Depuis un certain temps, politiques, journalistes et écrivains dans leur ouvrage tirent à boulets rouges sur les Noirs, les Africains. En donnant le titre L’Homme Noir est-il intelligent à son ouvrage qui va sortir le 20 novembre 2010 aux éditions AFNOD, Alexandre de Souza, cet ancien séminariste togolais devenu chef d’entreprise en France et père de 2 enfants n’a-t-il pas franchi le rubicond ? Togocultures l’a rencontré à Lyon. L’auteur du roman « Togo, dynastie de la terreur » organise sa défense en plusieurs points en s’attaquant aux politiciens égarés, à l’occident, aux institutions de Breton Woods et surtout aux africains eux -mêmes. Il adore le voyage et nous avoue que ce sont ses convictions profondes et ses engagements contre l’injustice qui le poussent à écrire.
Togocultures : Après tout ce que le continent noir a subi depuis des siècles ne pensez-vous que c’est vraiment « Hénaurme » de poser une telle question « L’Homme africain est-il intelligent ? ». L’Africain n’est-il pas un animal pensant aussi bien que l’Américain, l’Européen, l’Asiatique ou l’Océanien ? N’est-ce pas des clichés moyenâgeux sur le noir que vous reprenez ainsi par cette seule question ?
L’Homme Africain est-il intelligent ? Sylvain Musafiri
Alexandre de Souza : l’homme africain a subi certes les pires atrocités de l’histoire. Après quatre siècles d’esclavage où il s’est vu dénier son humanité et où le continent a été vidé de ses forces vitales, la colonisation par les puissances occidentales a prolongé cette domination qui a fini par détruire l’identité culturelle et spirituelle de l’homme africain. Sans compter l’anéantissement de tout le potentiel économique du continent.
Alors, en s’arrêtant au titre de l’ouvrage, dans une telle situation où l’homme africain demeure victime à tout point de vue, il n’est peut-être pas opportun de se poser la question de son intelligence. Elle est juste nécessaire. Je ne veux surtout pas croire que je sois le seul Africain à me poser une telle question. Ce que je crois, c’est que cette question fait peur à une conscience noire détruite et en mal de reconstruction. Mais au-delà, ce que j’espère, c’est que cette question titille l’orgueil de l’homme africain afin qu’il sorte de sa léthargie.
Bande-annonce de l’Homme africain est-il intelligent ?
Togocultures : Ressasser des préjugés sur les Noirs et les Africains, n’est-ce pas une manière d’apporter de l’eau au moulin des extrémistes de tous bords et des racistes de tous poils ou d’un sarkozysme primaire « L’homme africain n’est pas rentré dans l’histoire » ?
Alexandre de Souza : il est important que l’homme africain apprenne à se poser des questions qui fâchent pour oser en apporter des réponses qui soulagent. Dans tous les cas, d’autres personnes non africaines se posent cette question grave à sa place. Le risque que la réponse des « autres » lui soit préjudiciable est plus grand que s’il (l’homme africain) s’en préoccupait lui-même, en réécrivant sa propre histoire et en se la réappropriant. Sarkozy a apporté sa réponse. Cela a indigné tout un continent qui n’a pas su réagir autrement qu’en quémandant respect et réparation. Piètre réaction. Dans mon livre j’en suggère beaucoup plus. A croire que l’Afrique se complaît dans son rôle de victime et se rend complice de sa propre déchéance.
L’Homme Africain est-il intelligent ? Evelyne Pélisson
Togocultures : Ce livre revient à cette notion philosophique de nature et de culture, de déterminisme et d’évolution ? Ne reprenez-vous le chaînon manquant cher à Darwin qui rapproche le Noir du singe ? L’intelligence n’est-elle pas innée en tout homme ?
Alexandre de Souza : je réfute la réduction de cet ouvrage à un essai philosophique sur la nature de l’homme africain. Car bien souvent, des questions d’essence ont la particularité de clore le débat avant même qu’il ne commence, du simple fait que les représentations qu’on se fait de « l’autre » restent toujours embrigadées dans des préjugés. C’est ce qui a joué un vilain tour à Nicolas Sarkozy lors de son tristement célèbre discours de Dakar où il a osé « définir » l’homme africain. Contrairement aux apparences, ce livre ne traite donc pas des questions concernant la race. Je ne suis ni disciple de Darwin ni de Hegel ou encore moins d’un politicien égaré. Cet ouvrage ne traite pas de la nature de l’homme noir ou de la nature noire de l’homme africain. Le problème de fond n’est donc pas une question de race ni d’essence, mais bien une question de société. Pour vous donner une piste, cette question de l’intelligence de l’homme africain, qui est d’abord une question d’inquiétude blanche, peut se ramener à la question du « comment ». Du fait que ce sont les œuvres concrètes qui reflètent « l’essence » de tel ou tel groupe humain, ce qui doit être la préoccupation de l’homme africain aujourd’hui, c’est de saisir ce qui est à l’œuvre dans les hiérarchies entre différents peuples, non pas en terme de races, de nations, d’individus, mais plutôt dans la logique du « comment » : comment, par exemple, des individus, mêmes différents, arrivent à harmoniser leurs efforts pour atteindre un but précis, et comment se fait-il que certains arrivent à se soumettre à ce but-là, à se référer à une valeur qui médiatise ce but, à faire confiance à un homme ou à une structure qui porte ce but ou à se plier à un droit qui trace les limites ou la voie menant à ce but.
L’Homme Africain est-il intelligent ? Père André N’Koy
Togocultures : Vous pensez que l’Africain a développé un complexe d’infériorité par rapport à l’Occident qui constitue viscéralement un frein à son développement. Historiquement, n’est-ce pas ce complexe qui a été balayé après la seconde guerre mondiale et qui a débouché sur la décolonisation du continent africain avec à la clef les indépendances africaines ?
Alexandre de Souza : Pouvez-vous imaginez, à l’échelle humaine, le temps que les blessures prennent pour guérir ? En homme réaliste, je pense que 50 années « d’indépendances » ne peuvent suffire à anéantir les effets de plusieurs siècles de domination. Surtout dans la situation où cette domination se perpétue à travers diverses formes d’arnaques démocratiquement orchestrées par des anciennes puissances colonisatrices et relayées par des institutions internationales comme l’ONU, la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International. C’est dire donc que la lutte de l’homme africain pour retrouver sa dignité et son indépendance ne fait que commencer et il est primordial que tout Africain naissant prenne conscience de ce piratage de son humanité avant même de songer à entrer dans une quelconque lutte. Je ne me berce pas d’illusions : l’Afrique n’est pas réellement indépendante.
Togocultures : Quelles solutions apportez-vous aux problèmes de développement en Afrique ? Pour vous, l’avoir est-il l’être ou inversement ?
Alexandre de Souza : je n’envie pas du tout le mode de développement de l’Occident. D’autant plus que ce développement tant applaudi se fait au détriment de l’humain et ses conséquences désastreuses ne tardent pas à émerger. Partout ailleurs, l’homme s’inquiète des conséquences de son mode vie et de ses activités sur son environnement. Et on attribue ces désirs de changement, y compris le retour aux valeurs d’antan, à l’évolution de la société et des mentalités. Si tel est réellement le cas, je veux dire qu’il y a longtemps que l’Afrique a évolué (du fait même de n’avoir pas bougé d’un pouce !) et n’ira pas se perdre dans des valeurs incertaines avant de revenir aux valeurs sources. Cela peut prendre des siècles, mine de rien. L’Afrique devrait donc se méfier des modèles prêt-à-consommer de développement que l’Occident cherche à lui imposer. A l’inverse, elle devrait réfléchir à une nouvelle voie, une trajectoire différente basée sur une intégration culturelle et unitaire du continent. A ce sujet, mon ouvrage regorge de propositions concrètes et des pistes de réflexion permettant à l’homme africain de se situer face aux nouvelles invasions et tendances économiques et politiques qui tendent à asservir un peu plus le continent et à prendre le contrôle permanent de l’humanité.
Interview réalisée par Gaëtan Noussouglo © Togocultures
AVANT PROPOS Introduction de L’Homme africain est-il intelligent