« Legba est plus fort que tous les vaudous, et surtout plus malin. Il furète partout, est au courant de tout. », disait le devin Gédégbé à l’ethnologue et administrateur colonial Bernard Maupoil lors de ses enquêtes en pays vodou dans les années 1920. Placé sous le signe de la ruse et ayant un « pied » dans chaque monde, Legba est naturellement appelé à être le messager des vodous et spécialement de l’oracle Fa.
Legba et Fa sont les deux faces d’une même pièce : si Fa représente la loi, Legba en incarne la transgression. Du fait de sa position liminale, il en est simultanément un « gardien » et la cause de toutes les dérives, la concentration de tous les mauvais affects et pulsions qui poussent à violer les règles. Proche de la figure universelle du renard – trickster, Legba n’a pas vraiment de maitre.
Appelé Elegbara, Eshu-Elegbara, Esu-Bara, ou encore Eshu par les Nagos ou les Yorubas, ce messager entre les dieux et les hommes est difficile à cerner, tant il est vrai que la variété de ses représentations et fonctions ménage moult contradictions. La propriété de Legba est en effet d’être multiple et insaisissable, aussi bien dans son nom, dans ses formes, dans ses attributs, dans ses fonctions que dans son mythe. Un des nombreux récits de Legba raconte l’histoire suivante : à l’origine des temps, Legba, le chien et d’autres vodous vivaient en bonne entente, chacun respectant son domaine de compétence sans empiéter sur celui de l’autre. Mais Legba finit par être jaloux des pouvoirs du chien, capable de voir le monde invisible ; aussi consulta-t-il l’oracle Fa afin qu’il l’aide à acquérir les pouvoirs de l’animal. C’est ainsi que Legba tendit un piège au chien en l’invitant à dîner chez lui. Au moment où le chien lui précisa ce qu’il a envie de manger (comme la coutume le veut), Legba dit que son ventre (factice) contenait précisément ce dont il a envie. Pour le prouver, l’épouse de Legba l’éventra et fit apparaitre le plat demandé sous les yeux ahuris du convive. Le chien à son tour, se pensant aussi malin que Legba, convia son rival et répéta le même scénario. Mais le miracle ne se reproduisit pas, le chien tomba inerte, noyé dans son propre sang. Avant qu’il ait le temps de comprendre son erreur, Legba lui trancha la tête et la posa sur la sienne. Depuis ce jour, Legba, ce malicieux, est capable de voir le monde invisible.
Bernard Müller@Togocultures
Crédit Photo: Gaëtan Noussouglo