Le lithophone kabyé décrypté dans le cadre de « Pleins feux sur le Togo ».

Daniele Segre-Amar Photo: Gaëtan Noussouglo
Daniele Segre-Amar Photo: Gaëtan Noussouglo

Quand on aborde la musique togolaise, on évoque souvent les voix célèbres des vedettes et stars des temps passés et actuels, temps de gloire et de générosité. Mais on évoque rarement les musiques traditionnelles dont regorge le pays. Notamment les chants, musiques et instruments spécifiques à de petites communautés isolées sur le plan géographique et culturel.

La musique des pierres- lithophone – jouée dans peu de villages au Nord du pays fait partie de ces découvertes surprenantes. « Le Togo, celui sur lequel j’ai travaillé, regorge de richesses culturelles spécifiques voire uniques qui mériteraient encore plusieurs études approfondies » affirme le conférencier à la médiathèque de Montbéliard le mardi 3 mars au soir. C’est qu’on retient de la brillante conférence sur le lithophone kabyé donnée par Daniele Segre-Amar, musicien et professeur à l’Université et au Conservatoire de Montbéliard en Franche-Comté dans l’Est de la France.

Selon ce chercheur qui a investi plusieurs séjours dans l’étude du lithophone kabyé, « cette musique des pierres, telle que pratiquée au Nord Togo, reste le seul au monde à avoir la spécificité d’être jouée sur le mode pentatonique. Ce qui lui accorde un statut très spécifique.» On trouve, bien évidemment des traces de lithophone ailleurs dans le monde. Notamment en Corée, au Japon, en Ethiopie et en Chine mais dans ces différentes contrées les pierres taillées et disposées différemment servent notamment de carillons ou de cloches.

 Lithophone, une spécificité toute togolaise

C’est seulement au Togo- –selon son tour d’horizon- qu’il fonctionne pour faire une véritable musique, variée et rythmée. En photos, sur cinq pierres taillées et disposées en cercle, on aperçoit deux musiciens assis sur de petits tabourets, très bas. Un dispositif qui permet de faire un solo ou d’avoir un soliste qui est accompagné par un second joueur. Le conférencier nous a ainsi fait entendre des extraits musicaux exécutés en solo et en duo. Souvent cette musique se fond aussi dans le rythme kamou. Les pierres aux dimensions impressionnantes donnaient à entendre des sons purs qui ressemblent fort à ceux de cloches en fer. Les modèles sont ramassés dans les montagnes kabyé au nord Togo. Chaque joueur possède sa collection de pierres qui rend une résonance particulière, identifiable. Les pierres même taillées restent lourdes. Daniele Segre-Amar témoigne que le lithophone ou la musique des pierres fonctionne sur un savoir empirique avec un mouvement rythmique impressionnant des mains et du corps des musiciens qu’il a rencontrés. Ces joueurs opèrent avec une dextérité telle qu’il a lui-même renoncé à jouer avec eux. Par contre, il a essayé de pénétrer la philosophie qui régit la pratique. Pour comprendre et partager l’âme et la richesse de la pensée musicale du lithophone kabyé, dit-il, il faut en posséder les clefs, déceler les pulsations rythmiques, focaliser son attention sur l’intégration musicale et psycho- acoustique. Vaste programme !

L’exercice a été néanmoins tenté avec les auditeurs. Il a permis à l’auditoire franc comtois qui s’est largement déplacé à la Médiathèque de Montbéliard ce 3 mars 2010 d’écouter différemment et de mieux cerner les différents rythmes qui se superposent dans un morceau. Pascal Eglin, directrice de la Médiathèque de Montbéliard et Rogo Koffi Fiangor ont été ravis du fait que cette communication ait apporté quelque chose de plus pour enrichir la manifestation Pleins feux sur le Togo.

 Composition informatique et électronique d’origine empirique

Des disques enregistrés durant les années 1960 et du récent album sur « Orchestres et lithophone Kabyés », ont ensuite permis de comprendre le fonctionnement conceptuel de cette musique et d’en pénétrer les richesses musicales qui se rapprochent énormément de la composition informatique et électronique. Saluant la qualité de l’accueil du peuple kabyé, il a avoué son envie de poursuivre ses recherches si les financements actuellement recherchés lui étaient accordés.

Daniele segre-Amar a fait ses recherches sur la musique de pierre en plusieurs séjours sur un total de 8 mois. Il a sillonné le pays kabyè entre 2001 et 2004. Instruit par le Griot de Pagouda, il a séjourné dans les montagnes et rencontré de deux musiciens Pichanchalassi.

Les propos, la démonstration et la rigueur de l’argumentaire de Daniele Segre-Amar ont séduit l’auditoire et donné envie non seulement d’aller au Togo, à la découverte de la richesse du pays kabyé, mais encore d’écouter différemment toutes les musiques traditionnelles faites à bases d’instruments comme le xylophone, les grelots, les castagnettes et autres double tambours et violon à une corde des griots traditionnels.

 Gaëtan Noussouglo – Rogo Koffi Fiangor ©Togocultures

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