Regards croisés sur l’œuvre d’Eric Wonanu : Une herméneutique des ressemblances

Les écrivains Kangni Alem et Prosper Deh se proposent d’aller visiter ensemble l’exposition d’Eric Wonanu, « la longue marche du peuple noir ». Que cherchent ces deux universitaires dans la lecture des tableaux : un univers fascinant qui exalte au-delà du thème un peu macabre, un désir d’admirer en soi l’esthétique plurielle du plasticien Eric Wonanu ou une autre façon de dérouler les habitus culturels ? D’habitude, ce regard croisé est impressionnant dans les disciplines différentes comme la littérature et la théologie, la philosophie et la science, l’anthropologie et la science… mais le regard des personnes qui pratiquent la même discipline, c’est impressionnant.

Nous laissons libre cours à Kangni Alem et Deh Prosper de raconter leurs expériences.

Kangni Alem « A propos d’une visite à l’expo « la longue marche du peuple noir ». J’y suis allé avec mon ami Prosper Deh. A sa demande. Les arts plastiques, m’avait-il répété, étaient un territoire dans lequel il n’avait pas de codes pour interpréter signes et artefacts. J’ai toujours minimisé son point de vue. Après tout, lui et moi étions formés à la même méthode interprétative, le comparatisme. Et Deh a fait des travaux sur la folie, l’expression de celle-ci à travers des œuvres de la littérature africaine. Lire des toiles devrait être un jeu de comparatiste capable de déchiffrer la « folie » d’un plasticien. Il insista que je l’accompagne à l’exposition. A notre arrivée à la galerie, je confiai Prosper à Eric Wonanu pour une visite guidée. Prosper refusa poliment. Je devrais lui montrer ma méthode, insista-t-il. Je me pliai au cérémonial. D’abord, partant du titre proposé par l’artiste, nous avons émis des généralités sur les Noirs. Lesquels, d’ailleurs? Qui est Noir, qui ne l’est pas? Nous avons ri, mais vite nous avons tenté d’évaluer les territoires où les Noirs ont marché, territoires physique et mental. Ensuite, à partir de là, notre lecture prit des voies singulières. Chacun lisait les formes au regard de ce qui se produisait dans son intellect. Les couleurs induisant des réactions émotives à coup sûr, et naturellement, même chez un spectateur inhabitué à la peinture, les tableaux, abstraits, devinrent lisibles. L’artiste nous écoutait, je me doutais bien qu’il entendait des choses auxquelles il n’avait pas pensé, mais son œuvre était en notre possession, et lui-même comptait autrement désormais comme un prétexte. Nous ne vîmes pas le temps passer. Sortant de là, je me suis demandé ce que les autres visiteurs ont pu voir et ressentir. Une chose est sûre: comme nous, un visiteur a pu apercevoir Mandela! Les dinosaures aussi peuvent ressembler à des grands Noirs. Lire est un plaisir. »

En quoi rebondit Deh Prosper : « Man, j’ai bien aimé ton compte rendu de notre fameuse visite de l’expo d’Eric Wonanu. En tout cas nos itinéraires personnels et nos habitus culturels nous ont fait faire des interprétations singulières des tableaux exposés. Un philosophe n’a-t-il pas dit que toute perception est une projection de soi dans l’objet. »

Pour le plasticien Eric Wonanu, « ce fut une expérience jouissive où effectivement la présence de l’artiste était secondaire, comme dans l’expectative. Je me souviens que tu as promis de nous donner une conférence à ce sujet mon si cher Alem : comment doit-on regarder (aborder ?) une œuvre d’art ».

Pour Kangni Alem, l’essentiel est de rapprocher « les tableaux sans les classer, selon l’importance que prend un style (forme, couleur, volume) et on aboutit à une herméneutique qui se soucie des ressemblances et surtout des différences, des nuances thématiques. »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.