Peindre Eros

Une toile de Paako Sallah
Une toile de Paako Sallah

D’un sujet a priori égrillard et licencieux, les plasticiens Paako Sallah et Ethie Essiomlé ont titré une exposition de toiles, fort intéressante. Dans leurs œuvres collectives intitulées de façon générique « Tabou 100 Tabou, la nudité », les deux peintres explorent le corps humain à nu. Ils dissèquent et enveloppent le corps de mille enchantements de couleurs laissées par  la peinture sur toiles. Les créations jouissent d’une sensibilité d’autant plus grande que Paako Sallah, par exemple, est lui-même un grand admirateur et observateur du corps de la femme. Il ne s’en cache pas. Son travail nous intéresse particulièrement.

De l’atelier au Boulevard circulaire en passant par la peinture…

 C’est à Bè, rue de l’OCAM, l’un des quartiers réputés frondeurs de Lomé, que le peintre Paako Sallah a installé son atelier et sa structure d’enseignement en arts plastiques Agbé’ Art. L’atelier-école est sis au fond d’une cour. De là on accède au  Ministère de la Sécurité en quelques  minutes de marche. Heureusement, l’endroit est aussi et surtout mitoyen du grand boulevard circulaire de Lomé. Lieu de prédilection et de libération de fantasmes pour vadrouilleurs, noctambules et autres frimeurs qui n’y ratent jamais leurs cibles sensibles.

Il arrive très souvent à Sallah de s’y dévoyer entre deux peintures, en compagnie de collègues et amis. Occasions de rencontres inédites et de provocations dans l’imagination de ce peintre qui décide enfin de consacrer les mois de Mai et de Juin 2008 à ces peintures érotiques.

Né à Kumassi (Ghana) en 1973 et ayant grandi à Lomé, il passe des séjours d’ateliers, d’échanges, d’expositions et de diverses activités artistiques au Burkina Faso, en France et bien sûr au Togo comme au Ghana. Il affiche un pédigrée bien connu dans son pays. Issu donc de la lignée Sallah que personne ne présente plus dans le monde des arts plastiques, Paako S. se pâme d’aise d’être à la base, émoulu de l’école d’un seul maître : le vieux Sallah Mawuto.

Dans cette collection thématique d’art érotique, d’une grande facture figurative, le peintre a pour base favorite la toile et l’acrylique à laquelle il associe parfois des coups de couteau. Ce pour raffiner les contours des personnages et de leur monde. Il dessine le sexe en plan rapproché, exagère et tronque à certaines occasions, la forme du sexe féminin. A d’autres, nous voyons des scènes d’homosexualité féminine que l’artiste invite délicatement à deviner, « Estelle et… » à titre d’exemple. Il éclate également en images, sur des toiles, le jeu sexuel. A cet effet « Nid d’oiseau » montre la bouffissure d’un phallus trouvant la voie d’un joli cul, superposé à un nid d’oiseau en décomposition.

 

Ethie Essiomley Photo: G. Noussouglo
Ethie Essiomley Photo: G. Noussouglo

La rétine cherche instinctivement à reconstituer les morceaux, les origines et les limites dans cette grande galerie de couleurs sensuelles et joyeuses. Le bleu, le violet et le rose sont appliqués avec délicatesse en écho avec le tempérament chaleureux des personnages. Leur environnement très souvent intimiste et irréel est valorisé par les tons marron et  blanc cassé. Le contrepoint du noir profond  aide ici à exhaler  les effluves gracieux de ces êtres plantureux, postures alanguies, porteurs de signes de tendances sexuelles douces. Aucune manifestation d’esprit sexuel violent et orgiaque dans toute la collection.

Au fait, l’objectif de l’artiste est de tourner en dérision le lien très étriqué entre le pouvoir et le sexe en Afrique. Dommage que l’on ne le ressent pas vraiment ! « Que serait la relation entre l’homme et la femme s’il n’existait pas le plaisir du sexe. De même, que serait le pouvoir sans la femme et vice-versa, dans des milieux où l’on abuse de l’autorité, comme en Afrique ? » questionne  l’artiste dont la peinture représente un travail à partir d’images quotidiennes que son imagination capture et retravaille.

Le peintre fait bien de se concentrer sur les représentations du corps. Cela pourrait réussir à drainer l’homme politique africain, avide du pouvoir et donc du sexe selon l’artiste, vers des lieux de culture où seront exposées ses œuvres. Cela, tant la question des relations entre la politique et la culture ou de la politique culturelle, sous plusieurs cieux africains reste un sujet grivois à l’image du « Tabou 100 Tabou ». L’érotisme devient pour Sallah, une catégorie picturale autant qu’une question politique. Il porte sur le sexe et la politique un regard ironique, jamais condamnant quoi que ce soit. Il trouve d’ailleurs, peut-on dire la relation homme- femme irréductible puisque la toile « Et la femme façonna l’homme », où une femme aux seins fertiles allaite un petit garçon, nous remet dans un symbole fort de la genèse.

«Tabou 100 Tabou,  la nudité » était en exposition au CCF du 1er au 5 juillet.

En tant que dessinateur et peintre, il fait preuve d’une grande habileté technique. On retrouve rarement, une aussi grande maîtrise de dessin, de couleurs et de leur cohabitation chez des peintres ici. Mais dans  les idées, le peintre développe quelque chose qu’on pourrait retrouver chez un Tom Poulton, l’illustrateur anglais décédé en 1963.

Outre ces tableaux érotiques,  Sallah a réalisé des œuvres destinées plutôt à la lutte pour les causes de l’écosystème. Dans ce travail qu’il questionne toujours, il récupère des plastiques de ménages de couleurs noires. Il les insère au cœur des toiles qui frappent par des sortes d’écritures fines et automatiques.

Le créateur envisage de rendre visible cette dernière trouvaille dans tout le Togo.

 Dieudonné Korolakina © Togocultures

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