Dans sa présentation, l’art au Togo ne peut se passer de l’icône Paul Ahyi (1930-2010) qui est à la fois le commencement, la césure et le point de référence. Et pourtant, chronologiquement, l’histoire de l’art au Togo retient la période avant Paul Ahyi, c’est-à-dire avant 1960, les années Paul Ahyi et l’après Paul Ahyi. Sur le plan de la formation et du parcours des artistes togolais, deux catégories se dégagent : d’une part il y a ceux qui sont passés par les Beaux-arts et d’autre part ceux qui ont appris le métier chez un professionnel confirmé et les autodidactes qui au fil des années se sont formés diversement et qui ont bénéficié des appuis, soutiens et conseils multiformes. On les appelle communément ceux qui sont sortis de « l’école de Lomé ». Beaucoup sont d’ailleurs devenus des artistes confirmés à l’instar de Claudio Kunakey.
L’homme
A l’état civil, KUNAKEY Komla Dzigbodi est né le 21 juillet 1964 à Lomé au Togo. Après son Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) en soudure à l’arc à la Caritas togolaise en 1987, il suivit quelques années plus tard une formation en arts plastiques à l’atelier TCHICO dans les années 90. Il participe à plusieurs ateliers nationaux et internationaux et expose à Lomé, dans la sous-région et en Europe. Claudio anime « Territoire de création », une rencontre internationale d’art contemporain qui sera à sa sixième édition au cours de cette année 2018. Acteur de cinéma, enseignant d’art plastique et lauréat de plusieurs prix et distinctions, Claudio dirige aujourd’hui des associations d’artistes, d’hommes de culture et a à son actif sa propre galerie, AGNANSANDZOPE au quartier Tokoin ouest derrière l’école Alpha et collé au cabinet dentaire « le Salut » à Lomé. Claudio est son nom d’artiste.
Les œuvres
Artiste confirmé, Claudio est assez polyvalent dans sa création artistique. Dans son travail, le métal s’associe au bois, le carton s’allie avec le sac de jute ; des couleurs vives, chaudes, sourdes, sombres, toniques ou acidulées se marient à des lignes voluptueuses, graphiques ou épurées et forment des créations originales, étonnantes et variées. De même les sculptures et les figurines fortes et singulières prennent forme et vie parfois de manière surprenante. D’une manière générale, que ce soit dans le domaine de l’art abstrait comme dans le cas de l’art figuratif, les thèmes abordés par Claudio tournent autour de l’amour, de la joie et de la paix. Ce sont des œuvres tantôt poétiques ou politiques, tantôt violentes et imposantes qui forment un ensemble mouvant, dans lequel évoluent et grandissent les différentes composantes et facettes de l’identité, du talent et de la spécificité de Claudio.
Au total, l’art de Claudio peut être décliné en dix (10) points : la récupération de ferraille, la peinture issue de la technique mixte, la sculpture en bois, l’assemblage de bois, le collage, le moulage et modelage, le bas-relief, le design de produits (objets), l’installation et la performance
La récupération de ferraille: De la même manière que l’artiste béninois Romuald Hazoumé a eu à bâtir une marque de fabrique, une véritable identité et une renommée, avec l’utilisation comme matériau, comme matière première le bidon, Claudio s’est taillé sa voie grâce à sa formation basique en soudure à l’arc. L’artiste arrive à plier facilement le fer selon son bon vouloir artistique. Après avoir récupéré le métal du fer (issu généralement de vélo, moto, voiture), il le lave, l’enduit de peinture noire avant d’y mettre finalement la peinture dorée. Les formes des figurines obtenues sont géométriques et sont dominées par le triangle qui est le socle de l’équilibre artistique. Ses œuvres qui représentent des êtres humains pour la plupart, il les campe dans leurs activités quotidiennes.
La peinture: Une fois encore, l’artiste convoque la géométrie à travers les droites, les courbes, les figures et symboles. Dans les détails par endroits on a comme l’impression qu’il s’agit d’une graduation ou carrément d’un repère orthonormé. Les différents traits qui composent les toilent tranchent avec les différentes couleurs. L’artiste utilise l’acrylique, des pigments et de la colle. Claudio en guise de bouquet final fait du marouflage en se servant de morceaux de fil de fer (encore !?) de sac de jute, de carton, de matériaux d’emballage et de tout élément pouvant donner un caractère granuleux à la toile. L’artiste est dans la logique d’une technique mixte. Il utilise des encadrements métalliques en fer forgé pour valoriser certains tableaux. Les toiles traduisent et communiquent des vibrations positives.
La sculpture en bois:Le sculpteur taille le bois afin de faire naître des motifs ou des formes. Il utilise son savoir-faire pour le tailler et réaliser son imagination. Cette sorte d’expression de l’artiste à travers le brute est différente des produits de l’artisanat d’art qui recherchent l’esthétique dans la manière par exemple de les poncer. La sculpture de Claudio suggère d’une manière générale le visage et le buste humain. Cette évocation humanise son art et le rend plus accessible.
L’assemblage de bois: Claudio ne fait pas dans le tri lié à la nature des bois : il utilise toute sorte de bois après les avoir traités. La récupération, voire le recyclage concerne également le bois en général et certains objets en bois comme les pilons. Ses assemblages sont agrémentés d’autres éléments hétéroclites comme le tissu (sac de jute) qui rappellent toujours le mariage bois/métal : clous, capsules, plaques d’aluminium, morceaux de tôle… L’artiste érige par moments des poteaux mitan hérissés de clous. Un poteau-mitan aux Antilles désigne le poteau central dans le temple vaudou qui représente l’axe du monde allant de la terre au ciel et établit la communication entre le monde des humains et celui des esprits et autour duquel les adeptes dansent et déposent des offrandes afin qu’ils descendent et prennent possession des fidèles.
Le collage: Mises à part des techniques de collage d’objets et d’éléments visibles et clairement identifiables (papier et tissu), la plupart des collages de Claudio sont presque fondus dans la texture des œuvres. Il s’agit parfois d’un jeu d’ombre et de lumière, de couleurs et de transparence, de brillance ou de matité.
Le moulage et modelage: Ce sont des techniques de création de Claudio qui permettent d’avoir de la profondeur ou du relief. Les matériaux souvent utilisés sont le mastic, l’argile et le plâtre
Bas-relief/Fresque: Ce sont des compositions artistiques d’une délicatesse consommée. Ici l’artiste allie ciment, argile, carreaux et émail.
Le design de produit (objets):Le passé du soudeur à l’arc se fait découvrir à travers les différentes facettes du design plein d’utilité et de fonctionnalité. Grâce à un mélange de métaux de verre et de bois, Claudio met au point des meubles de toutes sortes. Ces mobiliers traduisent le talent et l’ingéniosité de l’artiste qui maitrise l’art de la recomposition.
L’installation: L’installation est une œuvre d’art visuel réunissant divers objets et techniques. L’artiste a déjà eu à faire une installation en 2011 à l’Institut Goethe. Le titre de cette forme d’art est « L’union fait la force ». Il s’agit d’un assemblage de bois à l’aide de fil de fer.En 2013, il a réalisé une autre installation « L’art à la portée de tout le monde » qui est un ensemble de tissus, de fil de fer et du bois. Elle avait eu lieu sur la Boulevard du 13 janvier FIATA et le Festival entre l’immeuble des glaces. L’Institut Français du Togo à Lomé lui a également servi de cadre à une installation en 2016 dans le cadre du Festival International du Film Environnemental (FIFE). L’œuvre avait pour titre « Protégeons notre planète »
La performance: Il s’agit d’une œuvre artistique conçue comme un événement, une action en train de se faire. Claudio en 2013 s’est mis en scène dans la rue dans la dynamique du triptyque public/rue/outils et matériaux de travail
Claudio est un véritable artiste assembleur. Il maîtrise parfaitement l’art d’assembler à la fois les matériaux et les techniques. Il est hautement engagé et dévoué à la création et s’est fait distinguer sur tous les plans par son talent et la constance dans son travail qui lui a permis de donner plusieurs formes à ses matières premières et matériaux.
Adama AYIKOUE
Gestionnaire du Patrimoine culturel