Gisèle Ravey, artiste plasticienne franc-comtoise aimerait bien aller au Togo mais elle ne s’est pas encore donnée cette occasion. Pourtant son intérêt pour ce pays est grand. Elle connaît les compartiments de la vie culturelle et politique togolaises comme si elle s’appelle Afi Gisèle Ravey parce que née un vendredi du 27 novembre 1959, une année juste après le fameux référendum qui place le Togo sur la voie de l’indépendance.
A « Pleins feux sur le Togo », à la médiathèque de la Ville de Montbéliard, ses 8 tableaux jettent un regard politique sur le Togo. Elle met en avant déchirement et tranquillité dans une vie qui s’y écoule comme dans un jeu. Un jeu d’enfants qu’elle peint d’ailleurs à merveille.
Gisèle Ravey rêve du Togo avec sa part féminine. Elle pointe du pinceau l’une des corvées les plus essentielles aux besoins vitaux quotidiens des habitants en peignant une enfant qui va acheter de l’eau chez le voisin avec sa cuve en équilibre sur la tête. La vie togolaise, n’est-ce pas, cette quête éternelle de l’eau courante par les femmes aussi bien pour leur hygiène que pour leur repas? Les statistiques disent que près de 60% de la population n’a pas accès à l’eau potable. Or le Togo est très vert, avec une pluviométrie chaque année globalement excédentaire. En choisissant de travailler sur ce liquide indispensable à la vie, Gisèle Ravey aborde symboliquement une question vitale physique et physiologique. Et ceci à côté d’un autre qui est axée sur la longue marche vers la liberté matérialisée par un poignant tableau. On y découvre un pied crevé et fatigué par cette quête de liberté qui le fait échouer sur des rochers secs et de durs galets.
Dès l’âge de 15 ans, Gisèle Ravey esquissait ses premières peintures et proposait ses petits tableaux de porte-à-porte. C’était « juste une envie de se défouler », affirme-t-elle. Plus tard, cette femme, grand’mère d’une petite fille de plus de 2 ans, peint pour faire silence en elle, écouter les bruits intérieurs provenant du monde. Avec innocence et séduction, découverte et admiration, comme une enfant qui regarde son visage dans une flaque d’eau ou d’huile. L’art, dit-elle, lui restitue ainsi ce que lui dérobe le quotidien.
Durant ces six dernières années, elle a exercé en tant que comptable à la Cie Gakokoé avec des Togolais. Elle connaît par leur biais les différents bouleversements politiques du pays. Elle a vu défiler des photos de voyages et entendu des désespoirs sur les projets d’implanter un réseau culturel pour combler un petit vide dans ce pays ! Gisèle Ravey pense que la mémoire génétique est universelle. Les combats sont les mêmes quels que soient les pays et les frontières. L’humain est au centre de tout et lutte contre l’exploitation, la dictature, la misère, toute espèce de domination, d’aliénation et de chosification de l’Homme.
La dure réalité de l’indépendance
« Pleins feux sur le Togo » amène Gisèle Ravey à décliner l’indépendance comme un sacrifice et une douleur de l’enfantement. Son ressenti premier est visuel puis émotionnel. « Ensuite des frémissements dans l’œil, le regard, les doigts crées l’urgent besoin de retranscrire, de donner une autre vie, une épaisseur, une manière d’être et une matière différente » nous explique-t-elle.
« 27 avril 1960 » est le nom de ce tableau peint en acrylique en grand format à partir d’une photo du monument de l’indépendance du Togo. 7 images compartimentées, 3 de chaque côté de ce monument de l’indépendance qui trône au milieu des visages. En l’observant de fortes interrogations naissent surtout sur cette touche de sang qui dégouline. Les regards se fossilisent. Des soupiraux, 4 regards affables se dessinent, hésitations entre monnaie et religion. La conquête de la liberté commence mais elle dure… et laisse le temps au temps. Une seule femme croit en l’avenir et est sûre de ce renouveau. Mais la désillusion s’invite rapide. Les années s’égrènent très vite comme un chapelet d’horreur inflexible dans un autre tableau. Le gommage des indépendantistes s’accroît avec de nouveaux visages. Et hop, on prend les mêmes et on recommence. Et jusqu’à quand ? Chacune des dates choisies par Gisèle Ravey renvoie à une page politique 1958, 1960, 1963, 1967, 1969, 1991, 1998, 2003 et 2005. Tout cela se termine par ceci : « 2010 ??? » Question énigmatique !
Quel avenir attend cet enfant qui habite MDDB entendez « Maison Des Déjà Battus » menacé par un gros bâton tenu par un bras militaire ? Là aussi : question énigmatique !
Même si elle pointe du doigt des maux, les tableaux de Gisèle Ravey respirent la vie
Au-delà, de la politique, les six autres tableaux de Gisèle Ravey respirent la joie de vivre. Une jeune fille achète son eau, les pieds fermes de la liberté, les enfants s’amusent à même le sol dans l’indifférence totale des clous au sol. La vieillesse des mains, l’amour entre l’homme et la femme, la solidarité, la polygamie. Le quotidien renaît malgré tout. La vie s’écoule en variété comme au rythme des couleurs terre de sienne, noire, ivoire, violette, ocre, rouge, verte, blanche…
Gisèle expose dans le Pays de Montbéliard et le Territoire de Belfort depuis 1988. En 2009, elle a obtenu le Prix du jury catégorie peinture au Salon d’automne ASCAP Artothèque Montbéliard. Elle a un parcours de vie parallèle à la peinture et sa force réside dans cette polyvalence : 8 ans dans la restauration, 10 ans dans les services de psychiatrie, 6 ans en tant que comptable dans une compagnie théâtrale.
Pleins feux sur le Togo
Exposition : « Pleins feux sur le Togo : regards croisés » à découvrir à la Médiathèque de Montbéliard du 9 février au 20 mars 2010. Vous y découvrirez des batiks, des sculptures et photos d’Anne-Marie Djondo-Oberlé, la sculpture de Yao Métsoko, les photographies de Gilles Roussy, l’artisanat et les objets de la vie quotidienne de Rogo Koffi Fiangor.
Gaëtan Noussouglo et Rogo Koffi Fiangor © Togocultures