bientôt, très bientôt ». Roman ? Recueil de nouvelles ? « Non, pas de théâtre, pour l’instant, pas de théâtre. Encore moins de poésie ».
Noël Tingayama Mawo©Togocultures