Le polar en Afrique se porte bien. Si l’Afrique du Sud se présente en excellent porte-drapeau du genre avec un Deon Meyer ou une Angela Makholwa, je peux dire sans me tromper que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale entretiennent de façon remarquable le feu sacré. Les trois auteurs que je vous présente brièvement ici, je les ai lus avec ferveur, et les considère comme des valeurs sûres pour tout lecteur pressé de découvrir ce que deviennent les héritiers de Couchoro, Moussa Konaté, Massan M. Diakaté, et autres Simon Njami, Achille Ngoye, etc.
Janis Otsiemi.
Le Gabonais a la plume rapide. Je m’explique. Son dernier roman, African Tabloïd (Jigal, 2013), fourmille d’infos sur la vie politique du Gabon. Normal, le roman se déroule à Libreville, dans un commissariat de quartier. Mais là où l’on s’attendrait à ce qu’il perde son temps (comme un mauvais journaliste ou un mauvais écrivain) à ressasser les milles et une avanies des politiques africains, il campe un narrateur qui balance les infos juste comme des éclairages pour comprendre le contexte du récit. Comme dans l’épilogue, chapitre très court mais remarquable, où les dates fonctionnent comme des repères stables. « Juin 2006 : Le président gabonais décède à Barcelone en Espagne. Août 2009 : Baby Zeus est élu président de la République gabonaise. » Pour le reste, circulez, il y a l’enquête autour d’un cadavre rejeté par l’océan. La victime est un journaliste d’investigation connu pour ses enquêtes sur le pouvoir. Assassinat politique, crie la corporation. L’enquête est menée par deux as de la PJ, Owoula et Koumba, aidés par un jeune blanc bec, Allogho, policier « long crayon », c’est-à-dire diplomé de l’Ecole Nationale de Police. Et aussi par les gendarmes Boukinda et Envane.
Il y a un truc que j’ai particulièrement aimé dans African Tabloïd, c’est le choix plus que correct d’Otsimi de raconter comment la police criminelle enquête en Afrique. Aucun misérabilisme, aucun exotisme, les policiers de Libreville travaillent comme des policiers, avec des méthodes d’interrogatoire certes musclées mais sans plus. Il y a une justesse dans le regard sur la vie hors commissariat de ces gens d’armes dévoués à leur métier. Il y a les rivalités de corps, la tentative de récupérer le travail des sous-fifres par des officiers plus gradés. Mais il y a surtout, un langage, celui d’Otsiemi, un régal d’argot local qu’il dégaine sans forcer. En donner un seul exemple serait fausser la logique de l’écrivain, mais une chose est sûre, une fois dans le bain, on partage la bouche de l’auteur !
Nii Ayikwei Parkes
Nii Ayikwei Parkes, vous ne le connaissiez pas avant, n’est-ce pas ? Moi non plus. Ma lecture du roman ghanéen en était restée à Kodjo Laing et ses airs de ”social science fiction”. Mais voilà qu’avec ce livre traduit de l’anglais par la béninoise Sika Fakambi, je découvre un auteur de polar bien sous tous rapports. Notre quelque part (Zulma, 2014) se lit comme un épisode de la série Les Experts transplanté sous les tropiques. Une jeune fille en vadrouille dans le village de Sonokrom poursuit un bel oiseau au plumage bleu et entre par hasard dans une case. Ce qu’elle découvre ? Un amas de chair et de viscères, de lymphe, une chose innommable qui bouge. Alertée, la police d’Accra débarque et conclut à un possible meurtre. Le propriétaire de la case, un certain Kofi Ata, parti en brousse, selon les villageois, ne serait pas encore de retour. L’affaire est confiée par le patron de la criminelle au jeune inspecteur Kayo, médecin légiste formé en Angleterre, qui trompe son ennui dans un laboratoire de biologie à Accra. Kayo, qui a toujours rêvé de rejoindre la criminelle et s’est fait blackbouler à chaque tentative rechigne. Il sera contraint d’accepter le job, par le chantage. Car cette affaire est une aubaine pour l’inspecteur Donkor, patron de la criminelle : il s’agit de retrouver qui se cache derrière la chose innommable, et, si possible, prouver qu’il s’agit d’un meurtre, en exhibant un coupable à n’importe quel prix ! Ce qui a priori a l’air simple va se révéler corsé comme une devinette akan. Ici, l’enquête est sophistiquée, basée sur l’utilisation de la recherche ADN. Mais que vaut la science devant la roublardise des villageois ? Toute la substantifique moelle du récit d’Ayikwei Parkes est là, dans ce jeu de cache-cache entre le jeune inspecteur et les villageois, notamment entre Kayo et le narrateur, le rusé Yao Pokou. « Nos Sages disent toujours que, parfois, lorsque le mal commis est plus grand que nous, la justice doit quitter nos mains. » L’enquêteur découvre vite ce que la maxime cache de terrible vérité. Notre quelque part est écrit comme un spoken word en ewe et en twi, mieux un slam intelligent qui a des phases de suspense digne des grands récits initiatiques. Les chapitres suivent l’ordre des jours de la semaine : nawƆtwe, kwasida, dwodwa… fida… Clin d’œil à ceux qui comprennent la langue !
Florent Couao-Zotti
Couao-Zotti n’est plus à présenter. Son dernier roman, La traque de la musaraigne (Jigal, 2013) pour moi relève plus du roman noir que du polar stricto sensu. Cela ne rend que plus intéressant l’exercice. Une journaliste de Jeune Afrique a dit tout le mal qu’il pensait de ce roman. Une journaliste parisienne certainement, qui préfère la prise de tête à l’efficacité du roman noir façon Zotti, car il faut le dire : au marché des poules, le cancrelat ne reste pas invendu ! Le seul reproche que je ferai moi à ce roman pourrait devenir sa qualité ! Même dans les situations improbables, on rit parce que Couao-Zottti a toujours un revolver caché qu’il fait dégainer par ses personnages. Ceux-ci sont au nombre de trois. Il y a d’abord Deborah Palmer, une sorte de James Bond Girl (ou de SAS Girl ?) qui fuit le Ghana avec le magot d’une casse. Ensuite, il y a Jésus Light, l’amant de Deborah, l’auteur de la casse, qui a confié le magot à Deborah avant de se faire arrêter un temps. Libéré, il est à la recherche de la voleuse, dans un Cotonou surchauffé par la débrouille et les trafics en tout genre. Un homme a le malheur de croiser le chemin de ce duo diabolique : Stéphane Négirec, un jeune breton idéaliste et totalement malchanceux. Deborah la fuyarde embarque Négirec dans une fuite sans précédent qui se termine dans les mailles des preneurs d’otages du Boko Haram.
Ce roman décline toutes les menaces sous lesquelles vivent les populations du Golfe de Guinée, il renseigne mieux qu’un traité de sociologie contemporaine. Et il vous fait rire, surtout quand la narration croise le monde interlope de la prison de Cotonou. Ne ratez pas les pages 50 et 51, vous y rencontrerez une certaine « Chérita », cette cochonne à qui les prisonniers doivent présenter les hommages sous peine de se faire taillader par Couteau Véreux, le chef des lieux ! Couao-Zotti ne se raconte pas, il se lit !
Kangni Alem © Togocultures