Yaovi Thierry Hounto, enseignant dans un lycée à Agoé – Nyivé amène ses trois enfants, vers 14 heures GMT, à la plage de Lomé. Les sables de la mer devant l’Hôtel Ibis et l’ancien Palais de la Présidence de la République sont les lieux de rendez-vous privilégiés des Loméens. Quelques personnes étaient déjà présentes, à cette heure de l’après – midi. Yaovi et ses enfants ont commencé à sillonner la plage, à courir ou à laisser les vagues s’échouer à leurs pieds. Ils cheminent vers la frontière du Ghana, les bâtiments datant de l’époque coloniale se dressent à leur droite. Sur la plage, de belles pirogues ! Elles sont allées, plusieurs fois sur l’océan, chercher des poissons pour nourrir la population de Lomé. Vers 16h30 la plage se remplit, devient noire de monde. A l’instar de Yaovi, le dimanche, » jour du Seigneur « , est aussi jour de la plage pour les Loméens. La foule endimanchée marche, contemple l’immensité de la mer et s’amuse avec les flux et reflux des vagues qui s’échouent à leurs pieds.
De petits commerçants, des sculpteurs de sables, des cavaliers, des enfants jouant au cerf – volant sous l’œil vigilant des parents, chacun suit son chemin. Marcher, déambuler, contempler sans souci, jouir de l’expérience de la sensation de l’immensité de la mer, se sentir oiseaux et voler dans les airs et de ses propres ailes, noyer les soucis dans les vagues déferlantes et faire le vide dans sa tête : tels sont les objectifs des dizaines de milliers de Loméens à la plage de Lomé. Se donner à la mer permet aux habitants d’affronter les dures réalités de la vie chère.
Les prix des denrées flambent sur le marché alors que les salaires n’ont pas sensiblement bougé durant des décennies. Ce phénomène s’est accentué dans les années 90, juste après la grande crise socio – politique qui avait jeté des milliers de Togolais dans les rues et contraint plusieurs à l’exil. Le Togo renaît après de dures épreuves politiques, sociales et économiques. La pensée ne se commande pas. Elle est stimulée par le plaisir de la marche.
De l’autre côté de la plage on aperçoit, les trésors matériels du vieux Lomé, le Palais du Gouverneur devenu Palais des Hôtes de Marques puis Siège du Gouvernement jusqu’en 1992, le Palais de la Présidence de la République, l’ancien siège de l’Assemblée nationale, l’Hôtel Ibis (ancien hôtel Le Bénin), et dans la mer l’un des vieux Wharf datant de la colonisation allemande. Juste à un kilomètre de là, en allant vers l’Est, les bâtiments afro-brésiliens. Les Loméens avancent sur les sables, scrutent la nature pour conjurer le mauvais sort et se recharger avant d’affronter la semaine et les réalités de la dure vie quotidienne. Être soi à travers la marche sur les sables fins de la mer conduit l’homme à prendre possession de lui-même, à explorer d’autres dimensions de son être et à se libérer.
Les dimanches à Lomé, les Loméens marchent, se vident et se rechargent devant l’océan atlantique. C’est un spectacle jouissif à découvrir, un marché à contempler, la plage noire de monde, les bruits de la mer, un voyage dans l’imaginaire au milieu de tous ces cocotiers et des trésors de Lomé. Vers 18h, la nuit commence à tomber sur la plage, Yaovi et sa famille reprennent le chemin du retour. La plage commence à se vider. . La mer file douce avec les humeurs, les agonies et les extases de toutes les âmes.
Gaëtan Noussouglo©Togocultures
Reportage photos de Gaëtan Noussouglo