Cham la brèche numérique

Le peintre togolais Cham: la brèche du numérique

Concilier la peinture et les nouvelles technologies du multimédia, tel est le défi pour la plupart des artistes depuis les années 90, notamment aux USA et de plus en plus en Europe. A première vue cette idée paraît bien étrangère, ou étrange, dans le monde de la peinture traditionnelle plus encline à la méthode des palettes, du mélange manuel des couleurs, de la délicate recherche de la forme exacte, d’où s’exprime le génie individuel.

Le numérique : une nouvelle palette de possibilités

Mais, cette nouvelle tendance portée par la vitesse et les exigences de la numérisation a conquis le monde des beaux-arts ces vingt dernières années, en raison de toutes les possibilités qu’elle offre pour le cinéma numérique, les dessins animés et les manipulations de l’imaginaire artistique. Du coup l’art plastique se trouve enrichi d’autres possibilités en sortant de la sclérose traditionnelle et surtout en combinant ses atouts avec les immenses horizons qu’offre le numérique. Celui-ci, sans être un courant nouveau qui traverserait le paysage de la peinture, semble ajouter au plaisir de la manipulation des couleurs et des formes, cette jouissance esthétique d’où germe le génie. Le numérique est une explosion du rêve et de l’abstraction qui est à l’origine aussi bien de la photographie que de la peinture assistée d’ordinateur. Il permet une facile manipulation des palettes, des filtres, des masques avec plus de finesse dans les tracés vectoriels. Il offre d’intéressantes possibilités pour la création des profondeurs par un mélange rapide et plus contrôlé des tons clairs et foncés.

L’artiste togolais Cham, diplômé de l’Ecole des Beaux Arts de Paris, qui a le mérite de ramener son savoir au pays depuis la fin de ses études en Europe, est aujourd’hui, l’un des premiers et rares peintres africains à fonder son travail sur le numérique en dépit des difficultés techniques qu’une telle entreprise impose dans le continent de tous les retards. L’ordinateur est encore, dans la plupart des pays africains, un luxe pour bourgeois. L’électricité est soumise aux caprices des saisons et des dirigeants politiques. Pire encore, la précarité de la vie ne favorise guère l’achat des programmes professionnels destinés à ce genre d’activité tels Adobe Photoshop, Corel Painter, Artrage, MyPaint, etc. Tous ces obstacles ne favorisent pas le travail numérique dans un espace où l’Art n’a jamais véritablement trouvé la place qui est la sienne.

Le pinceau et les pixels

cham
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Et pourtant, c’est avec un courage inébranlable que Cham se lance à l’assaut de ce nouvel outil de la peinture en accord avec ses convictions : l’art plastique n’est pas seulement un régal pour les yeux mais le lieu d’une synergie efficace entre le virtuel et le réel, entre l’être et son Moi profond. L’harmonie de son art vient de sa capacité à concilier deux techniques : d’une part, la dextérité de la peinture au pinceau et de la photographie, d’autre part, la finesse du speed painting, la manipulation des pixels, les attributs vectoriels pour créer un art vivant, une ambiance colorée et fortement surréaliste. Les images réalisées par cette nouvelle architecture de la peinture donnent plus d’éclats et d’intensité dans le jeu de la luminosité et de la saturation. Elles expriment avec netteté la vision que le peintre se donne de son art dont la virtualité conduit vers un espace symbolique où l’art et l’artiste se réinventent en permanence. Que ce soit dans ses (auto)portraits ou dans les retouches de la photo du poète martiniquais Aimé Césaire, l’environnement virtuel de Cham impose une dynamique de vie qui exige plus de participation et d’implication interactive avec le spectateur. On note dans son travail   une précision des tracés qui témoigne d’une grande maîtrise de la tablette graphique ainsi que des envolées de son imaginaire.

Le champ sur lequel Cham focalise son travail est le visage, scène des émotions explicites ou implicites par excellence, lieu de relations complexes entre le dedans et le dehors. Ainsi, le doute, la joie, l’angoisse, la tristesse, la jeunesse, le vieillissement se partagent les visages qu’offre Cham saisis de préférence de profil. En somme, c’est un spectacle de sentiments, de dévoilement de l’intérieur de l’être humain que propose Cham dans son travail numérique parfaitement maîtrisé, qui ouvre des perspectives nouvelles pour les jeunes plus habiles avec l’informatique. Ceux-ci, surtout au Togo où Cham multiplie ses ateliers et ses expositions, sont amenés à voir dans l’informatique un outil de création artistique de haut niveau capable de donner libre cours à leurs rêves, de libérer leur génie longtemps écrasé par un régime politique inique devenu un témoin que les membres d’une seule famille se passent de père en fils dans un mépris total des règles les plus élémentaires de la démocratie.

Cham, l’artiste fondateur

Ce que Cham apporte à l’art plastique en Afrique, c’est l’inscription dans un nouveau langage artistique, fondé sur les nouveaux jeux et enjeux de la variation, ouvrant de nouvelles perspectives esthétiques au public. Néanmoins la grande difficulté du numérique, surtout en Afrique, reste la question du support : l’écran ou la toile. Une exposition sur grand écran est quasiment impossible dans la plupart des pays africains où de tels outils ne sont réservés qu’aux monarques. Par ailleurs, en ce qui concerne l’impression, le choix de la résolution et du format, les imprimeries sur place, encore rudimentaires, sont loin d’offrir le meilleur service.

Somme toute, il s’agit d’une voie extrêmement prometteuse vers les prodigieuses possibilités du numérique, notamment dans le septième art qui reste le plus grand défi de l’Afrique de demain. Dans cette perspective, Cham, au Togo en particulier et en Afrique en général, fait figure de pionnier dans cette nouvelle écriture graphique qui a déjà conquis l’empire de l’Oncle Sam et dont l’avènement est à encourager sur le continent africain. Artiste novateur, Cham apporte à l’art plastique togolais déjà connu mondialement, à travers les créations de Paul Ahyi, de l’ingénieux Kossi Assou, du spécialiste de la latérite Tsoekey Edorh, une autre touche d’originalité qui répond aux exigences de l’ère du multimédia. Une belle initiative et un bel avenir…

 Sélom Gbanou

Professeur de littérature et d’études cinématographiques

University of Calgary (Canada)

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