Le Studio Théâtre d’Art de Lomé, conformément à son programme annuel annoncé, a organisé du 31 août au 4 septembre 2015, dans les locaux du Centre Culturel Filbleu-Arema, son deuxième stage à l’intention de onze comédiens, conteurs et metteurs en scène togolais. Cette session animée par le dramaturge, metteur en scène et universitaire Kangni Alem a porté sur l’esthétique théâtrale de Brecht et le concert party.
Au delà, d’une formation classique, ce stage a été un moment de partage et de réflexion autour de la pratique théâtrale au Togo avec une préoccupation chère à Brecht relative au public : « pour qui faisons-nous le théâtre ?» Cette question est d’autant plus pertinente au Togo que le divorce entre les praticiens de théâtre et les spectateurs est prononcé. Il en ressort qu’il faut dans la durée réaliser un travail de sensibilisation et de conquête du public qui passe par une esthétique à même de mobiliser à nouveau le public.
L’esthétique proposée par Brecht, dramaturge et metteur en scène allemand, peut dans le cas d’espèce offrir une fenêtre parce que comportant des éléments qui peuvent en faire un genre à succès sous les tropiques. Il est en effet question selon Brecht de faire du théâtre en tenant compte du corps social. D’ailleurs, Kangni Alem, tout le long du stage a établi et démontré les similitudes curieuses et heureuses qui transparaissent entre le concert party et le théâtre épique de Brecht bien que les deux esthétiques soient apparues dans des contextes et espaces différents.
D’abord, la musique, est un élément indispensable aussi bien dans le théâtre épique que dans le concert party. Pour Brecht, la musique désignée par « song », illustre « une situation ou un état d’âme dans l’opéra ou la comédie musicale. » Il est surtout un moyen de distanciation. Dans le concert party, l’orchestre et le chœur sont au cœur du spectacle, ils réglementent l’action, marquent les entrées, soulignent les moments forts du spectacle et définissent parfois le temps de la parole.
En outre le procédé de la distanciation prôné par le théâtre épique a d’innombrables occurrences dans le concert party. Les gestes dans le concert party sont insolites et créent un sentiment d’étrangeté. De même, le travestissement, les costumes et autres pitreries sont des éléments qui contribuent à créer chez le spectateur un sentiment de non-identification.
Prenant appui sur divers supports, notamment les ouvrages théoriques de Brecht, des transcriptions de scènes de concert party et surtout un film sur le concert party réalisé par l’universitaire français Alain Ricard en 1972, Kangni Alem a pu fournir aux stagiaires les éléments fondamentaux de la pratique du concert party et du théâtre épique. Le film d’Alain Ricard : Les Happy stars de Lomé : le principe du taxi a permis aux comédiens qui pour la plupart ne maîtrisent ni l’univers ni la pratique du concert party de créer une familiarité avec le genre. En effet, le film permet aisément de faire une incursion dans le fonctionnement et le contexte social dans lequel se pratiquait le concert party. Le focus réalisé sur les coulisses de la pratique offre une vue sur la fabrication et la représentation d’un spectacle de concert party. La musique, le travestissement, le maquillage, les jeux de clown sont des éléments récurrents dans le spectacle alors que la parade publicitaire avec un véhicule dans un fonctionnement de taxi-brousse ameute le public et lui donne un avant-goût du spectacle.
Partant de toutes ces expériences et des connaissances théoriques, les participants à l’atelier ont pu éprouver dans l’espace de jeu, ces différentes notions à partir d’un texte de concert party transcrit. Les comédiens ont pu s’exercer à travers des improvisations, aux principes de la distanciation et aux différentes possibilités de jeu qu’offre le concert party. D’ailleurs, le clou de cet exercice a été le travestissement des femmes en hommes et vice-versa. Cet exercice qui en lui-même crée une distanciation, suscite un réel intérêt, une curiosité, voire une hilarité et permet surtout de découvrir l’image que l’on se fait souvent de l’autre sexe.
Le second stage du Studio Théâtre d’Art de Lomé a été donc un réel succès et ouvrira certainement de nouveaux horizons pour les comédiens et metteurs en scène présents dans leurs créations et approches du théâtre. Il est à noter que deux stages prévus en novembre et décembre viendront boucler les activités du Studio Théâtre d’Art de Lomé pour le compte de l’année 2015.
Yaye Name@Togocultures
Crédit photo Jacques Do Kokou